Le sujet suscite toujours intérêt, curiosité et même un certain mystère. Qui sont ces « compagnons » ? D’où viennent-ils ? C’est leur histoire que re-écrit Philippe Lamarque, qui met en relief les mérites d’une institution qui perdure et se ré-actualise.
Au-delà des figures plus ou moins légendaires : enfants de Salomon, maître Jacques et père Soubise, héritiers des techniques de construction du temple de Jérusalem, il représente une institution associative, étroitement liée à l’organisation corporative en vigueur jusqu’à la Révolution française. Tout un ensemble de codes et de règles régit alors le monde du travail : chacun a sa place dans la hiérarchie sociale ; chaque corps de métier est une famille qui forme, intègre et protège. Avec l’explosion des techniques du Xème au XIV ème s. naîtront une quantité de métiers libres : la licence du Roi suffit pour s’établir. Puis des chartes pour les métiers jurés exigeront des épreuves d’admission, la production d’un « chef d’œuvre ». Ainsi les maîtres se portent garants des leurs, parce que la faute professionnelle entache l’honneur du corps entier. La fierté du métier suscite un esprit de corps et un code d’honneur.
On est encore dans l’esprit chevaleresque. Mais une bourgeoisie affairiste, disposant de moyens financiers, va transformer le monde du travail et briser la matrice des 3 ordres au nom de l’individualisme et du libéralisme. De son côté la royauté sacrée va évoluer vers une monarchie administrative et centralisatrice. Les guerres de religion auront des effets pervers, en divisant les « Devoirs », avec, chacun, leurs rites, leurs villes. De cette époque naît l’idée que la maçonnerie spéculative s’insère dans la maçonnerie opérative. Le colbertisme et les manufactures royales relégueront les compagnons au rang d’ouvriers interchangeables. L’ancien ordre finit par voler en éclat avec la Révolution. Le modèle protestant, d’inspiration libérale, favorise alors la concurrence, prohibe les ententes et donne naissance à la gouvernance. Le droit divin et la coutume laminés, artisans et salariés sont considérés sans corps intermédiaires pour les représenter face à la puissance étatique. Le syndicat ne sera qu’un pâle substitut pour défendre des droits essentiels. Le Compagnonnage sera traqué, car incompatible avec le nouvel ordre économique. Cependant des « Devoirs » survivront, plus ou moins inspirés des philosophies maçonniques, dont P. Lamarque nuance l’influence réelle selon les rites. Avec St-Simon et Louis Blanc ils militeront pour le principe coopératif et la fraternité ouvrière, tandis que naîtra parallèlement le catholicisme social. Ils tenteront en 1848 de se réconcilier sans succès.
Aujourd’hui le Compagnonnage a retrouvé une nouvelle jeunesse, bien que toujours séparé en 3 « devoirs ». Mais quelque soit la teinte philosophique, il représente un modèle de référence pour une conception du travail, opposée à la civilisation industrielle, mécanique, parcellaire, aux antipodes du capitalisme libéral, où tout est argent. Par ses similitudes avec le scoutisme, son appel à une morale exigeante, au triomphe de la volonté, à l’ascèse et à la fierté ouvrière, il reste l’héritier des traditions des corps intermédiaires, qui donne aux « laboratores » le sentiment d’appartenir à un même ordre.
Benjamin Guillemaind – www.alliance-sociale.org