« Lorsque l’on fit sauter à coups de marteau le cercueil de Henri IV, le corps du roi apparut enveloppé d’un suaire blanc encore intact. On dégagea la tête ; le visage de Henri était admirablement conservé, la barbe presque blanche, les traits à peine altérés. On le dressa contre un pilier, et chacun eut la liberté de le contempler. Les scènes les plus diverses se produisirent. Un soldat se précipita sur le cadavre et, tirant son sabre, coupa une longue mèche de la barbe royale, qu’il plaça sur ses lèvres en guise de moustache. Une mégère à la figure hautaine, voulant braver le vainqueur d’Ivry, avança le poing vers le visage du Roi, et le souffleta si fort que le corps tomba à terre. »
Dom Druon
Depuis ces derniers jours, les médias nous parlent de l' »heureuse » découverte de la tête du Roi Henri IV. Est-ce véritablement sa tête, ou est-ce la tête d’un inconnu ? L’historien Philippe Delorme émet des doutes. (A lire ICI) Néanmoins, personne n’ose parler de ce qui s’est réellement passé ce jour là, et comment la barbarie révolutionnaire a atteint son comble ! Les vivants ne leurs suffisaient pas, il leurs fallait désormais s’attaquer aux morts :
Profanations, un témoin raconte :
Il est intéressant de se reporter à la relation d’un témoin oculaire, Henri Martin Manteau qui assista à l’exhumation des Bourbons le lundi 14 octobre 1793.
L’accès du charnier lui avait été facilité par Dom Druon, ancien prieur de l’abbaye de Saint-Jean de Laon, réfugié alors à Saint-Denis où il remplissait les fondions de chartrier du monastère.
Il avait jadis été l’élève de Dom Druon au collège de Laon ; il en était resté l’ami. C’est grâce à la complaisance du vénérable religieux qu’il put pénétrer dans le caveau des Bourbons.
C’est ainsi qu’il lui fut permis d’assister à l’exhumation des corps de Marie de Médicis, d’Anne d’Autriche et de sa nièce Marie-Thérèse, de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV.
« Je soussigné Henri-Martin Manteau aîné, domicilié à Laon, département de l’Aisne, bibliothécaire de la mairie de ladite ville, déclare dans ma conscience la véracité des faits qui suivent :
Voici le détail des circonstances et particularités relatives à cette exhumation dont j’ai été le témoin oculaire. J’exposerai comment je suis parvenu à faire l’extraction des restes que j’ai conservés.
J’exerçais en 1793 les fonctions de contrôleur du dépôt des transports militaires, établi dans l’ancienne abbaye de Saint-Denis. Je résidais dans la même enceinte. Un ancien religieux de la congrégation de Saint-Maur y avait trouvé asile. Je reconnus en lui mon ancien maître. Nous étions liés par la conformité des opinions et des sentiments.
Je témoignai à Dom Druon le désir de visiter le caveau des sépultures royales ; il me conduisit dans l’Eglise par une petite porte de communication située dans l’intérieur de l’abbaye. Nous vîmes tous les magnifiques tombeaux, ces monuments des arts, dispersés et mutilés.
Nous descendîmes dans le caveau des Bourbons, dont les voûtes sépulcrales, éclairées de torches, retentissaient des cris d’une troupe de démolisseurs.
On venait d’ouvrir le cercueil de Marie de Médicis qui mourut à Cologne et dont le corps fut transféré à Saint-Denis. Il était en mauvais état, mais la tête était entière et garnie de beaucoup de cheveux. Aussitôt j’entendis les imprécations des ouvriers et autres assistants qui accusaient cette princesse du meurtre de son époux ; je ne discuterai pas ce point d’histoire. Cette rage, ces imprécations étaient, en tout cas, un hommage rendu à la mémoire de Henri IV toujours chérie, malgré la haine prononcée que l’on avait alors contre le nom de ce roi.
Les ouvriers, pris de rage, arrachèrent et distribuèrent au hasard les cheveux de cette Reine ; je tendis, au milieu du groupe, une main incertaine, qui parvint à en saisir une petite touffe que j’eus soin de conserver. Dans le même temps, on ouvrit le cercueil d’une princesse qui ne fut pas nommée ; le corps était mal conservé, une étoffe très épaisse et de couleur rousse annonçait une abbesse ensevelie avec l’habit de son ordre. (Ce corps était celui d’Anne d’Autriche, morte en 1666 et ensevelie en costume du tiers ordre de Saint François).
J’aperçus nombre de cercueils placés chacun sur deux barres de fer parallèles, ils avaient des formes différentes, quelques-uns figuraient la tête dans la partie supérieure, ensuite le cou par le rapprochement des côtés et les épaules par une plus grande dimension ; le reste du corps se terminait en gaine comme dans les momies d’Egypte.
Toujours sous la conduite de Dom Druon, je portai mes pas vers le cercueil ouvert de Turenne, placé sous une arcade, la tête vers la gauche, les pieds à droite – les curieux s’y étaient réunis. Le linceul replié sur les deux côtés et formé d’une étoffe de satin, laissait voir le corps dans un état parfait de conservation, la bouche ouverte, présentant presque toutes les dents; on observa que quelques-unes avaient été détachées. C’est ce qui peut avoir lieu à l’ouverture très prononcée de la bouche. Je crus remarquer, au bas des côtes, à gauche, un dérangement des chairs qui semblait désigner l’endroit frappé par le coup de canon qui ravit ce héros à la France. Ceci a pu être le sujet d’un examen particulier pour la personne qui, par un pieux artifice, fit de ce corps une momie oubliée jusqu’au jour où on rendit à Turenne un tombeau digne de lui. »
Le corps du grand homme serait allé rejoindre ceux des Bourbons dans la fosse commune sans l’intervention de plusieurs assistants « . » Il fut remis, dit le Dr Billard au gardien (de l’édifice) nommé Host, qui conserva cette momie dans sa boîte et la déposa dans la petite sacristie de l’église. Il exposa les restes du héros pendant plus de huit mois aux regards des curieux moyennant une petite rétribution. » Cet homme se permit même un ignoble trafic. Il ôta toutes les dents de Turenne pour les vendre tour à tour aux visiteurs. Au nombre de ceux-ci, se trouva un jour Camille Desmoulins. Le jeune orateur révolutionnaire voulut posséder un souvenir du grand Capitaine, et à défaut de dents, épuisées, se fit céder un doigt, que Host détacha du cadavre desséché.
L’année suivante, en messidor an II, un professeur du Muséum se trouvant au nombre des visiteurs du cadavre de Turenne, fut frappé de la conservation du corps. Il réclama la momie qui fut déposée dans une galerie d’histoire naturelle du jardin des Plantes, entre les restes d’un éléphant et d’un rhinocéros. Ce ne fut qu’en 1800 et sur l’ordre du Premier Consul, que le corps du grand Capitaine fut transféré aux Invalides.
Reprenons maintenant le récit de Manteau :
« Je sortis du caveau avec mon respectable ami, et délaissant la lueur rougeoyante des torches, je fus heureux de me sentir baigné dans la claire et chaude lumière du jour. Dom Druon me conduisait au cimetière attenant à l’église vers le nord.
Là, on avait creusé une large fosse pour y jeter confusément tous ces corps exhumés et assurer leur destruction totale. Déjà on avait apporté et jeté dans cette fosse le corps de Henri IV et celui de Louis XIII. »
Les deux princes étaient placés dans la fosse l’un à côté de l’autre.
Louis XIII à la droite de Henri IV, mais en sens inverse pour l’observateur. Louis XIII ne fut nommé que pour faire connaître l’identité de sa momie aux commissaires qui verbalisaient. Il était mince de corps et de taille médiocre; la stature de Henri IV était moyenne et les épaules larges.
Puisque Manteau n’était pas présent à l’ouverture du cercueil de Henri IV le samedi, reportons-nous sur ce point à la relation de Dom Druon :
« Lorsque l’on fit sauter à coups de marteau le cercueil de Henri IV, le corps du roi apparut enveloppé d’un suaire blanc encore intact. On dégagea la tête ; le visage de Henri était admirablement conservé, la barbe presque blanche, les traits à peine altérés. On le dressa contre un pilier, et chacun eut la liberté de le contempler. Les scènes les plus diverses se produisirent. Un soldat se précipita sur le cadavre et, tirant son sabre, coupa une longue mèche de la barbe royale, qu’il plaça sur ses lèvres en guise de moustache. Une mégère à la figure hautaine, voulant braver le vainqueur d’Ivry, avança le poing vers le visage du Roi, et le souffleta si fort que le corps tomba à terre. »
Nous avons laissé Manteau au bord de la grande fosse.
« Tout à coup, dit-il, on apporta et on déposa sur l’herbe un grand cercueil de plomb qui en couvrait un autre en chêne; l’inscription fixée sur le haut de la partie latérale à gauche et que j’ai lue, annonçait le corps de Louis XIV.
» A l’ouverture de ce cercueil, on reconnut ce monarque, sa haute taille, son âge au temps de sa mort et ces mêmes traits caractéristiques que les arts ont fait revivre; le corps, bien conservé, était d’une couleur d’ébène. On développa une très longue bandelette qui entourait le cou pour mieux assujettir la tête; jusque dans la mort, ce prince commandait le respect; par la sévérité de ses traits, il menaçait encore ses profanateurs. Incertains quelques instants et bientôt indignés de cette majesté survivante à elle-même, ils s’empressèrent de précipiter le corps dans la fosse commune. Il tomba sur celui de Henri IV, le couvrit presque tout entier et lui servit comme de rempart pour le dérober à de nouveaux outrages.
» Il se passa un assez long intervalle, qui permit aux spectateurs de satisfaire leur curiosité. Plusieurs descendirent dans la fosse avec une échelle appliquée sur une des extrémités. J’y descendis moi-même pour contempler les traits historiques de ces monarques et aussi dans le pieux dessein de sauver quelques reliques.
Mais, en vain, je m’approchai religieusement et à plusieurs reprises de ces corps serrés, en vain, d’une main timide, je soulevai les bras, les jambes même, toutes parties solides et d’une parfaite consistance; je n’osai entreprendre un larcin dont l’acte ostensible eût fixé l’attention des commissaires dont j’observais les mouvements.
» Il me fallut feindre l’indifférence du vulgaire en portant la main sur la bouche de Louis XIV pour détacher furtivement une de ses dents; ce fut sans succès, à cause de l’adhérence des lèvres. Enfin, après un moment d’hésitation, je saisis à la main droite un ongle qui se détacha facilement. Encouragé par ce début, je ne voulus pas me retirer sans avoir quelque fragment de Henri IV. Son corps un peu découvert par la position transversale de celui de Louis XIV présentait le pied droit; je saisis l’ongle du pouce… je sortis alors de la fosse.
» Au même instant, je vis descendre un charretier du dépôt, dont le dessein n’était pas équivoque – c’était pour outrager Louis XIV. Cet homme lui fit avec son couteau une large ouverture au ventre; il en retira une grande quantité d’étoupe qui remplaçait les entrailles et servait à tenir les chairs. Avec le même instrument il ouvrit la bouche qui était aussi garnie d’étoupe. Ce spectacle donna lieu aux bruyantes acclamations de la multitude.
» Aussitôt on apporta une autre momie : c’était celle de Marie-Thérèse d’Autriche, épouse de Louis XIV. Son corps bien conservé fut précipité sur celui du Grand Roi ; il tomba dans la fosse d’une manière qui signalait l’outrage; la tête, renversée, se trouva prise entre les corps et les parois de la fosse, tandis que les jambes étaient élevées presque à la verticale. La taille de cette princesse était petite; j’ai remarqué la délicatesse de ses pieds.
Ces quatre corps réunis furent les seuls que j’ai vus dans la fosse. Tous ceux qui restaient dans le caveau plus ou moins conservés y furent ensuite jetés.
Pour ne rien omettre de cette scène, je dirai qu’une femme, que je présumai être l’épouse d’un des commissaires, assise sur une pierre près de la fosse, prenait des notes avec un crayon. C’est ce personnage qui me donna le plus d’inquiétude lors de mes tentatives de soustraction. Les commissaires, donnant des ordres, se précipitaient partout alternativement, et leurs regards ne venaient pas toujours importuner mon entreprise.
La chaux vive fut employée pour consumer jusqu’aux éléments de ces corps, que le temps avait épargnés. »
Liste des profanations :
Profanations d’août 1793 :
Dom Poirier a assisté à l’exhumation, une première fois en août 1793. Notamment les tombeaux de :
Philippe le Hardi et d’Isabelle d’Aragon.
Pépin le Bref
Constance de Castille, femme de Louis VII
Louis VI.
Profanations d’octobre 1793 :
Mais, c’est lors de la deuxième vague de profanation, en octobre 1793, qu’ont été véritablement réalisées les exhumations. Les exhumations auxquelles il a été procédé en octobre 1793 sont, dans l’ordre, toujours selon le témoignage sous forme de procès-verbal de dom Poirier (on ne citera que les principaux personnages) :
12 octobre :
Henri IV
Turenne, son corps fut exhumé le samedi 12 octobre 1793, exposé quelques temps puis transféré au Jardin des Plantes de Paris, puis au Musée des monuments Français, et enfin sur ordre de Napoléon Bonaparte (qui deviendra Napoléon Ier) à l’église Saint-Louis des Invalides.
14 octobre :
Louis XIII
Louis XIV
Marie de Médicis
Anne d’Autriche
Marie-Thérèse d’Espagne
Gaston de France, fils d’Henri IV
16 octobre :
Henriette de France, épouse de Charles Ier d’Angleterre
Philippe d’Orléans, régent de France
Louis XV
Charles V
Jeanne de Bourbon
17 octobre :
Charles VI
Isabeau de Bavière
Charles VII
Marie d’Anjou
Marguerite de France, femme d’Henri IV
François II
Charles VIII
18 octobre :
Henri II
Catherine de Médicis
Charles IX
Henri III
Louis XII
Anne de Bretagne
Jeanne II de Navarre, fille de Louis X
Louis X
Jean Ier
Hugues le grand, père de Hugues Capet
Charles le Chauve
19 octobre :
Philippe IV le bel
Dagobert
Nantilde, femme de Dagobert Ier
20 octobre :
Bertrand du Guesclin
Bureau de La Rivière
François Ier
Louise de Savoie
Claude de France
Pierre de Beaucaire, chambellan de Louis IX
Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis
21 octobre :
Philippe V
Philippe VI de Valois
22 octobre :
Barbazan, chambellan de Charles VII
Louis II de Sancerre, connétable de Charles VI
L’abbé Suger de Saint-Denis
L’abbé Troon
24 octobre :
Charles IV le bel
25 octobre :
Jean II le bon
Louise de France, fille de Louis XV, rapportée depuis le couvent des Carmélites
Profanations de janvier 1794 :
18 janvier 1794 :
Marguerite de Flandre, fille de Philippe V