Le blocage matinal de l’université de Nanterre est-il vraiment une surprise, au regard de la volonté commémoratrice (encore plus que contestatrice) de quelques groupes activistes qui veulent « refaire Mai 68 » sans vraiment connaître autre chose que l’image d’Epinal que les médias en donnent depuis des années, y compris dans les manuels scolaires ? En tout cas, pour les étudiants condamnés à voir leurs partiels reportés à une date ultérieure et, pour l’heure, inconnue, c’est une bien mauvaise et douloureuse surprise, et ce n’est pas l’absurde revendication des bloqueurs d’une note de 20 « pour tous » qui pourra les rassurer, bien au contraire. D’autant plus que la même scène suivie de la même doléance risque fort de se répéter sur nombre de campus atteints par le même prurit nostalgique, et que les présidents d’université, soucieux d’éviter les affrontements (cela peut être louable, après tout, mais aussi dangereux à plus ou moins long terme), risquent de laisser pourrir la situation ou de céder à une part des revendications, particulièrement celles sur lesquelles ils ont compétence (dont la tenue ou la sanction des examens)…
Bien sûr, les blocages et les risques de blocages ne concernent que moins d’une dizaine de centres universitaires (sur soixante-dix environ en France) et une douzaine de départements d’études, ce qui affectent directement quelques dizaines de milliers d’étudiants sur environ 2,5 millions qui suivent des études supérieures (environ 1,5 millions en université), et aucune classe préparatoire n’est concernée ni « solidaire » des mouvements contestataires estudiantins. Mais cela serait une erreur de négliger le rôle politique des « minorités actives » (ce que Maurras appelait « les minorités énergiques », formule appropriée en l’occurrence pour saisir leur place centrale dans la contestation et, surtout, sa visibilité), et leur capacité à « attirer la lumière », principalement des médias qui jouent un rôle d’amplificateur par l’effet-loupe qu’ils assurent aux plus bruyants et à leurs actions. Sans oublier non plus le rôle des réseaux sociaux qui permettent une nouvelle mobilité des troupes et des idées contestataires... En cela, les groupes d’agit-prop (agitation et propagande) de l’extrême-gauche sont plutôt habiles et opportunistes s’ils ne sont pourtant pas très nombreux, en définitive, et ils savent aussi se nourrir d’un esprit du temps qui, lui, est bien l’héritage de Mai 68, et que Jean-Pierre Le Goff qualifie de « gauchisme culturel » dont l’écriture inclusive et l’intolérance « politiquement correcte » sont les aspects les plus irritants pour qui pense et écrit en ce pays.
Néanmoins, puisque l’on parle du sujet de l’accès à l’enseignement supérieur et des critiques sur les projets gouvernementaux sur l’éducation, cela peut être l’occasion de repenser la question de la place et du rôle de l’Université dans la société française de 2018, et de proposer, en bonne application de l’empirisme organisateur, des pistes de travail pour résoudre les problèmes posés par la mondialisation et les évolutions de notre société et de ses équilibres internes : la sélection-orientation ; l’autonomie véritable des universités et leur régionalisation-communalisation ; l’intégration de l’étudiant dans la Cité ; les missions intellectuelles, économiques et sociales de l’Université ; la séparation de l’Université et de l’État ; etc. « Sans la curiosité, aucun savoir n’existerait », affirmait Maurras, et nous y rajouterons l’imagination comme possible moteur de la réflexion, en évitant de tomber dans l’utopie qui mène souvent au pire…
Pour l’heure, et pour nombre d’étudiants affectés par le blocage de leurs examens, c’est l’inquiétude qui domine, mêlée à une colère qui pourrait bien déborder sous formes de claques et de coups de poing dont la légalité ne serait pas forcément avérée au contraire d’une certaine légitimité… Il y a un risque, si l’État républicain ne veut pas prendre ses responsabilités et assumer son rôle d’État (mais, « Tant vaut l’État, tant vaut sa raison », pourrait-on dire, et ce n’est pas forcément un compliment pour la République…), que les étudiants non-grévistes les prennent, et je serai bien en peine de les en blâmer. De plus, et pour répondre aux bloqueurs qui se croient des révolutionnaires (parfois de bonne foi, au demeurant, même s’il m’arrive de douter de l’honnêteté de leurs dirigeants du moment, déjà occupés à se loger dans quelque mouvement électoraliste, comme La France Insoumise ou Génération-s), il faut leur rappeler que l’insurrection la plus efficace contre le Système qu’ils prétendent combattre, c’est celle de l’intelligence : en cela, la lecture de Bernanos ou de Clavel est particulièrement utile, mais celle de « L’avenir de l’intelligence » de Maurras pourrait leur donner aussi de véritables débouchés de réflexion politiques « au-delà » de la simple contestation d’un mode d’entrée à l’université… En d’autres temps, c’est le royaliste Gérard Leclerc qui le rappelait, à la suite de Pierre Debray, et y incitait : le conseil me semble encore valable, quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur Charles Maurras lui-même.
Jean-Philippe Chauvin