C’est devenu un lieu commun que de présenter la tribune du Parlement, sous la III République, comme dominée par deux hommes, se faisant face et s’opposant dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, Albert de Mun et Jean Jaurès. N’ayant entendu ni l’un ni l’autre, nous ne pouvons comparer l’emprise de leur éloquence à celle de tel ou tel de leurs successeurs dont nous avons eu occasion d’admirer le talent. Force nous est donc de nous en remettre à l’appréciation de ceux qui furent leurs auditeurs en même temps que leurs collègues. Or, en ce qui concerne Albert de Mun, l’éloge est unanime.
A Charles Maurras, qui lui faisait observer un jour que de Mun lui semblait manquer d’originalité dans la pensée et lui paraissait n’être qu’une voix, Maurice Barrès répondait avec l’accent d’une profonde admiration : « Oui ! mais quelle voix ! » Et, au même Barrès, le socialiste anticlérical Viviani confiait qu’il tenait de Mun pour « le plus grand orateur du Parlement, égal dans la préparation et dans l’improvisation ».
Anatole de Monzie, qui brilla si souvent dans les débats parlementaires et qui avait le droit d’être difficile, nous le présente ainsi dans ses Mémoires de la tribune :
« Albert de Mun avait en effet « la flamme, l’image, le mouvement, l’ampleur, la majesté et pourtant une certaine simplicité, le pathétique, l’ironie, la pureté de la forme, la rigueur de la composition qui dispose des arguments avec une logique pressante » (Cardinal Baudrillart, discours à l’Académie).
Il possédait surtout la seigneurie de la parole, une nonchalance souveraine dans la réplique, un bienveillant dédain que soulignait le pli de sa lèvre.
« Durant que vivait Albert de Mun, point n’était besoin de chercher une définition du gentilhomme. « Voyez de Mun », disait-on. La mince silhouette d’un officier de cavalerie, une démarche souple et ferme, un geste rare, toujours dépourvu d’emphase, conféraient à sa personne un prestige immédiat auquel les rudes démagogues ne se montraient point insensibles. A un haut degré de perfection, la politesse touche et charme les natures les plus renfrognées. Albert de Mun provoquait une contagion de courtoisie : nulle interruption ne s’élevait dans la Chambre de 1910-1914 quand il prononçait une de ces harangues où l’émotion contenue ennoblissait une pure argumentation. »
Mais Anatole de Monzie n’avait entendu Albert de Mun qu’à la fin de sa carrière, alors que ses interventions, raréfiées par la maladie, étaient écoutées avec la déférence que les auditoires les plus hostiles ne refusent pas à celui qui apparaît condamné à un irrémédiable déclin. Trente ans plus tôt, à ses débuts à la Chambre des Députés, Albert de Mun, pour éloquent et distingué qu’il fût, n’abordait pas la tribune dans ce silence respectueux ! A travers sa correspondance avec Maurice Maignen, il est aisé de constater que sa parole soulevait, à l’occasion, autant de réserve désapprobatrice chez ses voisins de travée que d’hostilité véhémente chez ses collègues de gauche. Il n’en reste pas moins qu’Albert de Mun présente un cas exceptionnel d’orateur-né.
Sa carrière n’avait pu lui faire soupçonner à quel point Dieu l’avait doué du don précieux d’exprimer ses sentiments et ses convictions avec une chaleur communicative. La révélation en vint, à lui comme à son entourage, de son premier discours, celui qu’il fit aux ouvriers du Cercle Montparnasse, à la demande de Maurice Maignen. Tandis que ses amis s’entreregardaient, émerveillés, sa femme, étonnée et comme inquiète, répétait à La Tour du Pin : « Mais, qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce qu’il a ? ». Il avait simplement ce magnétisme qui émane des grands cœurs et des âmes généreuses, et qui transporte les auditoires lorsqu’il devient le Verbe.
Tous ceux, si nombreux encore, qui ont entendu l’abbé Bergey, se rappellent à quel point ils étaient pris aux entrailles et au cœur par la parole fascinante du populaire curé de Saint-Emilion. Qui a vu une foule paysanne, suspendue à ses lèvres, passer, en quelques instants et à son gré, du sourire aux larmes, a su comment, à la Voix d’un Saint Bernard ou d’un Pierre l’Ermite, jadis, des hommes par milliers se faisaient coudre une croix rouge sur l’épaule droite et partaient à la délivrance du Saint Sépulcre.
Albert de Mun était de la race des prêcheurs de croisades, et si son éloquence parut si parfaite à ses contemporains, c’est qu’elle unissait la clarté élégante de la forme à la noblesse de la pensée et à la force de la foi. Rien n’est plus payant dans l’action civique que le désintéressement dans le zèle.
Nul ne pouvait prêter de bas calculs et des vues égoïstes à cet officier brillant, titré, bien noté, ayant devant lui la promesse de tous les succès d’une carrière militaire et mondaine, et qui prenait sur ses loisirs pour aller haranguer, dans d’obscures salles, de modestes auditoires, à qui il rappelait qu’un chrétien a plus de devoirs à remplir que de droits à revendiquer !
Ce n’est pas lui qui eut l’ambition d’une tribune officielle plus retentissante. Lorsque, le 26 novembre 1875, il donna sa démission de l’armée, il ne songeait qu’à éviter des observations justifiées de la part de ses chefs et à pouvoir consacrer désormais tout son temps à l’Œuvre des Cercles Catholiques d’Ouvriers. Ce sont ses amis qui songèrent à utiliser au Parlement un talent oratoire capable de contrebattre les dogmes funestes semés par la Révolution et de rendre la France à sa vocation royale et chrétienne. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, c’est sur la suggestion de René de La Tour du Pin que le comte de Chambord demanda aux Comités royalistes de l’Ouest de réserver à de Mun une circonscription sûre en Bretagne.
Si, en février 1876, Albert de Mun fut candidat catholique à Pontivy, il y fut aussi candidat légitimiste. Non seulement, il ne fit pas mystère de ses opinions royalistes, mais, nous dit Jacques Piou dans la biographie qu’il consacra plus tard à son collègue et ami, « il avoua hautement ses relations avec le comte de Chambord, dont il avait reçu de précieux témoignages de sympathie, un surtout, encore récent, qui lui avait été au cœur. Son dernier enfant était le filleul du couple royal ; cet honneur était rehaussé par une lettre qui l’avait rempli de gratitude».
Non seulement, il ne taira pas ses convictions politiques, mais il en donnera les raisons avec éclat, notamment dans sa campagne électorale de 1881, à Vannes.
Royaliste, de Mun l’est d’abord parce que la monarchie a fondé la France et qu’elle est conforme au génie français : « la forme sociale et politique dans laquelle un peuple doit entrer et rester n’est pas livrée à son arbitraire, mais déterminée par son caractère et son passé »
Royaliste, il l’est encore parce que la monarchie, c’est l’accord harmonieux et constant de la nation et du pouvoir central. En soumettant le peuple à la loi barbare du nombre « ce souverain terrible, tour à tour esclave et tyran, sans nom, sans corps, sans responsabilité », on a tué l’autorité au profit de l’arbitraire.
Royaliste, il l’est enfin parce qu’en France, la monarchie est chrétienne. Cela ne veut pas dire qu’elle est « un gouvernement de curés », loin de là ; mais le roi, qui l’est par la grâce de Dieu, exerce « un pouvoir soumis à la loi divine, qui fait respecter Dieu, et qui laisse l’Eglise libre dans son culte, dans sa parole, dans ses institutions et dans son gouvernement ».
En 1881, le comte de Chambord est encore en vie, et c’est vers lui que monte l’ardent hommage des acclamations qui accueillent le cri final de l’orateur : «Dieu et le Roi ! »
Plus tard, de Mun fera la confidence qu’à la mort du comte de Chambord, s’il y eut encore place dans son esprit pour l’opinion monarchique, il n’y en eut plus, dans son cœur, pour la croyance à la monarchie. Il nous faut bien le croire puisqu’il nous le dit, mais cela ne s’induit pas de sa conduite apparente.
A Gôritz, nous devons le répéter, il rédigera avec La Tour du Pin la dépêche que le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia, au nom de tous les royalistes assemblés autour du cercueil d’Henri V, adressera à Mgr. Le comte de Paris, pour saluer en sa personne le représentant incontesté du droit monarchique français.
Bien plus tard, et non pas dans un discours électoral, mais à l’occasion du 15ème anniversaire de la fondation de l’Œuvre des Cercles Catholiques, le 22 mai 1887, il tiendra à réaffirmer avec force son attachement au Prétendant et au principe qu’il représente : « Messieurs, j’ai besoin d’ajouter un mot : je vous ai promis une explication loyale et franche ; il faut la compléter. Je crois que j’exprimerai du reste l’opinion de beaucoup d’entre vous. Chercher ainsi dans principes de l’Eglise le salut de la France, est-ce, du même coup, se désintéresser de la forme de son gouvernement et de sa constitution politique ? Je ne l’ai jamais pensé, je ne l’ai jamais conseillé, et je ne le pense pas encore aujourd’hui. Je vous ai pris pour confidents, j’irai jusqu’au bout. J’ai été profondément attaché au Prince qui a si longtemps représenté devant notre pays la splendide image de la monarchie chrétienne. (Bravos et vifs applaudissements.) Je l’ai servi avec fidélité et je suis resté depuis sa mort, je resterai toujours le serviteur du droit et de l’hérédité monarchique ».
(Nouveaux applaudissements.)
A Saint-Mandé, en mai 1887, il renouvellera sa profession de foi catholique et monarchique. Et, non seulement il reste fidèle au droit, mais il a reporté sur le comte de Paris, sinon la vénération, du moins le dévouement qu’il témoignait au comte de Chambord. Il pourrait même se flatter d’avoir la confiance du prétendant et d’exercer sur lui quelque influence. C’est Albert de Mun qui – assez légèrement d’ailleurs – poussera Mgr. Le comte de Paris à engager les royalistes dans l’aventure boulangiste : ils s’y compromirent bien inutilement derrière l’amoureux transi de Mme de Bonnemain, et leur déception les laissa mal prêts à recevoir le choc de l’encyclique qui conseillait aux catholiques français de se rallier à la République.
A l’heure présente, et avec les meilleures intentions du monde, quelques jeunes publicistes chrétiens se donnent beaucoup de mal pour essayer de démontrer que S.S. Léon XIII n’a jamais demandé aux royalistes français le sacrifice de leurs convictions monarchiques. Il n’aurait exprimé qu’un souhait et donné qu’un conseil : que les catholiques cessent de combattre le régime républicain et unissent tous leurs efforts pour la seule défense des libertés religieuses ; ainsi, la République, assurée de ne plus être attaquée par les catholiques, cesserait-elle, à son tour, de leur être hostile. C’est jouer sur les mots. Pour suivre le conseil du Saint-Père, il fallait bien, sur le terrain électoral, abandonner la profession de foi et l’étiquette royalistes pour prendre figure et nom de républicain ! C’est ainsi d’ailleurs que tout le monde le comprit, et le cas d’Albert de Mun est particulièrement significatif à cet égard.
Albert de Mun, il faut le rappeler, avait en 1885 tenté de fonder en France un parti catholique à l’instar de ce qui existait en Belgique et en Allemagne. Le parti catholique belge, après une longue lutte, venait enfin d’accéder au pouvoir ; dans le Reich, le Centrum, sous la conduite de Windthorst, avait triomphé de Bismarck et de son Kulturkampf anti-romain. Pourquoi les mêmes succès n’attendraient-ils pas les catholiques français coalisés ?
C’était oublier qu’à cette époque, si tous les royalistes n’étaient pas catholiques, presque tous les catholiques étaient monarchistes. Un parti catholique français était inévitablement un parti d’opposition constitutionnelle. Les dirigeants républicains ne manquèrent pas d’attirer l’attention du Vatican sur la réaction anti-cléricale que le nouveau parti susciterait certainement. L’affaire fut vite réglée. C’est le 8 septembre 1885 qu’Albert de Mun avait fait part de la naissance du parti catholique français ; le 9 novembre suivant, après un entretien avec le nonce, le député breton annonçait qu’il renonçait à son projet … Or, voici qu’en 1892, Rome, qui s’était opposée sept ans plus tôt à un parti catholique nécessairement formé de royalistes, faisait l’effort le plus pressant en faveur d’un parti catholique qu’elle souhaitait républicain !
Et, Albert de Mun, qui, par obéissance, avait sabordé son propre dessein, allait être sommé, au nom de la même vertu, d’accepter celui du Vatican ! Cela n’ira pas sans une lutte intérieure dramatique. De Mun a souvent rapporté aux siens que le Pape alla jusqu’à le prendre dans ses bras en le suppliant de se ranger à une tactique qu’il jugeait nécessaire pour le bien de l’Eglise de France.
On comprend l’insistance de Léon XIII. Etant donné le prestige dont jouissait Albert de Mun dans les milieux catholiques, l’Encyclique aux Français n’eût entraîné que peu d’adhésions si le Président de l’Œuvre des Cercles eût suivi la même ligne de conduite que son ami La Tour du Pin. Et c’est ce qu’il eût dû normalement faire. N’était-ce pas Albert de Mun qui, dans son discours de Vannes, avait proclame la liberté politique des catholiques de la façon la plus expresse : «Messieurs, je n’ai jamais compris l’indifférence politique. Je sais très bien, et tous les catholiques le savent avec moi, que, si la soumission à la loi divine est la condition essentielle qui s’impose à tous les gouvernements humains, Jésus-Christ n’a pas cependant dicté aux nations chrétiennes la forme de leur constitution politique, et que c’est là une question libre au-dessus de laquelle l’Eglise demeure immuable dans sa constitution divine … » ?
Or, le Souverain Pontife ne lui demandait pas simplement de devenir indifférent en politique, – ce qui eût été déjà inconciliable avec son point de vue -, il lui demandait de penser que le magistère de l’Eglise s’imposait jusque dans cette question libre que demeurait la forme du gouvernement et d’accepter la constitution républicaine. On peut mesurer ainsi le sacrifice que le cœur d’Albert de Mun dut consentir, en cédant aux instances du Pape.
Bien plus tard, quand il écrira Ma Vocation Sociale, et qu’il effleurera cette question, il laissera discrètement entendre que son adhésion ne fut que formelle et n’engagea pas son for interne :
« Je ne puis entrer, au sujet du Ralliement, dans des détails nécessairement réservés à mes souvenirs politiques. Je veux rappeler les faits et y joindre une observation. L’Encyclique aux Français parut le 20 février 1892. Le 23 mai de la même année, à Grenoble, devant le Congrès de l’Association Catholique de la Jeunesse Française, puis le 16 juin, à Lille devant les Associations Catholique des jeunes gens de la région du Nord, je déclarai ma résolution de « placer désormais mon action politique sur le terrain constitutionnel, pour conformer mon attitude à la direction du Souverain Pontife». Ce fut ma formule de ralliement : je n’y ai jamais ajouté un seul mot. »
Obéir au Pape en la circonstance, ce n’était pas seulement brûler ce que l’on avait adoré ; c’était encourir à coup sûr le blâme de ses meilleurs amis et scandaliser la majeure partie de ses troupes. Albert de Mun ne fut pas suivi. Evoquant, dans ses Souvenirs, cette période, M. de Meaux, qui n’était pourtant pas un ultra, note : « Un seul le tenta (le ralliement), M. de Mun. Elu d’abord en Bretagne en qualité de royaliste intransigeant, il se déclara républicain pour obéir au Pape, et l’accueil que reçut son ralliement ne fut pas propre à multiplier les ralliés. En réalité, Léon XIII avait en France licencié la vieille armée catholique sans en avoir une nouvelle à lui substituer. »
De surcroît, Albert de Mun, en perdant ses amis, ne garda pas son siège. Aux élections de 1893, il fut battu comme presque tous les candidats ralliés. La division des catholiques ayant fait le jeu de la gauche. Il lui faudra attendre cinq ans pour retrouver sa place à la Chambre.
Mais on sait tout cela.
Ce qui, par contre, est moins connu, ce qui a même été passé sous silence par tous ses biographes, c’est que ce modèle de l’éloquence parlementaire avait non pas l’horreur, mais la peur de la tribune.
Le cas est beaucoup plus fréquent que l’on croit des orateurs célèbres, pour qui prendre la parole en public demeure une appréhension qui ne se surmonte chaque fois, qu’avec peine. Il ne semble pas qu’Albert de Mun ait connu pour son compte ce que l’on appelle « le trac ». Mais il était frappé d’un autre genre d’inhibition, encore plus désagréable, la crainte de ne pas être à la hauteur du sujet qu’il abordait ou de la cause qu’il allait défendre.
A travers sa correspondance avec Maurice Maignen, nous découvrons ce que M. Charles Maignen, neveu de ce dernier, appelle « le drame intérieur d’un velléitaire », et qui n’est en réalité que l’hésitation scrupuleuse d’un homme qui redoute d’être inférieur à ce que l’on attend de lui.
Cette hésitation ne le quittera jamais.
Il n’est pas surprenant de la constater au cours de sa première législature. Bien des conscrits de l’urne auraient pu écrire ce qu’il écrivait à Maurice Maignen le 15 juin 1878 : «Pour moi qui ai besoin de me façonner à ces questions, afin d’être à la hauteur de ma tâche, je vous promets de n’épargner ni peine ni travail … Je suis un ouvrier de bonne volonté, mais j’ai tant à apprendre ! ».
Ou lui demander aide, comme il fait huit jours après : « …puis, vous allez, n’est-ce pas ? Puisque vous le voulez bien, vous mettre au travail et me servir successivement de petites tranches appropriées à mon estomac …, mâcher les mots comme à un ignorant que je suis …
Pour tout cela, souvenez-vous que vous avez affaire :
a) à un homme qui ne sait pas ;
b) à un homme qui a très peu de temps et à qui cependant la volonté de Dieu a fait une obligation de paraître savoir et avoir étudié. Mâchez-moi donc la besogne ; réduisez-moi la nourriture en pilules substantielles, d’une absorption rapide. Si vous m’indiquez des sources, faites qu’elles soient peu nombreuses et concises. Je vous promets tout mon bon vouloir … et Dieu fera le reste. »
Ou encore passer l’aveu émouvant que contient cette lettre du 18 septembre de la même année :
« Voyez-vous, tout bas et de vous à moi, dans l’intimité de notre vieille affection, je puis bien vous dire que je me sens épouvanté de mon rôle et du poids qui pèse sur mes épaules, Vous savez tout ce qui me manque, combien peu me sont familières ces redoutables questions, combien l’en ignore le langage et que je ne m’y aventure qu’en tremblant… »
Mais les années passeront, sans qu’Albert de Mun s’aguerrisse et cesse de s’interroger anxieusement sur son insuffisance.
Le voici écoeuré de lui et du monde :
« … Mais où sont les hommes ? Où suis-je, moi, qui devrais me donner tout entier comme autrefois à l’Œuvre, dévoré par mille choses, envahi par la politique, condamné à la Chambre à un travail multiple sur des choses qui me sont étrangères ? …
Et puis, où est le feu sacré, où est l’enthousiasme, la flamme, et pour tout dire, la foi et la piété des premiers jours ? »
Ce n’est point dès la première élection qu’Albert de Mun se lèvera à son banc de député pour y défendre, sous la forme de propositions de loi, la doctrine sociale que viendra consacrer, le 15 mai 1811, l’enryclique Rerum Novarrun.
Le Palais-Bourbon était loin, en effet, d’avoir accueilli de bon gré une recrue qui se posait en contre-révolutionnaire déterminé et ne cachait point son antiparlementarisme.
Elu en 1876, de Mun fut aussitôt invalidé, sous pré¬texte d’avoir bénéficié de menées électorales qui auraient faussé la libre expression de la volonté populaire ! Les électeurs de Pontivy le renvoyèrent au Parlement en 1878, mais ses adversaires ne désarmèrent pas pour autant. Ils décidèrent une enquête, sur les résultats de laquelle il fut à nouveau invalidé en novembre de la même année. Battu de justesse à l’élection partielle qui s’en suivit, il ne rentrera à la Chambre qu’en 1881.
Mais il répugnera encore quelque temps à aborder la tribune pour y exposer les vues de ses amis sur la question sociale. Tant qu’il s’agit de proclamer ouvertement, dans une langue magnifique, l’alliance de son patriotisme et de sa foi chrétienne, ou bien de poser les principes généraux qui dictent à un croyant sincère ses devoirs de charité et de justice envers les plus déshérités des hommes, les rares dons que lui a dispensés la Providence s’exercent sans effort apparent. Mais nous avons vu plus haut quelle peur l’habite de se trouver insuffisamment préparé à défendre des textes précis relatifs à l’application de cette noble doctrine. Dès 1880, Keller avait soumis à la Commission industrielle de l’Oeuvre des Cercles un projet visant d’une part le travail de nuit des femmes et créant d’autre part la semaine anglaise. Ce projet ne fut pas déposé sur le bureau de la Chambre parce que les industriels, membres de la Commission, s’ils se montrèrent favorables à l’interdiction du travail nocturne féminin, reculèrent devant la semaine anglaise comme devant une innovation trop hardie.
En 1882, les études conjuguées d’un groupe d’industriels et de quelques parlementaires de droite aboutirent à un projet d’organisation corporative qui fut présenté comme un contre-projet à la loi sur les syndicats que Waldeck-Rousseau venait de déposer. Ce ne fut pas de Mun qui le signa en premier et le déposa, mais Keller, qui en était le principal rédacteur. De Mun se contenta de présenter, le 12 juin 1883, un amendement qui prévoyait que les syndicats pouvaient être mixtes et comprendre tous les éléments de la production. Mais, là encore, il s’effaça devant M. de la Bassetière, pour défendre, le 19 juin, ce texte âprement combattu à l’extrême gauche par Floquet et Georges Clémenceau.
C’est lors du scrutin final, le 20 octobre 1883, que de Mun se jeta enfin à l’eau et fit sa première intervention sociale en expliquant au nom de ses amis qu’il ne pouvait souscrire à un texte qui, en excluant les syndicats mixtes, allait faire du syndicalisme un instrument de lutte de classes.
Mais ce n’était là qu’une escarmouche. Albert de Mun, novateur social, allait se révéler le 25 janvier 1884, lors des interpellations sur la crise économique. L’occasion lui parut bonne pour reprendre, au nom de l’Oeuvre, une idée émise pour la première fois en 1841 par un industriel alsacien, M. Legrand, l’idée d’une législation internationale du travail.
Un ordre du jour, signé par de Mun, Mgr Freppel, Lorois, de la Bassetière, Martin (d’Auray), de Saint-Aignan, de Bélizal, de Lanjuinais, de la Rochefoucauld, duc de Bisaccia, du prince de Léon, de la Rochejaquelein, de Bodan, de Kermenguy, Le Gonidec de Tressan, invitait le gouvernement « à préparer l’adoption d’une législation international qui permette à chaque Etat de protéger l’ouvrier, sa femme et son enfant, contre les excès du travail, sans danger pour l’industrie nationale ».
Pour défendre cet ordre du jour, Albert de Mun trouva des accents qui fondèrent sa réputation d’orateur social, mais n’emportèrent pas pour autant l’adhésion de ses collègues à sa thèse.
Cependant, le retentissement de cette harangue fut tel qu’il fit mettre la législation internationale ouvrière à l’ordre du jour des travaux de l’Union de Fribourg, fondée peu après. Le Suisse Decurtins, membre de cette Union, demanda à son pays, le 22 décembre 1887, de prendre en ce domaine l’initiative d’une Conférence internationale à Berne. Pendant que le Conseil Fédéral Helvétique en délibérait, Guillaume II, prenant les devants, convoquait la conférence de Berlin qui se borna d’ailleurs à voter des recommandations toutes platoniques. Le beau discours d’Albert de Alun ne devait avoir sa conclusion pratique que trente-cinq ans plus tard, dans la section II de la XIII• partie du Traité de Versailles!
Quelques mois après, la discussion de la loi sur les syndicats va permettre d’exposer l’idée du patrimoine corporatif. Albert de Mun dépose et défend l’amendement suivant : «ajouter entre les articles 6 et 7 du projet un article ainsi conçu : «Outre les cas prévus au précédent article, les syndicats professionnels mixtes réunissant les patrons et les ouvriers d’un même métier ou de métiers similaires, pourront recevoir des dons et des legs immobiliers, et acquérir tels immeubles qu’il leur conviendra pour la création de logements d’ouvriers, d’asiles pour l’enfance et la vieillesse et de maisons pour les blessés et les malades».
L’amendement, refusé par la Commission, ne fut pas adopté. Il faudra attendre la Chambre de 1919 pour accorder aux syndicats la personnalité civile, et le droit de posséder.
Le 20 octobre 1884, Albert de Mun défend, – sans plus de succès -, le principe de la responsabilité collective de la profession en cas d’accidents du travail. Ce principe postulait, s’il eût été reconnu, la création de caisses professionnelles d’assurances-accidents. Le député de Morlaix ne fut point suivi. Le 2 février 1886, il revenait à la charge en déposant, avec Mgr Freppel, une proposition de loi sur la protection des ouvriers victimes d’accidents dans leur travail. La discussion n’en vint qu’en 1883. Toute l’éloquence de l’orateur ne put convaincre la Chambre que l’accident du travail découle d’un risque professionnel qui doit être supporté par des caisses corporatives alimentées à la fois par les ouvriers et les patrons. Le risque professionnel ne sera reconnu que dix ans plus tard, par la loi du 9 avril 1898… Qui le mettra d’ailleurs à la charge exclusive du patron!
L’année 1885, année électorale qui fut chaude pour les républicains, laissa peu de place aux débats sociaux. Elle est marquée cependant par le dépôt d’une loi sur le bien de famille, préparée, au sein de l’Œuvre, par Louis Milcent, ancien zouave pontifical, que nous retrouverons à l’origine des Syndicats Agricoles.
Le 24 février 1886, c’est le dépôt dune proposition de loi visant l’interdiction du travail avant treize ans pour les garçons et quatorze ans pour les filles, ainsi que l’interdiction des travaux de force avant seize ans pour les adolescents et sans limite d’âge pour les femmes. Ce texte réclamait en outre la journée maxima de onze heures pour tout travailleur, au lieu de douze heures fixées par la loi de 1848, et le repos dominical.
En octobre 1886, proposition de loi sur la protection des ouvriers contre les conséquences de la maladie ou de la vieillesse. C’était poser le principe des retraites ouvrières et paysannes, mais avec l’énorme différence d’un financement assuré par des Caisses Mutuelles corporatives, au lieu de l’inscription au budget de l’Etat.
Toute l’année se passe à étudier en Commission un texte sur la réglementation du travail. On notera, pour le piquant de la chose, que la limitation de la journée de travail à onze heures fut repoussée en Commission par huit voix contre quatre et que deux députés prolétaires furent parmi les opposants! La discussion publique de cet important projet vint seulement en juin 1888. De Mun y fut constamment sur la brèche. Si sa voix généreuse trouvait quelque écho à l’extrême gauche, cet appui compromettant ne faisait que cristalliser plus étroitement la majorité centre-gauche et gauche autour des défenseurs attitrés du libéralisme économique, les Yves Guyot, les Frédéric Passy, les Albert Ferry. Cependant, le porte-parole des Cercles Catholiques marqua un point. Par 462 voix contre 31, le 11 juin, il fera rejeter un amendement d’Yves Guyot qui voulait exclure les femmes du bénéfice de la loi. Par contre, la Chambre refusera de reconnaître le risque professionnel, et, le 22 juin, elle repoussera le principe du repos dominical, bien que de Mun, en la circonstance, eut vu venir en renfort la barbe révolutionnaire du communard Camélinat.
Pas davantage, la Chambre ne voulut retenir la proposition faite par de Mun, d’interdire pendant quatre semaines le travail aux femmes accouchées. Cette question du chômage légal et rémunéré des femmes enceintes et accouchées ne sera réglé que par la loi du 17 juin 1913.
Plus heureux, de Mun, le 29 janvier 1889, fera repousser un amendement de Frédéric Passy et d’Albert Ferry qui réclamaient le maintien de la journée de 12 heures pour les femmes en invoquant la vénérable mémoire des républicains quarante-huitards qui l’avaient instituée.
Allant plus loin, dans la proposition de loi qu’il dépose le 7 décembre 1889, il réclame la journée maxima de dix heures. Au scandale de presque tous ses collègues, il n’hésite même pas à souhaiter que, dans un proche avenir, soit réalisée la journée de huit heures, comme étant la plus favorable au développement normal du foyer du travailleur. S’il n’en demande pas l’adoption dès à présent, c’est uniquement pour ne pas mettre la production française en fâcheuse posture devant ses concurrents étrangers.
Le 23 novembre précédent, il avait donné son accord à la fixation d’un salaire minimum par la loi ajoutant qu’aux yeux des catholiques sociaux l’intervention de l’Etat, dans ce domaine, n’était ni abusive ni arbitraire.
Une autre proposition de loi, déposée également le 7 décembre 1889, demande qu’il soit recouru à l’arbitrage pour le règlement de tout conflit social et que soient créés des Conseils de conciliation et d’arbitrage comme il en existait déjà en Angleterre et en Belgique. Cette proposition ne sera discutée qu’en 1892, et d’ailleurs repoussée par la majorité opportuniste et radicale. Il faudra le décret Millerand du 17 septembre 1910 pour instituer, avec les Comités du Travail, une timide ébauche de ce que de Mun et ses amis avaient demandé.
La même lenteur et la même timidité républicaines se manifesteront à propos des initiatives sociales de la droite royaliste en 1890. De Mun défendit un amendement portant fixation au dimanche du jour de repos hebdomadaire et réduisant à huit, au lieu de dix heures, la durée du travail le samedi et les veilles de fêtes chômées. C’était légaliser le repos dominical et ébaucher la semaine anglaise. Sur le premier point, de Mun, accusé par le rap¬porteur de vouloir sournoisement donner rang de religion d’Etat au catholicisme, fut battu par 304 voix contre 210. Vainement, il reviendra à la charge en 1891. Mgr Freppel partagera sa disgrâce avec un amendement qui demandait que « le repos hebdomadaire, pour les personnes protégées par la loi fut fixé au dimanche ». Ce n’est que le 13 juillet 1906 que la loi consacrera le principe du repos dominical.
Pour ce qui est du principe de la semaine anglaise, repoussé à nouveau, il ne sera adopté, – et encore à titre provisoire! – par la III° République que le 11 juin 1917, et ne sera rendu définitivement obligatoire que par la loi du 23 avril 1919.
Lors de la deuxième délibération de la loi sur le travail des femmes et des enfants en 1891, de Mun se déclara partisan de la limitation de la journée de travail à dix heures. Il demanda aussi la suppression du travail de nuit pour les femmes et les enfants et réclama la suppression de la veillée, au nom de la santé physique et morale des ouvrières. Il ne verra ses voeux exaucés qu’en 1900 par la loi du 30 mars.
La même année, il joindra ses efforts à ceux de M. Justin Godart pour obtenir la suppression du travail de nuit dans la boulangerie. L’interdiction n’en sera prononcée que par la loi du 28 mars 1919. Le 1° juin 1891, Millerand, qui est alors l’un des chefs du parti socialiste, interpelle le gouvernement sur les raisons pour lesquelles il a dissous le syndicat des ouvriers métallurgistes d’Hautmont. Albert de Mun se rallie à son ordre du jour qui invite le gouvernement à faire observer par ses magistrats du parquet l’interprétation la plus large de la loi sur les syndicats.
Dans le même esprit, le 22 mars 1892, à l’occasion de la discussion de la proposition Bovier-Lapierre, il demande que la loi sanctionne le renvoi d’un ouvrier ou le refus de l’embaucher lorsque le motif déclaré est sa qualité de syndiqué, en même temps qu’il réclame des pénalités pour ceux qui auront usé de contrainte pour obliger un ouvrier à adhérer à un syndicat ou à le quitter.
La même année, il reprend son dessein de rendre pleine et entière la liberté syndicale, et dépose, sous forme d’amendement à la loi sur les syndicats, le contre-projet suivant:
« L’article 2 de la loi de 1884 sera rédigé ainsi qu’il suit : les syndicats ou associations professionnelles de plus de vingt personnes appartenant à (au lieu de exerçant) la même profession ou des métiers similaires, ou des professions connexes concourant à l’établissement de produits déterminés, pourront se constituer libre¬ment sous l’autorisation du gouvernement. »
L’amendement fut repoussé. Il ne sera repris que vingt-huit ans plus tard par la Chambre « bleu-horizon » qui en fera le paragraphe final de l’article 4 de la loi de 1920.
Si Albert de Mun n’admet pas le droit syndical pour les fonctionnaires qui sont liés à l’Etat par un contrat spécial comportant des avantages particuliers, il estime par contre que les ouvriers et employés des exploitations nationalisées doivent pouvoir se syndiquer, et, le 22 mai 1894, il votera l’ordre du jour Jourde, rédigé dans cet esprit, et dont l’adoption amènera la chute du cabinet Casimir-Périer. Pareillement, il votera, le 7 novembre 1895, en faveur du projet de résolution Puech invitant le gouvernement à respecter ce droit.
Nous arrivons à la triste période où l’exploitation de l’affaire Dreyfus par les internationalistes et les succès électoraux du parti radical, instrument politique de la Franc-Maçonnerie, vont orienter la III° République vers une politique passionnément anticléricale et antimilitariste. Les préoccupations sociales cèdent le pas à des luttes partisanes violentes. Chez de Mun, l’ancien officier et le chrétien sont également révoltés par le sectarisme de ce régime auquel l’obéissance aux directives pontificales l’a obligé à se rallier. Du moins, sera-t-il au premier rang des défenseurs de l’Eglise et de l’Armée, dans les combats désespérés qu’il va falloir livrer contre les démolisseurs de ces deux piliers de l’ordre français.
Ce ne sera qu’en 1909 qu’il pourra reprendre son action sociale. Toujours en avance sur son temps, il prendra l’initiative de proposer l’établissement de comités professionnels chargés d’établir des salaires minima pour les travailleurs à domicile. Il prononcera à cette occasion, un discours bouleversant sur les conditions inhumaines et immorales du travail des ouvrières en chambre et sur la barbarie du sweating system. Son vœu des minima de salaires pour les ouvrières à domicile dans l’industrie du vêtement ne sera exaucé qu’en 1915 par la loi du 1er juillet.
Enfin, en janvier 1911, de Mun présentera une proposition de loi règlementant le travail dans les établissements commerciaux. Son texte demandait pour leurs employés la journée de dix heures, la réduction de la journée de travail à huit heures le samedi et les veilles de jours fériés, un repos d’une heure et demie au milieu de la journée, la fermeture obligatoire et générale des magasins le dimanche. Une fois de plus, il ne sera pas suivi. Ce n’est qu’au lendemain de la guerre que toutes ces améliorations sociales deviendront légales, grâce à la loi du 23 avril 1919.
Depuis cinq ans, Albert de Mun n’était plus. Depuis cinq ans, sa voix, déjà affaiblie par le mal depuis de longues années, s’était définitivement tue. Ce cœur généreux et sensible, qui s’était usé à palpiter au rythme de tant de peines, de détresses et de misères, avait cessé de battre. Mais tout observateur de l’évolution sociale, de la France contemporaine, sera obligé de souscrire à la constatation faite par le cardinal Baudrillart, dans son discours de réception à l’Académie :
« Le Parlement français avait adopté ou était à la veille d’adopter lorsque mourut Monsieur de Mun, tout ce qu’il avait, véritable précurseur, proposé dès les premières années de sa carrière : repos hebdomadaire, limitation des heures de travail, semaine anglaise, protection du travail des femmes à domicile, des femmes et des enfants a à l’usine, assurances obligatoires contre les accidents professionnels, les maladies et la vieillesse, retraites a ouvrières et paysannes. »
A ce jugement général sur le beau combat mené par Albert de Mun contre la routine, l’égoïsme et l’injustice sociale, il convient, pour être complet, d’ajouter quelques observations particulières tirées d’une étude plus approfondie de son action.
Il faut d’abord noter que, sauf rarissime exception, les initiatives généreuses d’Albert de Mun se heurtèrent régulièrement à l’hostilité vigilante de la majorité républicaine, bien que ses membres, dans leurs programmes électoraux, se présentassent comme les défenseurs patentés et exclusifs du monde du travail. C’est pour souligner le conservatisme étroit qui se cachait sous l’hypocrisie des déclarations de campagne électorale que nous avons tenu à préciser les longs délais qui s’écoulèrent entre les propositions du chef des catholiques sociaux et leur admission dans notre Code du Travail.
Il faut ensuite reconnaître honnêtement qu’Albert de Mun mena ce combat social, non pas au nom de la démocratie, mais au nom de la Contre-Révolution. Ce député était antiparlementaire, nettement, et par doctrine.
« Le parlementarisme, voilà l’ennemi! » s’écriera-t-il aux Etats de Romans. Un esprit systématique pourrait même aller jusqu’à dire que l’Albert de Mun le plus ardemment social, – et les dates se prêteraient à son affirmation -, fut l’Albert de Mun ouvertement royaliste. Constatons seulement qu’avant son ralliement, Albert de Mun avait déjà proposé et soutenu toutes les réformes heureuses auxquelles son nom reste attaché.
Il faut aussi constater qu’il ne fut pas l’inventeur d’une doctrine sociale personnelle, mais le présentateur suprêmement éloquent des textes élaborés par une équipe qui mettait à sa disposition le fruit de leurs études communes.
Il faut enfin ne pas oublier que, même dans son action au Palais-Bourbon, s’il fut appelé par son talent éclatant à porter à peu près tout le poids des débats parlementaires, il y fut constamment aidé par un groupe de collègues, animés de la même foi généreuse et partageant toutes ses convictions.
Le nom d’Albert de Mun rayonne avec trop d’éclat justifié pour ne pas avoir éclipsé, pour le grand public, celui de camarades de combat plus obscurs.
Ce ne sera pas porter atteinte à sa juste réputation que de tirer d’une ombre imméritée ceux qui l’entouraient, le soutenaient, se portaient à sa rescousse et lui donnaient la certitude de traduire l’élan réfléchi des meilleurs disciples du Christ et des plus intelligents défenseurs de la monarchie traditionnelle.