Adieu Rodolphe, le Compagnon de Jehu !
« Le panache n’est pas la grandeur, mais quelque chose qui s’ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d’elle. C’est quelque chose de voltigeant, d’excessif… le panache, c’est l’esprit de la bravoure. Oui, c’est le courage dominant à ce point la situation qu’il en trouve le mot… Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime…le panache, c’est souvent, dans un sacrifice qu’on fait, une consolation d’attitude qu’on se donne. Un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, le panache n’est qu’une grâce ; mais cette grâce est si difficile à conserver jusque devant la mort, cette grâce suppose tant de force (l’esprit qui voltige n’est-il pas la plus belle victoire sur la carcasse qui tremble ?) que, tout de même, c’est une grâce… que je nous souhaite » (E. Rostang )
Je vais parler en quelques lignes de Rodolphe, disparu dans la nuit du 15 au 16 mars. Rodolphe pour ceux qui l’on connut, était d’une grande générosité, lorsque ses moyens le lui permettaient ce qui était fort rare, mais serviable, j’en ai gardé le souvenir lorsque les temps étaient difficiles… Nous nous sommes connus fin 1982, lorsqu’il débarquait de la section d’Action française de Rouen. Nous étions alors de ces jeunes loups, rebelles à la façon de Bernanos, lisant du Proudhon, Valois et vendant le journal dans la rue. Il en avait révolutionné les méthodes et personne que je sache n’a pu jusqu’à aujourd’hui dépasser nos scores de ventes d’alors. Pendant que certains trouvaient des excuses pour l’inaction, nous partions chaque jour, vendre « Aspects de la France » aux Trois quartiers (Printemps), devant les magasins, à l’angle de cette petite rue qui terminait au fameux « passage du Havre » près de St Lazare. Nous avions renoué alors avec la tradition des Camelots du Roi, je le vois encore avec son veston et son sac à journaux en bandoulière, il arborera plus tard son imper kaki où une veste de chasse. Nous nous faisions une amicale rivalité du meilleur vendeur mais il me distançait toujours d’une dizaine. Cela parait peut-être incroyable pour certains qui me liront mais imaginez tout de même que nous vendions à 2 et parfois à 3 plus de 500 journaux par semaine, dans un rythme avoisinant les 30 à 45 de l’heure !
Loin du statisme, nous faisions du « théâtre » dans la rue, on s’interpellait d’un coin à l’autre, raillant les grincheux, voir en les moquant par le rire, à la Cyrano, nous pourrions dire. C’était une époque où rien ne nous faisait peur, la jeunesse à cette folle idée que le monde est à ses pieds ! Nous avions 23 et lui 29 ans et passions, il faut le dire une bonne partie de notre temps ensemble, il dormait dans les sous-sols des bureaux de l’AF, dans la fameuse « Boutique bleu » de la rue du Pélican, lisant divers auteurs avant de s’endormir sur des piles de journaux. Il restera pour ma génération une sorte d’Henri Lagrange, admiré des uns, dénigré par certains, par confort et embourgeoisement, incompris par d’autres, voir quelquefois hait, mais il avait dans le regard, comme dans la parole, la détermination de l’homme qui va jusqu’au bout. Il mena l’opération de « La Marche Bleu », le 9 juillet 1994, aux Minquiers-Ecrehous, d’une main de maître, s’y entendant pour galvaniser les hommes, nombreux d’ailleurs, regrettèrent de n’y avoir participés. Il avait entraîné : la Confédération Paysanne, le CDCA Confédération des Commerçants et Artisans, des jeunes normands et le tout emmené par les Marins-pêcheurs de Carteret. J’ai gardé le petit journal qui devait être crée « Le Cri de la Chouette », dont j’ai encore sous sa Plume, le canevas créatif, ce sera finalement « La Lettre de Force Ouest » qui sortira, cela pour faire reconnaître l’exception Française sur ces îles. Nous étions partis tous les deux de la Porte de St Cloud, pour l’embarquement à 9h et le Comité de défense du Pays Réel, débarqua sur les iles (voir la vidéo en ligne). Nous fîmes une messe traditionnelle sur la plage et l’on planta la bannière normande au-dessus du drapeau Britannique ! Imaginez la stupeur des quelques policiers Anglais présents, indignés, mais on devenait des héros aux yeux des Marins-pêcheurs Français par ce défi relevé. Les force de police Anglaise nous menaçait d’une intervention, expliquant l’affront diplomatique tant pour l’Angleterre que la République Française, imaginez combien alors, cela pouvait nous toucher !
Nous avions dans la tête cet esprit conquérant, satisfait d’avoir réussi, sans coup férir, une belle opération de culot dont nous avions rendu compte, avant et après sur Radio Courtoisie, en compagnie de Serge de Beketch, aujourd’hui disparu. Puis avec Rodolphe ce fut la campagne pour le Québec libre de Jacques Parizeau (Référendum de 1995), avec l’association « Pro-Quebec », accompagné d’un ancien ministre du général de Gaulle et diplomate Philippe Malaud. Nous avions alors organisé un congrès constitutif sur une péniche du pont de l’Alma, le samedi 27 janvier 1996, avec SAR Sixte Henri de Bourbon Parme, une « feuille de chou » servait de journal coordinateur « Lettre de la Grande France » : « S’il est donc vrai que la France hexagonale est devenue trop petite et plus assez riche pour assumer le destin qui lui a été promis par son histoire, s’il est bien devenu fatal que la France ait à rechercher en Europe un espace politique et économique supplémentaire, cela peut encore se faire dans la perspective d’une EUROPE FRANCAISE. Celle-ci ne peut évidemment plus se projeter qu’à partir d’une France plus grande et plus puissante que l’hexagone » (R.Crevelle, Lettre de la Grande France, num.1).
Les « feuilles de chou » se multipliaient : « Bourbon-Québec » (1995), « La Lettre de Parme » (1994), « Francité » (1995). Rodolphe était infatigable agissant, comme au sein du Val D’Aoste, toujours en marge, comme un aventurier qui brûle son existence, sans réfléchir s’il était suivi, sans états d’âme. Vivant chichement, dormant au gré des occasions de ci de là, parcourant des kilomètres, sans arrêt, presque sans argent, au lieu de chercher le confort, sans se plaindre par une certaine pudeur, suivant sa quête déterminée par son caractère et son sang. Il gardait une certaine timidité, dégageant une humilité comme des rires, faisant de lui, une personne à part, de ceux avec qui, on ne s’ennuie jamais, le copain de la chanson de Brassens. Il était d’une énergie incroyable et d’une plume qui noircissait des lignes, des nuits entières, pour pondre un journal le matin, tout seul s’il le fallait ! « Je ne dors pas la nuit pour que ces autres puissent dormir, à l’ombre de mes veilles. » C’est aussi l’art de les rendre meilleurs, d’exiger de chacun le dépassement de soi : « Je souffre des hommes qui m’indignent » (Montherlant, le Cardinal d’Espagne). Bref, divers journaux sortaient des mains de Rodolphe, comme « La Semaine de l’Hérault », « Actu France » (2009), où inlassablement il écrivait sous son nom où divers pseudonymes comme Marc Dorcet, Gabriel Marc ? Netchaev. Nous nous étions éloignés de l’AF, lui déjà depuis bien longtemps, ne correspondant plus à nos attentes comme impératifs politiques, moi sur le tard… Nos chemins divergeaient alors dans les méthodes comme dans la stratégie, tout en restant royalistes, Rodolphe créait ses nouveaux projets du « Lys Noir », « Le Bonnet Rouge », « Arsenal », « Action Française Universitaire », « le Lys Rouge », tandis que notre amitié restait celle de notre jeunesse. Nous gardions sur les sujets essentiels comme le mondialisme, l’écologie, le fédéralisme, les questions sociales et économiques des similitudes de pensée, ma brochure sur Bernanos dont je te dédiais le premier exemplaire ne te verra malheureusement pas : « Nous sommes les combattants de l’homme ancien contre la méga-machine » (R. Crevelle, mars 2015), disait-il.
Fort de ses ambitions comme de ses certitudes, il savait braver tous les obstacles, tel un condottiere seul contre tous. Il savait lancer des canulars dans un humour grinçant et provocateur, n’ayant rien à perdre, pourfendant le système républicain comme en d’autres temps il l’aurait fait noblement avec l’épée. Il est vrai qu’aujourd’hui les rapports d’hommes sont rares, le système génère veulerie et lâcheté ! La notion du « coup d’état », du complot permanent l’a toujours habité, comme à tout royaliste digne de ce nom. Cela jusqu’au bout, lorsqu’il amenait encore récemment un Prince au milieu des « Gilets Jaune », renouant ainsi l’union, comme aimait à le dire Marcel Jullian : « Peuple et Roi sont de droits divin ». Il y croyait à cette marche sur Paris lui le normand alors que les chouans avaient échoué ! Ce « dernier coup de rein » comme il me disait avant que la vieillesse nous indispose. Le coup du sort voulu que la maladie l’emporte avant et gagne, là où ni la prison, les amendes, la répression, les procès comme les provocations n’avaient pu le faire fléchir…
Il est difficile de brûler son existence sans construire car on sème souvent de nombreux amis en chemin, comme on oublie l’affection des siens qui, même s’ils ne le disent pas, souffrent d’une activité devenue trop exclusive. Rodolphe fut rattrapé par la maladie qu’il savait présente et que souvent nous négligeons lorsque l’occupation que nous prenons pour essentielle nous tenaille. On pense toujours dire : un instant encore et puis on verra, mais elle sait nous rattraper et nous faire payer notre insouciance :
« Oh ! mais !… Puisqu’elle est en chemin, je l’attendrai debout, je crois qu’elle regarde… Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais ! Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès ! Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là !- Vous êtes mille ? Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis ! Le Mensonge ? Tiens, tiens ! -Ha ! ha ! les Compromis, les Préjugés, les Lâchetés !… Que je pactise ? Jamais, jamais ! -Ah ! te voilà, toi, la Sottise ! Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ; N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats ! Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose ! Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu, Mon salut balaiera largement le seuil bleu, quelque chose que sans un pli, sans une tache, J’emporte malgré vous, et c’est… Mon panache. » (Cyrano, E. Rostang).
Les souvenirs reviennent avec le temps, lorsque l’ami n’est plus, il hante alors nos existences par des interrogations comme des oublis. Il est là, toujours près de nous et parfois même plus proche car désormais il vit dans les limbes de nos pensées, il est nous-même, ayant partagé notre génération dans ses rêves. De petits détails reviennent, des sourires, les moments de détente, ces instants qui constituent les richesses de la vie. Je garde de Rodolphe, ce Camelot des premiers moments, cette complicité qui forgea notre amitié, ce vendeur indépassable et cet organisateur qui nous permis de mettre les pieds aux Minquiers, à la barbe des Anglais, voilà qui fut Rodolphe…
Adieu mon ami et comme tu me disais souvent : « A ne plus se perdre ! »
« Il y a des moments où on est las, de prendre sur soi les inquiétudes qu’ils n’ont pas, les indignations qu’ils n’ont pas, les justes haines qu’ils n’ont pas et d’être seul ou quasi seul pendant qu’eux ils rigolent à nous empoisonner la vie… » (Montherlant)
Frédéric Winkler