Petite anecdote…
Le trop célèbre et triste camp de Conlie (Sarthe) fut le théâtre d’une anecdote linguistique tragi-comique : le général de Marivault passant la revue entendit nombre de Bretons supplier : » d’ar gêr ! d’ar gêr ! »
Le général croyant à un accès de « patriotisme français » des Bretons, s’écria, ému : « Ces braves Bretons ! Même dans la pire misère, ils n’ont qu’un désir, se battre ! » Le général, ne savait pas le breton, il ne se doutait pas plus d’ailleurs que d’ar gêr signifie à la maison et non pas à la guerre. Les braves Bretons n’avaient aucune envie de se faire trouer ce qui leur restait de cuir pour un quelquonque Gambetta dont le nom orne maintenant sans vergogne les rues et places de Bretagne… Le rétablissement de la république, le 4 septembre 1870, fut essentiellement l’oeuvre de Bretons. Malheureusement, la délégation envoyée à Tours pour représenter le gouvernement hors de la capitale investie par l’ennemi, fut, à partir du 3 octobre, présidée par un jeune arriviste, brillant orateur mais politicien retors, Gambetta.
Keratry proposa à Gambetta de lever dans les cinq départements bretons une armée autonome de volontaires qui prendraient position aux environs du Mans, barrerait la route de la péninsule à l’invasion germanique, puis marcherait à la délivrance de Paris. Gambetta s’empressa de donner son accord.
Avec un génie de l’organisation extraordinaire, Keratry parvint en quelques semaines à transformer un mamelon situé à Conlie, en arrière du Mans, en un camp retranché imprenable de 500 hectares et à y faire parvenir 80 000 volontaires enthousiastes recrutés dans toute la Bretagne. Ils arboraient sur leurs képis l’hermine bretonne et leur drapeau, offert par le Comité républicain de Nantes, était la bannière ducale.
En décidant la création de cette armée autonome, Gambetta était sûrement de bonne foi : le jour où, bien entraînés, ces 80 000 hommes plein d’ardeur auraient été jetés dans la bataille, ils auraient pu renverser le rapport de force sur le front de la Loire… Mais devant le succès même de Keratry, l’efficacité de son action, l’enthousiasme soulevé par ses appels aux Bretons, il prit peur. Dans son esprit étroit de jacobin, un Breton était par définition un chouan et 80 000 chouans sous la conduite d’un général chouan (fut-il député de gauche) étaient un péril pour la République. Alors il conçut un projet abominable : profiter de ce que ces 80 000 hommes qui représentaient les forces vives de la Bretagne étaient concentré dans un camp pour s’en débarrasser. Il suffisait de les laisser dépérir sans soins en arrière des lignes, d’en faire la proie des épidémies, de les exposer sans armes à la mitraille prussienne.
Il mit son projet à l’exécution avec une habilité diabolique. Contrairement à ce que l’on croit, ce ne fut ni les nazis ni les anglais durant la guerre des Boers (1902-1905) qui inventèrent les camps de concentration mais Gambetta qui enferma 80 000 innocents à Conlie. I
l parvint, sans jamais cesser de dispenser promesses et bonnes paroles, à laisser l’armée de Bretagne sans armes. L’arsenal de Brest lui ayant rendu compte qu’il disposait de 3200 chassepots mais n’avait plus de fusil à percussion, il lui donna avec un humour particulièrement noir l’autorisation de livrer des armes à Keratry, mais uniquement des fusils à percussion!
Pendant ce temps, les volontaires ne pouvaient s’entraîner au tir et étaient voués à une inaction démoralisante.
Pendant l’hiver 1870, les hommes passaient leurs journées désoeuvrées sous la pluie ou dans la neige, les pieds dans la boue. Pour que sous leur tentes, ils dorment dans la fange, Gambetta s’opposa à toute livraison de paille. Il ne permit pas non plus qu’on leur fournit des vêtements chauds. Des épidémies de variole et de dysenterie éclatèrent et font des ravages dans les rangs.
Gambetta fit écrire à Keratry « je vous conjure d’oublier que vous êtes Breton » et lui donna l’ordre de se porter avec 12 000 hommes à la rencontre des Prussiens à Saint-Calais. Il télégraphiait simultanément au directeur de l’arsenal de Rennes pour lui interdire de remettre une seule cartouche à l’armée de Bretagne. C’était envoyer les 12 000 Bretons à la mort… mais l’opération échouât car l’ennemi n’était plus là: il était parti en direction d’Orléans et de la Loire.
Rompant alors l’accord du 22 septembre, Gambetta décida de mettre fin à l’indépendance de l’armée de Bretagne et de placer Keratry sous les ordres du général Jaurès. Keratry démissionna aussitôt; Gambetta le fit remplacer par le capitaine de vaisseau Marivault.
Dans le camp de Conlie, l’état sanitaire était devenu désastreux. Les Bretons mourraient en masse et l’État-Major expliquait: « C’est pour s’en débarrasser qu’ils ont été mis à Conlie et ils resteront à Conlie, dussent-ils tous périr. ». Gambetta trouva encore de bonnes raisons administratives pour suspendre les fournitures de vivres, tout en prescrivant : « il ne faut quitter le camp sous aucun prétexte. ». Mais Marivault pris sur lui de rapatrier une partie des effectifs en Bretagne.
Les survivants furent mis à la disposition de Chanzy qui les plaça au point le plus exposé de sa ligne de défense, la plupart sans armes. Quand les Prussiens chargèrent, ceux qui avaient des fusils tirèrent… les coups ne partirent pas, tant les armes et la poudre étaient mauvaises. Les Bretons ne purent que suivre l’armée française en déroute.
La décapitation de sa jeunesse, le sacrifice criminel de tant de ses fils provoqua en Bretagne stupeur et colère. En tant que député d’Ille-et-Vilaine, l’historien La Borderie rédigea un rapport accablant pour Gambetta, sur Le Camp de Conlie et l’Armée de Bretagne. Ce rapport fut publié sous forme d’un condensé de 124 pages dans les publications parlementaires du Paris-Journal en 1874 sous le titre Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur les Actes du Gouvernement de la Défense nationale.
Mais tout s’oublie puisqu’il s’est trouvé depuis des municipalités bretonnes assez ignorantes en histoire pour donner à leurs rues ou places le nom de Gambetta.