Donc, la République va s’implanter en France. Vous devez, par votre parole, par vos subventions à certains journaux démocratiques et par tous les moyens en votre pouvoir travailler secrètement à en amouracher les Français :
– Parce que tant que la République durera, la confiance ne pourra renaître. Ce régime inquiète si bien les capitaux que la moitié du dernier emprunt de deux milliards est encore à classer. S’il dure, la France ne trouvera certainement pas de banquiers pour répondre des trois derniers milliards qui lui restent à nous payer, et nous lui avons pris déjà tout ce dont elle peut disposer en numéraire.
– Parce que le parti républicain est, en France, le moins patriote. Pendant le siège de Paris les farouches républicains de Belleville, de Montmartre et de Ménilmontant ont été le type de la lâcheté tout en demandant à grands cris la guerre à outrance. Ils n’ont su que jeter leurs fusils dans les tranchées, hurler dans les clubs et souiller les Eglises de leurs ordures. C’est pour les avoir déshonorés en divulguant leur conduite dans ses ordres du jour que le général Clément Thomas a été assassiné par eux.
Ce sont des républicains du 4 septembre qui ont eu l’attention, lorsque Paris était investi par des Prussiens, d’inaugurer la statue de Voltaire, Chambellan de notre Grand Frédéric, et qui avait félicité ce prince d’avoir battu les Français à Rosbach. On n’est pas plus plat, plus lâche ou plus bête.
Quant à la Commune, son premier soin a été de faire insérer à son Journal officiel, la recommandation de ne rien faire, autour de Paris, qui pût nous déplaire. Elle a renversé la colonne Vendôme faite avec le bronze de nos canons. Vous voyez que les républicains de toutes nuances sont, plus ou moins, des nôtres. Avec l’Internationale, je les mènerai où je voudrai. Ils n’ont plus rien de leurs pères de 1792, à qui il restait quelque chose des sentiments de patriotisme puisés sous la monarchie.
Par contre, travaillez de toutes vos forces à empêcher le rétablissement de la monarchie.
Celle de Napoléon, passe encore. Elle a, elle-même, une origine et des antécédents révolutionnaires, des engagements avec les révolutionnaires de France et d’Italie ; elle est forcée de continuer à leur donner des gages, de pactiser avec eux comme par le passé. Par conséquent elle désorganisera aussi fatalement la France, qu’elle a déjà corrompue et abaissée. Nous n’avons donc pas à la redouter, le cas échéant. Mais je ne crois pas que les Français en veuillent. Deux fois les Napoléons ont laissé la France plus petite qu’ils l’avaient prise. Une nation vaniteuse ne pardonne pas cela.
Dans tous les cas, j’ai étudié personnellement Napoléon III. C’est un Raton dont Cavour et moi avons été tour à tour le Bertrand. Il a proclamé naïvement le principe des nationalités, mais ça été à notre profit.
Il n’a pas fait l’unité française en annexant la Belgique qu’il convoitait ; Cavour a fait l’unité italienne, et j’ai fait l’unité allemande. Il reviendrait sur le trône que je lui ferais encore tirer les marrons du feu. En le flattant, on fera de lui tout ce qu’on voudra. Entre nous il est facile à rouler.
Esprit versatile et sans suite, rien ne lui a réussi. Par sa guerre en Crimée et le soulèvement de la Pologne, il s’est brouillé avec la Russie. Par sa guerre d’Italie, il s’est brouillé avec l’Autriche sans se faire un allié de Victor Emmanuel. Tantôt il a joué celui-ci au profit du Pape, tantôt il a joué le Pape, au profit du roi d’Italie. Par sa guerre du Mexique, il s’est fait un ennemi de l’Amérique du Nord qui l’a impérativement prié de s’en aller, abandonnant le malheureux Maximilien.
Mal avec l’Espagne, mal avec l’Angleterre, mal avec la Belgique, méprisé au dehors pour son caractère fourbe et sa politique indécise, il s’est trouvé sans alliances et est tombé sous le poids du mépris de son propre peuple. Si le vent tournait de ce côté vous pouvez donc tendre les voiles.
Il n’en est pas de même des Bourbons.
Combattez surtout la fusion entre les deux branches de cette maison. Les Orléanistes, seuls, ne seraient qu’un moyen terme. Ils auraient encore pour adversaires les trois autres partis, et laisseraient la France divisée. Ce qu’il faut surtout empêcher, c’est leur fusion avec Henri V, c’est l’avènement de la légitimité :
1°) Parce que celle-ci représente l’unité et la grandeur de la France, par la conquête successive de ses provinces, y compris l’Alsace et la Lorraine.
2°) Parce qu’elle représente les idées d’ordre, de droit, de religion, qui sont les éléments sociaux de conservation et de grandeur.
3°) Parce que le principe de transmission héréditaire du pouvoir, exclut les ambitieux, les mécontents, les avocats qui s’entendent si bien à jeter leur pays dans les hasards des révolutions, pour pêcher en eau trouble.
4°) Parce que, le retour à ce principe, ramènerait la confiance, les affaires et la prospérité publique.
5°) Parce que le comte de Chambord, dans ses proclamations, a fait voir qu’il était à la fois homme de cœur et Roi libéral dans le bon sens du mot, conservant du passé et prenant du présentée qu’ils ont de bon.
6°) Parce que la monarchie des Bourbons a toujours été le symbole de l’honneur et de la fierté patriotique. Je me rappelle que lorsque l’ambassadeur d’Angleterre vint, en 1830, dire au prince de Polignac que son pays s’opposait au débarquement des troupes françaises à Alger, le prince lui répondit simplement : Milord, la flotte française appareille de Toulon tel jour ; s’il vous plait d’essayer de lui barrer le chemin, libre à vous.
Les républicains de 1871 n’eussent pas fait cette fière réponse. Ils sont et resteront toujours plus préoccupés des intérêts de leurs partis que des intérêts de la France. Leur patrie, c’est le monde, disent ces idiots, menés par l’Internationale.
Voilà pourquoi les bataillons des purs, de Belleville, de Montmartre et de Ménilmontant, refusaient de marcher contre nous, tandis que les légitimistes, les zouaves pontificaux, les mobiles bretons nous ont résisté héroïquement de l’aveu même de Gambetta. Voilà pourquoi, dans toute la guerre même un républicain notable n’est tombé sous nos balles, tandis que les de Mailly, les de Luynes, les Chevreuse, les Grencey, les Dampierre, les Segoyer, les Coriolis, les Brissac, les Bouille, les Charette, les de Sonis, les Vogué, les Quatre-barbes, etc., sont morts pour la France, ou ont versé leur sang pour elle. Si les Flourens et les Delescluze sont morts aussi, ça été en se battant contre les Français.
7°) Enfin, vous vous opposerez de toutes vos forces à l’établissement de la monarchie des Bourbons parce qu’elle seule peut ramener des alliances à la France ; notamment celle de la Russie ; et que l’Allemagne, prise entre la France et la Russie comme dans un étau, avec le Danemark au nord et l’Autriche au Midi, la Hollande, la Belgique et la Suisse à l’Ouest, serait gravement compromise. Alors vos craintes deviendraient fondées.