Depuis que je suis né, si j’en crois la récente étude du Conservatoire botanique de Brest, « 16 % des espèces de la flore bretonne ont disparu ou sont menacées » : ainsi, une part des couleurs de ma province natale n’est plus que souvenir et certains pourraient croire que je vais me contenter d’une nostalgie rassurante pour apaiser l’angoisse d’un lendemain de moins en moins fleuri. Si, effectivement, je regrette cette jeunesse qui fut la mienne, dans une campagne littorale où l’on pouvait encore trouver quelques tortues dans les champs (qui s’en souvient ?) et des fossés pleins de petites fleurs aujourd’hui remplacés par des trottoirs souvent fort inesthétiques, il faut évidemment voir plus loin, et passer du constat au combat.
Les raisons du dépérissement floral sont bien connues et il n’affecte pas que la Bretagne mais toutes les régions du monde, de façon plus ou moins brutale. Développement d’une agriculture très uniformisatrice par volonté productiviste et pour raison exportatrice, et très chimique, au risque de tuer toute nature sauvage considérée souvent comme inutile ou non commercialisable (donc non rentable) ; drainage des zones humides très riches en biodiversité (et dont les fleurs ne sont à la fois qu’un aspect et un maillon) et disparition des marais ; urbanisation, en particulier touristique et littorale, et surtout rurbanisation et grignotage des campagnes par un béton toujours plus envahissant, accompagné d’un gazon qui ne tolère pas les « mauvaises herbes » et éradique ces multiples petites fleurs qui troublent l’harmonie verdâtre de ces pelouses sans âme…
Que faire face à cette situation ? D’abord, prendre conscience qu’il est possible d’agir et de freiner cette dégradation de la biodiversité florale, et les associations de préservation de la nature comme les pouvoirs publics, locaux ou nationaux, peuvent jouer un rôle d’avertisseur et de protecteur. Cette prise de conscience a déjà eu lieu dans de nombreux endroits de Bretagne où, comme à Lancieux, existent des zones protégées, exemptes d’habitation ou de routes goudronnées, que survolent nombre de papillons multicolores, reflet des fleurs du lieu. Mais il faut évidemment augmenter le nombre de ces zones et inciter agriculteurs et particuliers à conserver des espaces un peu sauvages dans lesquelles fleurissent ces plantes : la replantation de haies, un petit carré de céréales préservé de tout herbicide ou la création (ou la préservation) d’un petit étang, ces choses simples et mille fois répétées en tous les endroits de Bretagne sur de petites ou moyennes surfaces, sans même gêner les activités humaines (mais peut-être plus quelques activités spéculatrices et immobilières…), peuvent permettre une meilleure préservation de la flore locale et, dans le même temps, favoriser le maintien, voire le (re)développement d’une faune aujourd’hui tout autant menacée par les aspects envahissants de la société de consommation.
Le Conservatoire donne lui-même quelques conseils, que Le Télégramme publie dans son édition du 29 juin : « « Nous savons que les prairies naturelles ou les zones humides abritent pas mal d’espèces menacées. Il faut tout mettre en œuvre pour en faire des zones protégées ». A ce titre, le conservatoire de Brest a établi plusieurs stations où des plantes rarissimes sont préservées. « Ces zones sont faciles à gérer. Il suffit de prévenir les propriétaires des terrains. En général, ils se sentent concernés et font tout pour nous faciliter la tâche. Ce qu’on leur demande est simple. Parfois, ça se résume à un coup de volant de tracteur, pour éviter d’écraser la zone ». » Cette responsabilisation sans culpabilisation des agriculteurs, et une bonne information des habitants comme des touristes sont les gages d’une heureuse diversité naturelle.
Sans négliger le rôle que peuvent jouer l’État et les autorités publiques locales dans l’achat et la gestion de zones plus vastes (et pas seulement littorales) destinées à mettre en œuvre des politiques de réintroduction et de reproduction d’espèces aujourd’hui en grand danger de par leur proximité avec des zones trop urbanisées ou trop polluées. S’il est bien certain que la Monarchie disposerait d’un atout privilégié pour l’écologie en enracinant une politique environnementale dans le temps long de la continuité dynastique, n’attendons pas pour agir et soutenir toutes les initiatives qui favorisent le maintien et le renouveau de la biodiversité florale comme animale !
Et gardons à l’esprit que « le désespoir en botanique est une sottise absolue » : une leçon d’espérance qui peut être étendue à d’autres domaines, bien sûr…
Jean-Philippe Chauvin