Les principes sociaux de la monarchie

OLYMPUS DIGITAL CAMERADans un Etat politiquement juste, économiquement équilibré, ce que l’on nomme la question sociale ne se poserait pas en termes aussi pressants. Nous avons vu que la monarchie trouve sa raison d’être dans la nature fondamentalement sociale de l’homme et qu’elle a pour fonction de maintenir la masse des biens spirituels qui font que «chacun de nous en naissant trouve infiniment plus qu’il n’apporte ». Le premier service demandé au roi par le peuple est la distribution de la justice. Sans la Révolution, la question sociale en France ne serait que le problème de l’adaptation d’une tradition de justice à l’évolution continuelle des problèmes sociaux dans le temps.

Du reste il y eut des conflits sociaux même à la grande époque des corporations, au Moyen-âge. L’évolution de la société, les égoïsmes individuels entraînent des heurts qui reflètent surtout l’opposition inévitable entre les revendications de l’individu et les exigences de la société. Cet aspect Immuable de la condition humaine se retrouve partout où la force n’écrase pas toutes libertés. Bon ou mauvais, lent ou rapide, le changement est une loi de la nature humaine qui nous oblige à repenser à tout moment le problème de l’harmonie entre la liberté et l’ordre.

Le programme social de la Monarchie n’est pas affaire de démagogie ou d’opportunisme. Les principes fondamentaux en ont été formulés par le Comte de Chambord dès l865, à une époque où la droite et le centre républicains combattaient la formation des syndicats. Depuis, les princes, ainsi que les écrivains monarchistes, n’ont cessé d’y apporter les modifications imposées par l’évolution économique. Dans son essence toutefois, cette fameuse « Lettre sur les ouvriers » n’a rien perdu de sa valeur. Sa pertinence est toujours aussi grande. C’est que, contre le capitalisme et le marxisme à la fois, (mais on sait qu’ils sont les deux faces d’une même erreur), cette charte restaure le respect de l’homme. Pour le capitalisme, l’homme est un outil, pour le marxisme, la rencontre de plusieurs besoins. Pour la doctrine et la politique royale, l’homme est une personne. L’essentiel est là.

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La monarchie se préoccupa d’abord d’introduire plus de justice dans l’ordre féodal, sans toutefois pousser systématiquement à sa ruine. Elle ne créa pas mais favorisa le mouvement d’indépendance des communes puis celui des corporations où les valeurs spirituelles étaient essentielles avec l’ordre pour moyen. On ne peut reprocher aux derniers rois de n’avoir point réussi à adapter au nouvel état de choses les cadres périmés des anciennes corporations, ce qui était cependant souhaitable.

En 1673 Colbert rappelle dans une ordonnance : « Défense est faite aux maîtres de recevoir des aspirants aucun présent pour leur réception … défense de faire aucun festin à peine de nullité de la réception ».

Louis XV, qui fut un roi bien plus politique que ne le prétendent les historiens républicains, avait amorcé une réforme. Mais celle-ci allait à l’encontre du libéralisme bourgeois préconisé par le parti philosophique. Sous cette influence Louis XVI abandonna l’oeuvre d’organisation ébauchée par son prédécesseur. La révolution acheva d’imposer le libéralisme économique. Les ouvriers qui avaient en partie apporté leur concours aux journées révolutionnaires en furent promptement les victimes. Mais dans certaines villes, notent celles qui devaient rester légitimes après la chute de Charles X, une partie du prolétariat se rallia de bonne heure à la contre-révolution tandis que l’autre faction crut d’une façon « inébranlable qu’il y a, qu’il doit y avoir une révolution qui ne sera pas une escroquerie … que les espoirs de 93 sont toujours vivants ». La révolution gruge l’ouvrier et l’attire quand même vers elle. Le Père Bigot met en évidence les conséquences de 1789 :
« La révolution prépare tout le développement de la production capitaliste et toutes ses tares. Elle libéra le bourgeois, elle enchaîna le prolétaire ».

Ce sont les principes républicains eux-mêmes qui ont empêché la monarchie de faire la révolution naturelle et légitime que le développement industriel requérait. Jusqu’au début du XVIIIème siècle, d’ailleurs, le besoin d’ajuster la production et la consommation avait toujours été vivement senti. Il fallait éviter la surproduction ou la disette. La difficulté des communications, qui rendait presque impossibles les échanges de marchandises entre régions très éloignées, avait pour conséquence de rendre le problème présent a chacun. Le milieu immédiat subissait directement les secousses d’une production irrégulière. Certaines saisons, il advint que la famine régnât dans plusieurs provinces, quand, à l’autre bout du royaume, quelques autres étaient dans la surabondance. Ce que n’ont pas ou ont refusé de voir des historiens libéraux qui d’avoir relevé de-ci de-là des plaintes de chroniqueurs, concluaient à une épouvantable disette dans la France entière. Le développement du réseau routier au XVIIIème siècle qui fait une fois encore du royaume le premier au monde à être aussi bien pourvu, a brusquement multiplié les échanges, donné naissance au grand commerce et provoqué une telle intensification de la production que la question essentielle a été perdue de vue. Par contrecoup, toutes les règles morales qui doivent gouverner l’économie comme les autres activités humaines ont été, elles aussi, méconnues : juste prix, juste salaire, loyauté de la marchandise, toutes ces notions qui doivent assurer l’équilibre des échanges et les soumettre à l’ordre humain, sont devenues lettres mortes.

Historiquement c’est à l’encontre du capitalisme que la politique sociale de la monarchie a tout d’abord été définie et formulée. Dans ce rapport, nous allons, à notre tour, l’exposer d’ailleurs sommairement. Mais en condamnant le capitalisme libéral, nous réprouvons aussi sa conséquence naturelle, qui est le communisme. Nous ne nous priverons pas au surplus, d’en analyser les causes et les conséquences.

Pour situer plus commodément les principes sociaux de la monarchie en fonction de l’évolution économique et sociale de notre temps, il est préférable de rappeler les traits essentiels du capitalisme et du marxisme.

Le capitalisme se place sous le signe du progrès. Entendez qu’il se donne lui-même pour une chose meilleure que celle qui le précédait. Et c’est bien pourquoi le communisme ne lui dénie pas cette qualité, car, se donnant lui aussi pour l’aboutissement heureux d’une évolution fatale dominée par la loi du progrès continu, le communisme considère le capitalisme comme l’avatar nécessaire et dernier qui précède son propre avènement. Or la permanence de cette idée est précisément un des signes de leur perversité, à tous deux. « L’idée athée par excellence, dit Simone Weil, est l’idée de progrès ».

Jean-François BERTRAND – Extrait de : « Idéologies et réalités politiques »

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