SERF AU MOYEN-AGE
« A la nuit tombante, on voit s’en retourner le seigneur fièrement campé sur sa rossinante, l’épée au côté, une miche de pain sous le bras, avec son fermier en croupe. » Pierre Gaxotte
Il faut savoir tout d’abord que la condition de serf n’était point l’humiliation et l’esclavage qu’une certaine école révolutionnaire prône encore aujourd’hui, malgré de nombreux travaux d’historiens prouvant le contraire. L’organisation pyramidale de la société représentait un équilibre entre autorité et libertés où la responsabilité, le sens de la parole, la hiérarchie et la vie communautaire comptaient beaucoup. A cette époque, on ne pouvait concevoir de liberté sans puissance, pour des raisons de sécurité. « Le serf attaché à la terre, c’est la terre elle-même vouée au serf, vouée dans des conditions d’avenir et de sécurité dont les modernes conçoivent à peine les avantages. C’est, dis-je, la terre vouée au serf ; partant, c’est le propriétaire lui-même de la terre engagé envers le serf. Qu’on pèse les termes de cet engagement : il n’en est pas de plus rigoureux. En vertu et par l’effet direct de la servitude de la glèbe, le seigneur ne peut ni changer le serf de place, ni le renvoyer, ni ôter la succession de terre à ses enfants. Si la terre est vendue, le serf reste. Nos dénonciateurs appellent cela être vendu avec le champ. En effet, tout comme les locataires à bail d’une maison sont vendus avec la maison… Donc la servitude ou servage de la glèbe n’est que le nom d’un contrat perpétuel entre le propriétaire et le paysan… » ( louis dimier – Les préjugés ennemis de l’histoire de France p 161)
Voilà qui change pas mal de choses sur la situation tant décrié du paysan d’ancien Régime. L’étude des archives est très intéressante pour cela car on se demande quelquefois où sont puisé les sources historiques de nos histrions de collèges. Heureusement qu’il y eut l’affranchissement du servage diront certains ! oui, mais cela ne se passa pas toujours comme on pourrait l’imaginer car il se trouve que certains paysans refusèrent cette « libération ». Il pouvait même obliger son maitre à le garder et le cas n’est pas unique. On constate de nombreux cas de refus d’affranchissement dans l’étude des documents historiques. Louis Dimier parle de Philippe le Long récidivant l’édit de Louis le Hutin sur l’affranchissement des serfs de son domaine parce que ceux-ci refusèrent de suivre le premier décret. En 1711, les serfs du Duc Léopold refusent leur affranchissement… D’ailleurs le serf qui décide de partir travailler chez un seigneur plus intéressant, peut le faire et il ne s’en prive pas. On est loin des images représentés par nos livres de classes. A-t-on déjà vu des hommes demander d’être esclave ? On nous cache donc quelque chose???
DEVENIR SERF
Il était fréquent de voir au « Moyen-Age » des hommes libres se faire serfs. De nombreux cas au VIIIe siècle, alors que des dispositions furent prises pour sa diminution. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le tableau de l’historien Fustel de Coulanges, dans « les transformations de la Royauté « , livre IV ch.83, citant de nombreux exemples… N’oublions pas encore une fois que c’était un échange de services; protection contre nourriture entre seigneurs et paysans, seule condition de survie pour les deux contractants. Le paysan est d’abord un propriétaire. Il est le « tenancier » du seigneur. Ecoutons Louis Dimier :« Le serf vit de la terre à laquelle il est fixé. Il en vit non par voie de salaire, mais de récolte. L’usufruit de cette terre est à lui, le fonds seul restant au seigneur. Ainsi le serf (chose capitale) n’est pas tâcheron, mais fermier, et, par l’effet de la fixité, fermier perpétuel…Tout ce qu’on sait de positif sur l’existence des serfs atteste l’aisance et la prospérité. Pas un texte tiré des documents de fait, pas un mot ne signifie, n’autorise à prétendre qu’aucune sorte de misère matérielle ait été le partage de cette condition.« (Les préjugés ennemis de l’histoire de France p163-164).
Toutes ces citations montrent la différence séparant la condition du serf avec celle de l’esclave antique. Retif de la Bretonne écrivait :« Les habitants étaient possesseurs de leur « finage » presque entier; chacun cultivait ses terres, avait des bestiaux en proportion de ses fourrages et des engrais dont il avait besoin ». Le résultat de cette prospérité est l’épargne. L’épargne entrainant la propriété, souvent le rachat des charges et l’élévation sociale. On pouvait devenir plus riche que le seigneur où être serf de serf. Ecoutons encore Louis Dimier :« Rien n’est commun au Moyen-Age comme le cas du serf propriétaire : usufruitier seulement des terres de son seigneur, il tient d’autres terres en son propre. Voilà ce que recueille du régime de servage celui qu’on en croit la victime.« (Les préjugés ennemis de l’histoire de France)
Si certains seigneurs abusèrent de leur prérogatives (nous voyons cela beaucoup plus aujourd’hui avec la bureaucratie), les colères paysannes furent terribles, une des plus célèbres fut celle des Jacques (du nom de Jacques Bonhomme). La cruauté des conflits civils est malheureusement une spécialité de notre pays, mais il est à noter que les paysans ne touchaient pas aux ecclésiastiques et qu’ils se battaient aux couleurs du Roi. Ce conflit survint après la défaite de Poitiers et la grande peste de 1348. En fait, elle fut un mouvement de peur et de désespoir voyant les seigneurs vaincus par les anglo-navarrais et n’assurant plus leur rôle de protecteur. Malgré les quelques rixes qui surviennent ici et là et souvent entre villages, comme le dit Noël du Fail dans ses « Propos rustiques », d’une manière générale « Le château protégea le labour, qui le nourrissait« ( Louis Dimier ). Ecoutons ce grand historien qu’était Fustel de Coulanges: « Six siècles plus tard, les hommes n’avaient que haine pour ces forteresses seigneuriales. Au moment ou elles s’élevèrent, ils ne sentirent qu’amour et reconnaissance. Elles n’étaient pas faites contre eux, mais pour eux. Les générations modernes ne savent plus ce que c’est que le danger. Elles ne savent plus ce que c’est que de trembler chaque jour pour sa moisson, pour son pain de l’année, pour sa chaumière, pour sa vie, pour sa femme et pour ses enfants. Elles ne savent plus ce que devient l’âme sous le poids d’une telle terreur, et quand cette terreur dure quatre-vingt ans sans trêve ni merci. Elles ne savent plus ce que c’est que le besoin d’être sauvé.«
LE SERF EST UN LOCATAIRE
D’autant que les serfs avaient les droits d’usage sur la partie appartenant au seigneur, droit de glandée, de bois mort… Certaines terres n’ont pas de seigneurs, on les appelle des alleux. Là, vivent en autonomie des communautés paysannes. Le servage est inexistant en Picardie et diminue dans le reste de la France. A la fin du XIe siècle, il n’existe plus un seul serf en Normandie dit Brutails dans ses « Etudes sur les populations rurales du Roussillon », plus non plus dans le Roussillon dit Delisle. Il devient rare d’en rencontrer au XVe siècle. Sa destruction prend un caractère définitif sous Charles VII et Louis XI. « La seigneurie du XVIe siècle est presque toujours une seigneurie sans serfs ; vers 1340, elle était encore, assez souvent, une seigneurie avec serfs. Le recul du pouvoir seigneurial, en ce domaine, est considérable. »(Histoire de la France rurale). Ce n’est d’ailleurs pas le cas en Angleterre, pays privilégié de nos « Lumières philosophiques » où très tard encore survivra un servage autrement plus terrible que ce qui exista en France. Sur la terrible condition de serf en Angleterre, lire notamment des auteurs comme Robert Chambers, Hugh Miller et Archibald Geikie. Quelques endroits gardèrent jusqu’à la Révolution des restes de servage mais n’avaient plus rien à voir avec ses conditions fondatrices. Les accords fixés au début d’un servage pouvaient traverser les générations sans être modifiés. On trouve ainsi un homme cultivant perpétuellement quatre arpents de terre pour les moines du lieu et rien de plus. On pourrait comparer cet état avec des services rendus pour un logement de fonction, la situation de gardien où tout simplement de locataire… Dans l’Alsace et la Franche-Comté subsistait une forme de colonat dont l’obligation était l’habitation sur la terre cultivée. L’Abbaye de St Claude, dans le Jura, possédait les derniers serfs en 1789, pourquoi dit l’historien Pierre Laborderie : « Leur condition juridique était déjà supérieure; le clergé sut leur faire une condition matérielle plus favorable que partout ailleurs. Connaissant les difficultés et les incertitudes du travail agricole, une des grandes ressources de ses revenus, l’Eglise mit à l’écart du trouble général de la société un personnel rural considérable. »
Nous avons l’habitude de voir l’histoire avec nos yeux contemporains. Il faut regarder, comprendre, étudier sans idées préconçues, évitant les écueils des jugements abusifs et amalgames fâcheux. Le servage disparut pour une question d’amour propre. L’homme préfère se dire libre que dépendant d’un autre. Ecoutons Delaire, disciple du grand sociologue Le Play : « La disparition du servage, n’a été « ni révolutionnaire par son but », ni « théorique dans son origine », elle a été « l’œuvre graduelle du temps ». A mesure que la féodalité remplissait mieux son rôle et réglait le désordre, à mesure la prospérité des classes inférieures s’établit. De cette prospérité vint l’émancipation…En tout temps, la féodalité s’est constituée surtout pour les besoins des faibles et des petits, qui cherchaient à obtenir en échange de leurs services la protection des puissants et des forts… Cet état de bien-être, dont l’érudition moderne retrouve sans cesse de nouveaux témoignages, s’est partout altéré, dès que le sol disponible a commencé à faire défaut. Les propriétaires, loin de s’autoriser de la tradition pour retenir les jeunes ménages au sol natal, trouvèrent profit à les affranchir, afin de se soustraire aux charges d’assistance que la coutume imposait et que l’occupation complète du territoire rendait plus onéreuse. Là fut en Occident la cause spontanée de l’émancipation des serfs et de l’élévation graduelle des populations rurales. » La Méthode d’observation dans les sciences sociales. — Revue des Deux Mondes, 1″ juillet 1877 – Tome 22. P186
Mais on ne peut s’empêcher aujourd’hui de penser qu’à l’heure des millions de chômeurs, des « rmistes », des »nouveaux pauvres », un nouveau Moyen-Age serait accueilli comme une libération après la faillite d’une république devenant au jour le jour le pire des régimes…
LA REVOLUTION
Ecoutons Mathiez : « Paysans accablés par les réquisitions et les charrois, ouvriers exténués par une sous-alimentation chronique et acharnés à la conquête d’un salaire que la loi leur refusait, commerçants à demi ruinés par les taxes, rentiers spoliés par l’assignat, sous le calme apparent fermentait un mécontentement profond. Seuls profitaient du régime le troupeau élargi des agents de la nouvelle bureaucratie et les fabricants de guerre. » Tout changea lorsque la bourgeoisie grandissante, par l’achat de terres, voulut imposer des anciens droits tombés en désuétude ou simplement abandonnés par les seigneurs. Elle douta de la bonne foi des paysans ayant rachetés les droits aux seigneurs. Enfin, l’esprit arriviste des nouveaux propriétaires, imbus d’idées anglaises libérales, clôturant à la manière britannique les terrains en méprisant les petites gens, voilà qui furent les nouveaux riches amenant la Révolution. Ceux-ci seront fustigés par Proudhon quand il s’attaquera à un certain capital, car celui-ci n’avait plus rien à voir avec celui du service communautaire de l’ancienne France…Le seigneur est l’administrateur de la terre, don de Dieu et doit subvenir aux pauvres pour la noblesse d’ancien régime. Pour les bourgeois de 1789, la notion de propriété est individualiste, restrictive et sans devoir, la terre est à eux-seuls. Une autre époque commençait. Celle des terrains clos, de l’esprit étriqué et puritain triomphant, germé dans l’esprit de la Réforme, celui de la persécution du faible et du mauvais payeur. De ces abus naîtront plus tard, les anarchistes écœurés de la bande à Bonnot, que seul le royaliste Léon Daudet défendra dans les colonnes de « L’Action Française » en disant qu’ils n’étaient que les résultats de la situation créée par la désorganisation de 1789…
Le XIXe siècle verra l’abominable esclavage du monde ouvrier, désormais sans la protection des organisations corporatives d’avant 1789. L’arrivée d’un temps nouveau, celui où la bureaucratie domine et où l’homme passe de la condition de serf à celle de soumission totale à un faux bonheur matériel totalement dépourvue de toute relation humaine. Renan disait que depuis la révolution, l’homme naissait enfant trouvé et mourait célibataire. Notre époque n’a plus rien à voir avec la France de jadis, l’individualisme règne et notre grande maladie d’aujourd’hui, est la misère morale. La libération de demain sera dans la redécouverte de ce qui demeure les vérités essentielles de la vie et non de la survie dans un monde ou l’homme n’a plus sa place ou deviendra un robot. Le vieux maître de Martigues, définissait ainsi les raisons de son combat : « Nous bâtissons l’arche nouvelle, catholique, classique, hiérarchique, humaine, où les idées ne seront plus des mots en l’air, ni les institutions des leurres inconsistants, ni des lois des brigandages, les administrations des pilleries et des gabegies où revivra ce qui mérite de revivre, en bas les républiques, en haut la royauté, et, par-delà tous les espaces, la papauté. »