(Article paru dans l’Action Sociale Corporative n°15)
Adjectif ou Substantif, ce terme est mis à toutes les sauces pour désigner une attitude d’égard envers les plus démunis, de bienveillance dans les relations humaines, de simple justice élémentaire ou pour octroyer des avantages par des organismes professionnels ou publics. Parfois on l’assimile au « socialisme », qui met toutes ces charges humanitaires aux mains de l’Etat. Il faut sortir de cette confusion du langage, qui brouille toutes les cartes.
Dans la conception individualiste, commune aux libéraux et aux socialistes, la société est composée d’individus sans aucune attache avec leurs communautés naturelles. Ce fut la philosophie des Lumières, consacrée par la loi Le Chapelier :
« Il n’y a plus de corps intermédiaires dans l’Etat : il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. » Elle reprenait les mêmes termes que ceux utilisés par les économistes libéraux :
« La recherche par chaque individu de son intérêt personnel est le meilleur moteur de l’intérêt général »
(J. B. Say, fin 18ème s.).
De ce principe est née la structuration de la société en partis politiques, opposés en deux camps : le libéralisme (l’intérêt individuel) et le socialisme (l’intérêt général). Dans l’un on exalte l’individu isolé, dans l’autre l’Etat les considère collectivement. Certes depuis la Révolution, des amorces d’organisation professionnelle se sont réalisées par nécessité, mais sans véritable pouvoir économique. Elles restent opposées et séparées en organisations patronales et syndicats de salariés. Les conventions collectives, les prud’hommes, les régimes dits sociaux, sont bien des structures paritaires, mais limitées à la défense d’intérêts sectoriels. Quant au Conseil Economique il demeure une instance consultative. Tous ces organismes se comportent davantage comme des organes de défense d’intérêts que selon la conception chrétienne de l’homme et de la société. Celle-ci, totalement différente, est fondée sur la notion de Bien Commun, qui sous tend des valeurs et une volonté de rechercher l’union et d’organiser ensemble l’économie. Elle considère la personne intégrée dans des corps intermédiaires, amortisseurs entre l’individu isolé et l’Etat ; ils encadrent, protègent, organisent leurs membres, passent des accords entre eux :
« Le caractère social de l’homme se réalise dans divers groupes intermédiaires, de la famille aux groupes économiques sociaux, politiques et culturels qui découlent de la nature humaine, ont leur autorité propre… »
Cette citation de Jean Paul II sur ce point dans Centesimus Annus est très claire : le qualificatif de social est surtout organisationnel, avant d’être charitable. Il évoque davantage une démocratie organique.
On entend souvent de bons esprits, conscients des excès engendrés par l’économie libérale, dénoncer l’ultra-libéralisme et préconiser une atténuation du libéralisme par desserrement des contraintes étatiques : moins d’Etat ou moins d’individualisme. Ils restent cependant dans le schéma libéral d’une société divisée en deux entités en perpétuelle opposition : l’individu et son seul contrepoids, l’Etat. Ils ne vont pas jusqu’à chercher à reconstituer ces entités intermédiaires et à leur octroyer de réels pouvoirs pour gérer de façon autonome les problèmes qui les concernent.
La conception chrétienne propose, non pas une voie médiane entre ces deux entités qui s’opposent, mais radicalement une autre voie : celle qui unit. C’est en cela qu’on peut parler d’ « économie sociale », où les corps intermédiaires ont une place prépondérante et des libertés réelles d’auto-organisation. Les partis politiques sont alors des organes très secondaires et l’Etat n’est plus l’organisme administratif tentaculaire qui gère tout, mais, totalement indépendant des partis et des corps intermédiaires, il retrouve son rôle originel, non de gérant du « social », mais de garant du Bien Commun et de la Justice.
Benjamin Guillemaind
www.alliance-sociale.org