La question démographique n’est pas une question secondaire, et le croire serait une erreur autant vitale que sociale : l’avenir d’un pays repose sur sa capacité à vivre et à transmettre et, quand la vie semble négligée, seules les ruines encombrent le paysage sans qu’elles ne parlent d’autre chose que d’un monde disparu, mort. Les peuples et les nations sont mortels, et pas seulement comme sociétés : l’histoire est un immense cimetière de civilisations, et de nombreuses chaînes de transmission ont été brisées faute d’entretien démographique, moral ou politique. Il serait fort dommage que la France (ce qu’elle est et porte dans l’histoire du monde et des hommes) disparaisse à son tour dans une globalisation d’amnésie bien-pensante et de féodalismes identitaires et techno-financiers, d’où ce souci démographique qui anime ceux d’entre nous qui veulent un avenir français sans, pour autant, méconnaître les autres manières d’être au monde.
Or, les chiffres de la natalité et de la fécondité françaises de cette dernière année ne sont pas bons et peuvent même paraître inquiétants : le taux de fécondité (le nombre d’enfants par femme en âge de procréer) s’établit pour 2020 à 1,84 et le nombre des naissances n’a jamais été aussi bas depuis… 1945 ! Entrons-nous dans un nouvel hiver démographique, ou n’est-ce que la conséquence passagère d’une crise sanitaire dont nous ne savons pas encore la fin ? Or, au début du premier confinement, l’idée courante (mais fausse) était que l’enfermement contraint allait provoquer une embellie démographique neuf mois après, ce que la réalité vient de cruellement démentir. En fait, la crise sanitaire a accéléré un processus antérieur qui voit la fécondité française diminuer et la natalité avec, sachant que, déjà, le nombre de femmes en âge de procréer a logiquement diminué ces dernières années, conséquence du premier « baby krach » du milieu des années 1970 et de l’élévation de l’âge de la première maternité (presque 31 ans en moyenne pour les femmes françaises aujourd’hui) qui « étire » ainsi la natalité dans le temps.
Mais l’une des causes principales de la baisse de la natalité est politique, ce que rappelle le démographe Gérard-François Dumont dans un entretien très instructif publié par Le Figaro dans son édition du vendredi 12 mars dernier, intitulé, avec raison, « La France paie le démantèlement de sa politique familiale » : « Si l’on considère les niveaux de fécondité des pays européens et les différentes politiques familiales, le résultat est clair : les pays dont la politique familiale est faible ont les fécondités les plus basses. Ceux dont la politique familiale est moins timorée ont les fécondités les plus élevées. Jusqu’au milieu des années 2010, la politique familiale de la France lui permettait d’avoir la fécondité la plus élevée d’Europe, un temps devancée seulement par l’Irlande. C’était une politique qui, avec ses multiples déclinaisons financières, fiscales et de facilitation de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, satisfaisait les Français. Puis, sous le quinquennat Hollande, un démantèlement systématique est intervenu : fin de l’universalité des allocations familiales ; diminution de l’équité fiscale ; réforme du congé parental rendant celui-ci considérablement moins attractif ; forte diminution de l’autonomie fiscale des collectivités locales contraintes de revoir à la baisse leurs systèmes de grade de jeunes enfants. » Ainsi, la politique pratiquée par les socialistes au pouvoir a oublié qu’il ne faut jamais mélanger les genres et que confondre politique sociale et politique familiale entraîne une déstabilisation de cette dernière : c’est bien ce qui s’est passé, et la chute fut brutale, le taux de fécondité passant de 2,01 en 2014 à 1,84 en 2020, ce qui s’est concrètement traduit par une baisse significative du nombre de naissances.
Or, cette nouvelle situation démographique a des conséquences sociales et pas seulement sur les moyen et long termes, comme le souligne M. Dumont : « La dénatalité exerce des effets économiques à court terme sur la demande et sur le dynamisme économique, puisque l’enfant est un élément « actif » de l’économie. A moyen terme, c’est la population active qui diminue, par conséquent un potentiel moindre de création de richesses. » Des naissances en moins, ce sont des classes en moins, des professeurs en moins, des écoles en moins, et cela dès les premières années après le « creux » de la natalité : « En France métropolitaine, il naît désormais 100.000 enfants de moins qu’il y a dix ans. C’est un phénomène spectaculaire », explique dans la même édition du Figaro Yvon Sérieyx, chargé de la conciliation vie familiale-vie professionnelle à l’Unaf, et c’est un phénomène qui n’incite guère à l’optimisme.
Mais il y a un autre souci économique et social, c’est le financement des retraites qui risque d’être lourdement impacté par cette baisse de la natalité française, et cela dans un délai de quelques décennies, affectant aussi le système de santé ainsi que celui de l’assurance-chômage, du moins si le système d’une « solidarité nationale » effective et inter-générationnelle (retraites par répartition, sécurité sociale, etc.) perdure, ce qui reste à défendre face aux pressions de la mondialisation dérégulatrice et d’une Union européenne moins protectrice que ne peut l’être, malgré tous ses défauts (et ils peuvent être lourds…), l’État français hérité des années 1936-1962…
Alors, que faire ? Il serait évidemment nécessaire que l’État, qui n’est pas pour autant le maître des chambres à coucher, travaille à la mise en place d’une véritable stratégie, non pas seulement nataliste, mais familiale au sens le plus complet du terme, et qu’il s’appuie sur tous les acteurs économiques (sociaux, « corporatifs » et locaux) de l’ensemble français, pour la faire advenir : en somme, « susciter plutôt qu’imposer », en favorisant les familles et en soutenant les parents isolés, et toutes celles qui souhaitent avoir des enfants et en sont empêchées par les difficultés économiques du moment ou par les contraintes du milieu professionnel. Car il est un élément à prendre en compte, c’est le désir d’enfants en France qui est, pour les femmes en âge de procréer, de 2,3 : un chiffre supérieur à ceux que nous constatons aujourd’hui et qui est une promesse et une espérance si notre société sait répondre à cette attente ! Bien sûr, de la théorie à l’effectivité, il y a parfois une marge importante, mais il semble que l’enjeu en vaut la chandelle. De plus, il faut rendre aux familles et à leurs enfants qui sont « les parents de demain » des perspectives d’intégration au monde du travail et des possibilités d’une meilleure qualité de vie, et promouvoir une politique audacieuse d’aménagement des territoires, fondée sur le désir de plus en plus fort d’une vie extra-urbaine par exemple (désir exprimé par une part croissante de la population) ou d’une alternative « heureuse » à la société de consommation. En fait, ce ne sont pas les pistes qui manquent, et c’est aussi ce qu’avance le Haut-commissaire au Plan François Bayrou en train de préparer une note sur ce sujet. Encore faut-il que ce souci démographique ne soit pas la proie des seuls économistes, mais qu’il devienne une des priorités de l’État : en ce domaine comme en d’autres, « Politique d’abord » ! C’est la volonté politique qui peut permettre un rétablissement durable de la natalité, non dans l’excès mais dans la mesure et la raison qui, toujours, doivent guider l’action politique envers la société et les citoyens. La République en est-elle encore capable ? Il n’est pas certain que la réponse soit positive…
Mais, la bonne santé démographique d’une nation n’est pas la seule condition de la force de celle-ci, même si Jean Bodin expliquait au siècle de François 1er que, vraiment, « il n’est de richesses que d’hommes » : il faut y ajouter l’envie de vivre et de transmettre, le besoin de cette amitié nationale qui favorise l’unité des peuples du pays autour d’un axe fédérateur et qui doit s’imposer aux égoïsmes individuels ou communautaires, tous nécessaires mais devant être apprivoisés pour ne pas être empoisonnés… Que la Monarchie royale en France puisse s’apparenter à un État-famille, et que la France soit une « famille de familles », pourrait aider à la vie pérenne et toujours renouvelée de ce pays, « le plus beau royaume qui soit sous les cieux »…