Les résultats des élections européennes ne sont pas vraiment une surprise, au contraire de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée et annoncée au beau milieu d’une soirée électorale jusque-là aussi ennuyeuse que d’habitude : tout d’un coup, l’on basculait de l’évocation et valorisation (pour certains, peu nombreux en fait) d’un bilan à une entrée en campagne, cette fois pour les élections législatives. Par cette décision pour le moins inattendue, M. Macron espère rejouer les lendemains de Mai 68, mais n’est pas de Gaulle qui veut, et il n’est pas certain que le réflexe des électeurs de juin 68, scandalisés ou apeurés par les émeutes et l’apparent triomphe des extrémistes, puisse être le même. Certes, la crainte de l’arrivée du Rassemblement National au pouvoir peut mobiliser nombre de citoyens jusque-là discrets ou absents des dernières consultations électorales, et lui barrer la route de Matignon, et il n’est pas interdit de penser, à trois semaines du premier tour, que c’est le scénario le plus plausible sinon le plus probable. D’autant plus que certains électeurs du RN, plus occasionnels (1) que fidèles, sont eux-mêmes effrayés de cette possibilité d’un Premier ministre issu des rangs de l’ancien Front National, un peu comme ces communistes qui, à l’heure de gloire du PCF, avouaient dans les sondages ne pas souhaiter l’installation d’un régime collectiviste en France (2)…
La période qui s’ouvre n’est pas rassurante, quels que soient les résultats du 30 juin et du 7 juillet : il semble bien que la Cinquième République, minée de l’intérieur par les multiples révisions constitutionnelles et par l’exercice incertain de ses derniers présidents (particulièrement des trois derniers) ainsi que par l’épuisement ou la fin des grands partis qui structuraient l’offre politique et récupéraient les inquiétudes autant qu’ils apprivoisaient les alternances, soit durablement fragilisée et qu’elle ne s’impose plus aussi naturellement dans l’esprit de nos concitoyens, sans qu’ils sachent vraiment par quoi la remplacer ou que cette dernière option leur paraisse, en définitive, peu souhaitable. L’habitude a remplacé l’adhésion…
Nous vivons, sans doute, l’entrée dans une crise de régime sans qu’elle soit forcément l’agonie de celui-ci. C’est, paradoxalement, l’actuel locataire de Mme de Pompadour qui avait saisi en quelques mots (et bien avant de penser même devenir, un jour, le premier magistrat de l’Etat) la contradiction interne de cette République : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là. On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie ne remplit pas l’espace. (3) » La situation présente confirme, fortement, gravement même, le propos.
Ainsi, la campagne électorale qui débute s’annonce violente, sans doute irrationnelle, parce que l’ancien pays légal, dominant depuis des décennies, se retrouve menacé, sur son terrain et dans ses positions, par le nouveau, ou par ceux qui aspirent à l’incarner à leur tour : en fait, les uns comme les autres ne cherchent pas exactement à bouleverser l’ordre des choses, ce « désordre établi » déjà dénoncé par Emmanuel Mounier dans les années 1930, mais à le diriger ou l’orienter (ou, plutôt, le réorienter). Il n’est pas certain que cela soit vraiment satisfaisant, ou simplement suffisant…
(à suivre)
Notes :
(1) : C’est le fameux « vote protestataire » qui est plus un vote « contre » qu’un vote positif de proposition.
(2) : J’ai le souvenir d’un sondage de la fin des années 1970 dans lequel la proportion d’électeurs communistes désireux d’un Etat proprement communiste ne dépassait pas la moitié des sondés ! Le vote communiste était plus un « vote de pression » qu’un « vote de révolution » : mais cela leur paraissait suffisant pour améliorer leur situation d’ouvriers ou de fonctionnaires sans avoir besoin de prendre le risque d’un basculement dans une société qui, au-delà du Rideau de fer, montrait ses limites et n’était guère attractive pour des Français bercés par la société de consommation et des loisirs. Le royaliste Pierre Debray résumait cela en évoquant « la victoire de Ford sur Marx », et ce n’était pas faux !
(3) : Entretien avec Emmanuel Macron, publié par Le1, en juillet 2015.
Jean-Philippe Chauvin
Le salaire décent, une réponse à la question sociale ?
Dans un précédent article, nous dénoncions l’hubris capitalistique de M. Tavares et des rémunérations peu raisonnables au regard de la décence sociale. Mais, que faire face à ces excès qui semblent devenus si naturels que l’on en oublie parfois ce que devraient être la mesure et, au-delà, la justice sociales ? Plutôt que d’évoquer, à nouveau, la politique d’Etat possible face à cette situation, il nous semble intéressant, cette fois-ci, de regarder ce que les grandes entreprises elles-mêmes peuvent faire pour remettre un peu de social dans l’économie : le cas de Michelin peut servir d’exemple utile et inciter à réfléchir à un « autre modèle »…
Certains, à la lecture des lignes précédentes (cf article précédent sur l’indécence sociale), hausseront les épaules et me taxeront peut-être d’utopiste (version sympathique) ou de démagogue (version classique), voire de dangereux gauchiste (version stupide). Et pourtant ! Si M. Tavares est le symbole d’une indécence sociale qu’il convient de dénoncer, sans doute parce qu’il représente et incarne le capitalisme dans ce qu’il peut avoir de plus odieux (1), il est des patrons qui n’ont pas son cynisme et son avidité, preuve s’il en faut que c’est un système idéologique et son esprit dominant qu’il faut combattre et non les chefs d’entreprise ou les cadres de celle-ci qui n’en sont, trop souvent (mais pas toujours, heureusement !), que le reflet ou les exécutants rendus dociles par l’intérêt ou la peur de ne plus valoir (ou paraître ?) aux yeux de la société contemporaine. Désavouer cette idéologie du capitalisme libéral sans limites ni devoirs et préparer une alternative crédible sur le plan économique et social en s’appuyant sur « les hommes de bonne volonté » tout en travaillant à l’instaurer par le moyen du politique (2), c’est évidemment nécessaire, et toutes les attitudes et initiatives qui améliorent les conditions de travail et de vie des salariés (mais aussi des travailleurs indépendants, bien sûr) sont bienvenues et à valoriser, même au sein du système actuel. Ainsi, les propos récents du patron de Michelin (3) en sont une bonne et bienheureuse illustration, véritable contrepied à la pratique de M. Tavares, et sont la preuve qu’il n’y a pas de fatalité sociale lorsque des valeurs supérieures à celles de l’argent animent les dirigeants industriels.
« Nous vivons dans un environnement turbulent. Nous passons d’un monde à l’autre, industriel à postindustriel (…). Face aux bouleversements de la société, à la question de la rémunération du travail, structurellement insuffisante, (…) les entreprises ont un rôle à jouer. Les gens qui travaillent doivent pouvoir vivre correctement de leur salaire. Il faut qu’ils puissent se projeter, sortir de la survie. (3) » Cette réaction du patron de Michelin à la smicardisation progressive (et éminemment inquiétante car elle témoigne de l’érosion de la valeur attribuée aux travailleurs et au travail lui-même par rapport à la finance et à ses jeux et stratégies) de notre pays est particulièrement intéressante et s’inscrit dans la logique d’une « économie au service des hommes et non l’inverse » telle que l’évoquait le pape Jean-Paul II dans son encyclique sur le travail et que la défendaient les catholiques et royalistes sociaux des temps de l’industrialisation. C’est aussi notre logique et notre combat contemporains pour la faire reconnaître et advenir, malgré l’idéologie franklinienne dominante…
Le salaire décent valorisé par M. Menegaux (salaire digne et juste, pour mieux préciser les choses) doit « permettre à une famille de quatre personnes, deux adultes et deux enfants, de se nourrir, mais aussi de se loger, de se soigner, d’assurer les études des enfants, de se constituer une épargne, d’envisager des loisirs et des vacances. » N’est-ce pas un bon résumé de ce qui devrait être assuré à tous, et pas seulement en France, et que souhaitait ardemment La Tour du Pin (1) ? Mais, à entendre certaines réactions agacées des libéraux de tout crin aux propos du patron de Michelin (4), c’est un véritable scandale, d’autant plus qu’il émane d’un patron d’une grande entreprise : mais ne sont-ce pas ces libéraux qui, par leurs offuscations, raniment ou entretiennent une sorte de lutte des classes (riches possédants façon Tavares contre producteurs de base salariés) que, par ailleurs, ils considèrent comme obsolète ou dangereuse ? Or, dans cette affaire, c’est bien du côté de M. Menegaux qu’il faut chercher la mesure et la justice sociale, celles qui ont manquées aux révolutionnaires de 1791 (5) et aux idéologues capitalistes du XIXe siècle : « Si notre activité économique se réalise au détriment du salaire décent, c’est que nous n’avons pas rempli notre mission. La performance de l’entreprise ne doit pas se construire sur la misère sociale » (3). La décence sociale pour tous, en somme, contre l’indécence sociale, en haut, de quelques uns…
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Le capitalisme est odieux et absolument condamnable quand il oublie la fameuse formule du penseur royaliste La Tour du Pin : « Le travail n’a pas pour but la production des richesses, mais la sustentation de l’homme, et la condition essentielle d’un bon régime du travail est de fournir en suffisance d’abord au travailleur, puis à toute la société, les biens utiles à la vie. » En replaçant les personnes avant les profits, La Tour du Pin remet ainsi la société à l’endroit : il est fort dommage que cette citation soit si peu évoquée et, sans doute, si peu connue…
(2) : En cette occasion, il n’est pas inutile de rappeler tout l’intérêt du « Politique d’abord » évoqué par Maurras, en soulignant qu’il s’agit, non de dire que « tout est politique » (ce qui est le propre de toute pensée totalitaire, en somme), mais de reconnaître que c’est le moyen politique et son affirmation face à l’économique qui peuvent permettre de pérenniser une stratégie sociale digne de ce nom et privilégiant les hommes et leur société d’appartenance (dans toutes ses dimensions) plutôt que les individualismes égoïstes et souvent déconstructeurs.
(3) : Entretien avec Florent Menegaux, président du groupe Michelin, publié dans Le Parisien, jeudi 18 avril 2024.
(4) : L’économiste libéral Jean-Marc Daniel, dans l’émission de Nicolas Doze les experts (sur BFM Business) du jeudi 18 avril, a mené une charge terrible et fort injuste contre les affirmations de M. Menegaux, y voyant même un danger pour l’économie toute entière… En somme, « cachez ce souci social que je ne saurai voir » ! Triste, et tellement révélateur de cette idéologie libérale si peu sociale qui domine dans les milieux dirigeants occidentaux (entre autres)…
(5) : 1791, l’année maudite pour les travailleurs français : les lois d’Allarde et Le Chapelier de mars et de juin ont été écrites et validées au nom de la fameuse « liberté du travail » (si mal nommée, en fait) et que Maurras moquait en la surnommant, au regard de ses intentions comme de ses applications, « la liberté pour le travailleur de mourir de faim », le travail étant devenu le jouet du possédant (financier ou industriel) doté de capitaux quand l’ouvrier n’avait plus de « métier » en tant que tel, mais juste sa force de travail à louer, celle de ses bras, en espérant en tirer un prix lui permettant tout juste de survivre dans un monde industriel et urbain pourtant de plus en plus riche, mais surtout, alors, de plus en plus injuste…
L’indécence sociale, fruit du capitalisme sans mesure.
Quand le sportif Lionel Messi arriva au Paris-Saint-Germain, une petite affichette manuscrite fleurdelysée et signée des Royalistes sociaux fut apposée non loin du Parc des Princes : « Messi, 41 millions d’Euros annuels ! Combien pour une infirmière qui sauve des vies ? 1 300 fois moins ! Halte à l’indécence ! », proclamait-elle crânement, sachant que les fidèles soutiens de l’équipe de balle-au-pied s’en offusqueraient, ce qui ne manqua point d’arriver, effectivement. Depuis, chaque année au moment des transferts de joueurs et des enchères étonnantes autour de quelques uns d’entre eux, ainsi que lors des assemblées générales d’actionnaires des grandes Firmes financières ou industrielles, les mêmes causes entraînent les mêmes indignations, dans une sorte de rituel immuable où chacun, selon son étiquette politique, tient son rôle et entretient son discours. Mais, au bout du compte, malgré les grandes envolées lyriques et les « Plus jamais ça » gouvernementaux, rien ne change, si ce n’est les chiffres, toujours plus hauts, des rémunérations des heureux bénéficiaires des largesses des propriétaires de clubs ou des conseils d’administration des entreprises… Ainsi, ce printemps, c’est – encore – Carlos Tavares, directeur général de Stellantis (entreprise automobile née de la fusion de Fiat et de PSA) qui anime cette chronique annuelle et perpétuelle, avec une rémunération de 36,5 millions d’euros pour l’année passée 2023 (votée par 70 % des actionnaires de Stellantis le 16 avril dernier), soit 13 millions de plus (soit 56 % en sus) que pour l’année précédente.
« Le trop est l’ennemi du bien », dit la sagesse populaire : cette formule s’applique tout à fait à la situation de M. Tavares, mais ne faut-il pas aller plus loin que cette indignation facile et poser ainsi quelques jalons d’une politique assumée de justice sociale, dans une mondialisation qui semble se rire des Etats et de leurs velléités sociales ? Tout d’abord, précisons notre point de départ : l’égalitarisme est une absurdité et les inégalités peuvent être protectrices quand elles prennent en compte les réalités et la diversité des situations possibles du travail et de ses revenus dans notre société ; ce ne sont donc pas les inégalités qui posent problème mais leur démesure sans justification crédible : elles deviennent alors des injustices sociales, et condamnables en tant que telles. De plus, ce n’est pas la richesse qui est choquante, et il est même fort heureux qu’une société ait un nombre de riches assez important pour oser investir et faire vivre nombre de métiers du luxe et de la qualité valorisée ; en revanche, ce qui scandalise, c’est l’accumulation abusive et statique des richesses aux mains de quelques uns, et l’irrespect des devoirs sociaux (et fiscaux) qui sont, pourtant, la contrepartie de la richesse et de sa reconnaissance dans une société équilibrée. C’est aussi, pour certaines fortunes, la malhonnêteté des moyens mis en action pour les acquérir, ou la violence économique et sociale qui y préside… Là encore, il convient de « savoir raison garder » et de faire la part des choses pour éviter de tomber dans une démagogie de mauvais aloi qui est souvent la marque d’une envie mortifère et la prémisse d’une destruction égalitaire inappropriée et forcément injuste.
Dans le cas spécifique de M. Tavares, certains diront que sa rémunération (six fois plus élevée que la moyenne de celles des grands patrons du CAC 40 français) reste néanmoins en-deçà de celles des grands dirigeants d’entreprises états-uniennes, argument pourtant peu compréhensible pour nombre de patrons et d’ouvriers français qui n’ont pas l’impression de démériter et se contentent de rémunérations beaucoup moins profitables. Bien sûr, l’on nous rétorquera qu’il faut prendre en compte l’importance de la firme multinationale que dirige M. Tavares et le nombre de salariés de celle-ci, ainsi que la situation de celle-ci sous sa direction, et il serait effectivement malhonnête de ne pas le reconnaître. Mais, dans le même temps, les salaires des cadres et des ouvriers n’ont pas connu la même progression, et la redistribution de 10 % des 19 milliards d’euros de bénéfices aux salariés du groupe (mais pas aux intérimaires) reste bien loin des 4,2 milliards d’euros versés aux actionnaires au titre des dividendes : le travail passe donc après la finance, une fois de plus, et cela paraît fort symbolique sans que cela soit dans le bon sens…
Dans une optique royaliste de justice sociale, c’est pourtant l’inverse qui devrait être la norme : le travail récompensé avant le capital investi ; les travailleurs avant les actionnaires, en somme, sans pour autant nier le rôle utile de ces derniers dans le financement de l’entreprise…
(à suivre : le salaire décent, une réponse à l’indécence sociale)
Pour des panneaux solaires français.
La transition énergétique se veut aussi une transition écologique, mais l’est-elle vraiment ? Il est permis d’en douter au regard de quelques éléments trop souvent négligés par ceux qui vantent l’écologie sans réfléchir à ses effets sociaux autant qu’environnementaux : l’incantation remplace trop souvent la réflexion et le court-termisme empêche de mener une véritable stratégie écologique, crédible et efficace. L’exemple des panneaux solaires est fort révélateur : vantés comme un moyen écologique de produire de l’électricité verte (ce qui n’est pas tout à fait exact si l’on considère l’extraction des matières premières nécessaires à leur fabrication et la difficulté de leur entretien et de leur recyclage), ils sont aujourd’hui fabriqués en grande majorité en Chine (1), au risque de tuer toute la filière européenne et française du secteur, tout cela dans l’indifférence totale de ceux qui invoquent l’écologie pour les élections mais l’oublient dans la réalité ! Là encore, la distinction maurrassienne entre le légal et le réel peut s’appliquer sans trop de difficulté…
Dans la revue Transitions et énergies de ce mois-ci, un article met en garde contre l’extinction complète du secteur solaire en Europe : « Si rien n’est fait, l’industrie européenne des panneaux solaires va purement et simplement disparaître. (…) La situation est assez simple. Il y a une surproduction mondiale de panneaux qui a conduit à un effondrement des prix et l’industrie européenne est incapable de faire face à la déferlante depuis deux ans de productions chinoises à prix cassés. » Ce que confirme Le Figaro (sur internet) à propos du péril qui pèse sur « l’un des derniers producteurs français de panneaux photovoltaïques » (2), l’entreprise Systovi aujourd’hui menacée de disparition : « Cet été, un « retournement brutal » est survenu : « Les Chinois ont divisé leur prix par deux en quelques semaines », se souvient le patron, qui précise que leurs concurrents vendent à perte. (…) « L’opération commerciale des industriels chinois, dont j’estime qu’elle est subordonnée et coordonnée (je n’ai pas de preuves mais c’est trop simultané et rapide) a mis un coup énorme aux carnets de commande des industriels européens », regrette Paul Toulouse. Si, sur une installation solaire, le panneau ne représente que 10 à 20% du coût total, « sur un total de 8000 euros, par exemple, cela fait 1000 euros ». Un coût non négligeable qui en incite plus d’un à tirer un trait sur le « Made in France ». » Cet exemple devrait inciter à se prémunir contre la concurrence déloyale permise par un libre-échange et une mondialisation qui priorisent les consommateurs au détriment, trop souvent, des producteurs : le prix bas à l’achat, véritable carburant de la société de consommation comme peuvent l’être le « désir infini » évoqué par Daniel Cohen, et la néophilie permanente déjà dénoncée par Konrad Lorenz dans les années 1970, cache trop souvent une stratégie asociale (voire antisociale) des grands groupes transnationaux qui peuvent exploiter sans vergogne des populations ouvrières mal payées, ces fameuses « classes sacrificielles » qui servent de marchepied aux puissances émergentes et aux générations futures promises à l’embourgeoisement, à cette moyennisation pas toujours heureuse des sociétés de la mondialisation.
Dans cette logique de la mondialisation concurrentielle, les producteurs français et européens sont défavorisés et mal protégés, et trop souvent abandonnés par l’Etat ou par les clients qui raisonnent, surtout pour ces derniers, en consommateurs à court terme, fort peu civiques quand le porte-monnaie est en jeu. Mais l’Union européenne n’est-elle pas aussi responsable du malheur des industries des énergies renouvelables locales ? « Les institutions européennes semblent considérer qu’accélérer l’équipement de l’Union en panneaux solaires, grâce à des équipements très bon marché, pourrait permettre d’atteindre les objectifs impossibles de production d’électricité décarbonée renouvelable. Et cela vaut bien le sacrifice final de l’industrie solaire européenne… », s’inquiète Transitions et énergies. Mais alors, n’est-ce pas lâcher la proie pour l’ombre et s’en remettre à des acteurs étrangers qui, le jour venu, penseront d’abord à leurs intérêts plutôt qu’à ceux des pays européens et de la France en particulier ? Le patron de Systovi paraît bien plus responsable que les institutions européennes et que les zélateurs du libre-échange sans entraves : « Si on veut faire la transition énergétique, on ne peut pas la faire en dépendant intégralement de puissances étrangères qui peuvent décider du jour au lendemain de nous arrêter dans notre chemin. Ce n’est pas possible. Il faut qu’on se donne les moyens d’être maître de notre destin », conclut celui qui a déjà lancé l’alerte depuis longtemps auprès des politiques ».
Il faut souhaiter que l’Etat français réagisse vite et qu’au lieu de dépenser à tout-va, il soutienne intelligemment les investissements dans les énergies renouvelables et les entreprises des secteurs stratégiques : sans tomber dans un étatisme jacobin de fort mauvais aloi, il appartient néanmoins à l’Etat de ne pas « laisser faire-laisser passer » quand l’avenir de nos industries vitales (3) est en jeu. Là aussi, l’indépendance industrielle française n’est pas une option souhaitable : elle est une absolue nécessité, y compris pour l’écologie.
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Le transport des panneaux solaires fabriqués en Chine n’est pas non plus une grande manifestation d’écologie : plus le lieu de production est loin du lieu d’implantation, plus l’empreinte environnementale du produit et de son transport est élevée…
(2) Le Figaro, site électronique, vendredi 22 mars 2024.
(3) : Ne dit-on pas, sur toutes les chaînes télévisées et radiophoniques que « l’énergie est notre avenir » ?
Quand l’oligarchie trahit la France.
La mondialisation contemporaine est aussi une affaire d’oligarques, sûrs d’eux et de leur pouvoir, et affligés de voir que le « bon peuple » ne les croit ni ne les aime (ce dont ils se fichent bien, en fait) : la colère paysanne, après le soulèvement des Gilets jaunes, les agace et ils n’ont de cesse de reprendre le contrôle, tout en vantant les mérites de l’ouverture à tout vent des sociétés et, surtout, des marchés. Ainsi, Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC et ancien membre de la Commission européenne, qui dans un entretien publié ce lundi dans L’Opinion, soutient avec vigueur le fameux traité Mercosur que M. Macron (1) a fait échouer il y a quelques semaines, quand les tracteurs avaient envahi les routes et qu’ils faisaient entendre leur colère toute légitime contre un libre-échangisme qui favorise la déloyauté commerciale des grands groupes agroalimentaires et de quelques pays opportunistes. Et ce monsieur, qui se dit socialiste (sic), rappelle comment il avait humilié la France tout en expliquant ce que devrait faire la Commission européenne pour contourner le refus français du traité Mercosur : « Si la Commission a du courage, elle demandera un vote à la majorité qualifiée, quitte à séparer la partie commerciale de l’accord. Je l’ai fait lorsque j’étais Commissaire européen pour importer en provenance des pays les plus pauvres sans restrictions quantitatives ni droits de douane (2), la France a voté contre, à cause du sucre, et a été mise en minorité. » Et c’est ainsi que ce triste sire, qui devait son poste… à la France, a trahi son propre pays, au nom d’une mondialisation qui ne devait jamais être freinée et était censée être heureuse pour les pays émergents quand elle profitait, et c’est toujours le cas, aux féodalités financières et économiques beaucoup plus qu’aux populations locales…
Son cynisme n’a d’égal que son mépris à l’égard des petits quand, au détour d’une argumentation sur « l’ouverture des marchés » et sur la priorité donnée aux consommateurs au détriment des producteurs et propriétaires locaux, il déclare, en évoquant l’histoire de France : « D’où un grand nombre de petits agriculteurs. Trop d’ailleurs, on en paye encore les conséquences aujourd’hui »… Cette dernière phrase dit tout, ou presque : « trop de petits agriculteurs », évidemment, ce sont des paysans qui cherchent à vivre de leur travail et de leurs terres, et ne se pensent pas comme de simples employés de grandes entreprises agroalimentaires, et qui sont encore capables de se révolter contre ce désordre établi qu’est cette mondialisation oligarchique et libérale. Des gêneurs, sans doute, des « enracinés » et non des fétus de paille taillables et corvéables à merci…
En tout cas, ces quelques phrases de M. Lamy montrent bien qui est l’ennemi de notre agriculture et de son « peuple de la terre », selon la belle expression du philosophe Robert Redeker… Ce M. Lamy n’est pas une voix isolée, il est juste le porte-voix de ceux qui feront toujours passer leur mondialisation et leur « Europe » (sic) avant les intérêts de nos paysans, de nos ouvriers, de nos classes laborieuses, celles qui travaillent et non celles qui profitent du travail des autres !
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : M. Lamy, dans une petite phrase pleine de fiel et de sous-entendus, rappelle que l’actuel président « est bien dans la culture politique française, et il n’a pas oublié son passage chez Jean-Pierre Chevènement » : en somme, en économie, M. Macron serait protectionniste, voire nationaliste… Si seulement c’était vrai, et pas seulement en économie ! Malheureusement, le chevènementisme supposé du président reste bien modeste, dans le meilleur des cas…
(2) : N’est-ce pas le cas pour l’Ukraine aujourd’hui, et son poulet produit en batterie dans des exploitations qui ne respectent pas exactement ce qui est obligatoire, au nom du bien-être animal, en France comme dans les autres pays de l’Union…
Les raisons de la colère paysanne.
Cela a commencé, cet automne, par des panneaux de communes retournés, et nombre de nos concitoyens ont d’abord cru à quelque plaisanterie d’adolescents… Puis, ce furent les échos, encore lointains, des manifestations d’agriculteurs d’Outre-Rhin ; et, tout d’un coup, un tronçon d’autoroute bloquée dans le Sud-Ouest, et des tracteurs que l’on entend plus près, plus insistants ; des ronds-points dans les campagnes à nouveau centres de toute l’attention des politiques et du gouvernement ; la grande peur du pays légal d’une nouvelle saison de Gilets colorés, cette fois verts…
« On marche sur la tête », voulaient signifier les panneaux retournés par des agriculteurs agacés avant que d’être véritablement en colère et en révolte : « pressés par des normes contradictoires, des taxes innombrables et une réglementation passablement complexe, – fruits de la nouvelle politique agricole commune (PAC) en vigueur depuis début 2023 – ils ont le sentiment de ne plus s’en sortir », écrit l’écrivain russe Olga Lossky dans les colonnes du Pèlerin (1), sage journal catholique dans lequel la question sociale n’est pourtant jamais oubliée au fil des numéros… N’est-ce qu’un sentiment, d’ailleurs ? Il me semble, à la lecture des témoignages des intéressés eux-mêmes, des analyses des économistes et des journalistes agricoles, et des chiffres nombreux qui accompagnent les articles de la presse (autant locale que nationale), que c’est plus encore une réalité, triste, vécue et subie surtout par des cultivateurs et des éleveurs français victimes d’un véritable système dont on ne sait plus trop où est le cœur (pour autant qu’il en ait un…).
Ce système nous est bien connu et il peut porter plusieurs noms pour le cerner et le définir : globalisation, mondialisation, gouvernance, capitalisme, libéralisme, société de consommation, individualisme de masse, règne de l’argent et du tout-économique, démocratie totale dite représentative mais, en fait, « d’apparence » (2)… C’est ce que les royalistes rennais du début des années 1990 avaient baptisé sous un terme englobant tous les autres : le globalitarisme, un système qui ressemble étrangement au monde parfait, lisse et intimement, infiniment, insidieusement violent que décrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Ce système n’est pas secret, il ne se cache pas, et il assume, avec le sourire et le langage, son côté obligatoire : « c’est pour votre bien », peut-il affirmer sans se départir de son masque de bienveillance qui n’est, justement, qu’un masque. Aujourd’hui, il se pare des atours de la transition écologique et de la lutte contre un dérèglement climatique qu’il a lui-même suscité depuis l’industrialisation du XIXe siècle et l’entrée dans la société de consommation au XXe siècle, deux modèles d’appropriation anthropique du monde poussée au-delà de ce que la nature elle-même peut supporter : un pompier pyromane, résumeraient certains sans se tromper, mais qui voudrait que les populations ne le voient que comme un sauveur suprême sans lequel plus rien ne peut exister de viable et de crédible… Pourtant, l’on aperçoit la mèche incendiaire qu’il traîne éternellement derrière lui !
La crise actuelle n’est ainsi qu’un élément d’un processus dévastateur déjà ancien et jamais terminé, et je crains que, une fois les tracteurs rentrés à la ferme et les élections européennes passées, le système ne reprenne sa terrible et destructrice marche en avant. L’Union européenne est, aujourd’hui, le vecteur de cette crise (mais n’est-ce qu’aujourd’hui ? Sans doute pas…) qui n’est jamais que la poursuite de la mondialisation elle-même, « ce fait qui n’est pas bienfait » comme je l’ai déjà évoqué ici : « L’élément déclencheur de cette épidémie de panneaux retournés [avant même le soulèvement paysan de cette semaine] ? La signature de l’accord économique de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le 22 novembre dernier. (…) Une autoroute commerciale privilégiée entre deux zones… situées à près de 20 000 km de distance ! De quoi avoir l’impression de marcher sur la tête, en effet : les marchandises venues des antipodes sont prioritaires sur le marché et ne respectent pas les critères environnementaux qu’on impose aux paysans français, ne fut-ce qu’à cause de l’empreinte carbone produite par leur transport. (3) » Ainsi, par pure idéologie économique libérale, l’Union sacrifie à la fois l’écologie et les paysans, derniers éléments, disent certains, du « monde ancien », celui qui était fondé sur la terre et les racines.
La présence pour l’heure pacifique des agriculteurs sur les routes et les ronds-points n’est-elle qu’un coup de semonce ou un baroud d’honneur, ou le début d’une « révolte prolongée » ? Les jours qui viennent donneront une réponse à cette question. Quoiqu’il en soit, il nous appartient de ne pas négliger cette contestation légitime et d’en tirer quelques leçons, non dans une simple perspective d’analyse, mais de proposition et d’action… La présence des royalistes (agriculteurs ou non) sur les barrages et au sein des cortèges agricoles ne doit pas se limiter à la dimension du témoignage mais prendre la forme d’un engagement concret pour la Cause paysanne.
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Olga Lossky, dans Le Pèlerin, jeudi 18 janvier 2024.
(2) : le terme de démocratie n’est pas forcément un gros mot pour le royaliste que je suis, mais encore faut-il préciser de quelle démocratie l’on parle et quelle définition l’on en fait, et pour quel usage. Favorable à une forme de démocratie communale ou à la désignation par le suffrage de représentants (et non de gouvernants) de la nation, je ne le suis pas à ce qu’elle devienne un mode de gouvernement qui transformerait l’Etat en succursale d’un parti ou d’un autre, ou qu’elle ne soit que le masque d’une oligarchie qui ne voit dans les électeurs qu’une clientèle…
(3) : Olga Lossky, op. cité.
Au-delà d’une COP28 peu convaincante.
Durant quelques jours, les regards vont se tourner vers Dubaï et sa COP 28, et nombre d’articles seront, une fois de plus, consacrés aux questions climatiques sans que l’on sorte vraiment, à quelques exceptions près, des lieux communs et des postures de circonstance : il n’est pas certain que la question écologique en soit plus éclairée ni le souci environnemental mieux considéré… Le bal des avions privés et des grands acteurs de ce monde précédera ce bal des hypocrites qui amuse désormais la galerie chaque automne, et le désistement de dernière minute du pape François, dont l’encyclique Laudato Si’ est aujourd’hui le texte écologiste le plus lu et diffusé au monde, paraît de mauvais augure : sa présence aurait eu l’immense mérite de rappeler à l’humanité (représentée par ses puissants du moment) la nécessaire humilité devant les forces qui lui échappent encore et toujours. Entre les discours catastrophistes des uns et le déni des autres, il serait pourtant bien temps (il n’est jamais trop tard, dit-on, mais il est quand même bien tard !) d’appliquer la saine formule capétienne de « toujours raison garder » : cette raison, cette mesure qui, par nature, s’oppose au système d’une société de consommation et de croissance qui oublie les limites de notre planète et l’épuise à trop vouloir en jouir sans entraves…
Le grand enjeu des années et décennies à venir va être de réussir à penser « la prospérité sans la croissance », cette dernière s’apparentant de plus en plus à une « croyssance », c’est-à-dire à la croyance en une croissance infinie et éternelle qui s’émanciperait (par la technique toujours triomphante de toutes les questions scientifiques) de toutes les contraintes environnementales et, même, de celles liées à la nature mortelle des êtres humains… La croyssance est une utopie, dangereuse comme toutes celles qui se veulent « seule vérité, seul espoir », et il n’est pas inutile de la dénoncer, non pour penser en homme a-scientifique, mais pour réfléchir à partir de ce qui est sans s’empêcher d’imaginer un autre destin que celui que voudraient nous imposer les technocrates ou les écolocrates des grandes institutions de la gouvernance mondiale.
L’écologisme intégral a pour ambition d’apporter quelques réponses aux questions écologiques contemporaines, et il est aussi l’occasion de rappeler que le combat à mener n’est pas seulement purement environnemental mais qu’il est, aussi et sans doute d’abord, politique et civilisationnel : négliger l’un de ces aspects serait condamner l’écologie préservatrice à l’impuissance ou à la seule « apparence ».
L’écologie et le Roi.
En cette veille de COP 28 qui risque bien d’être une farce malgré la présence (bienvenue) du pape François, il n’est pas inutile de rappeler pourquoi l’écologie sera intégrale et royale… ou ne sera pas !
« La question environnementale fait les beaux jours de quelques organisations dites « écologistes » à défaut d’être vraiment pratiquée par une République d’abord électoraliste…
Or, l’environnement, c’est beaucoup mieux que cela, c’est la vie même de notre planète, de nos sociétés, de nos proches.
Il est logique que les royalistes se sentent plus que concernés, puisque nous pensons, non seulement en termes de présent ou d’immédiateté, de passé et d’histoire, mais aussi en termes d’avenir, de cet « avenir que tout esprit bien né souhaite à sa patrie » et, au-delà, à nos propres successeurs.
Car nous pensons au-delà de nous-mêmes, soucieux de transmettre aux générations prochaines un patrimoine que nous espérons enrichir d’expériences et de bienfaits…
Si l’on en regarde la définition littérale, nous, royalistes, sommes des « traditionalistes politiques » et donc, à ce titre, respectueux de ce qui est nécessaire, et critiques, fortement et forcément critiques, de ce qui nous détruit, même dans le confort et dans la « joie » ludique de la « consommation à outrance ».
Deux formules de Charles Maurras peuvent à merveille résumer notre pensée de la transmission : la première, « Maintenir, c’est créer », c’est-à-dire préserver l’environnement sans en faire un musée (qui est la fossilisation de la vie) pour permettre la vie dans de bonnes conditions des générations futures et leur expression propre, leur épanouissement dans les formes qu’ils contribueront à créer, qu’ils pourront assumer…
La seconde, « La vraie tradition est critique », c’est-à-dire remettre en cause les principes de l’actuelle société de consommation qui « consume » ce qui a mis des millions d’années à se faire (pétrole, gaz, etc.), et qui détruit ce qui a mis des siècles à se forger (l’État, la nation, les traditions culturelles ou gastronomiques, le savoir-vivre et le mieux-vivre des générations qui se suivent sur notre terre, etc.).
Nous n’avons pas attendu les « Verts » pour savoir et dire qu’il ne fallait pas gaspiller le capital amassé au fil des siècles, qu’il ne fallait pas « enfumer » nos contemporains. Déjà, dans les années 1880, la revue satirique royaliste Le triboulet s’inquiétait des ravages de la pollution liée à une industrialisation anarchique et l’écrivain Paul Bourget, au début du XXe siècle, y consacrait des phrases terribles dans son récit d’un voyage en Angleterre. Et Maurras lui-même, dans les années 1950, s’en prenait à l’industrialisation sauvage des bords de l’étang de Berre. Que dirait-il s’il revenait !
Royalistes, nous inscrivons notre combat dans le temps long de l’histoire et du politique. Nous regardons au-delà des élections et des locataires de passage à l’Élysée.
Soyons clairs : aujourd’hui, pour incarner la véritable écologie, ce que l’on appelle parfois le « développement durable » (même si le terme reste ambigu et que nous lui préférons la sobriété, voire la décroissance), encore faut-il un « État durable », un État qui s’inscrive dans la durée, dans le long terme ; un État qui s’enracine dans la vie et la suite des générations.
Or, par essence, la Monarchie héréditaire c’est la suite même des générations à la magistrature suprême, c’est l’enracinement dans la longue durée.
Le Roi n’est que le maillon d’une longue chaîne humaine, fils de roi et père de roi : d’ailleurs, n’est-ce pas le plus naturel, le plus respectueux des cycles humains naturels, que cette transmission ininterrompue de père en fils ? Cela impose des devoirs au roi régnant, dont celui de préserver l’héritage, voire de l’améliorer… Il n’est pas indifférent de constater que le seul chef d’État, à ce jour, à s’être rendu pour un voyage d’étude sur le réchauffement climatique au Pôle Nord, est un souverain, le prince Albert II de Monaco, et qu’il avait été précédé par un autre prince, en attente de trône, le prince Jean de France, actuel Comte de Paris.
Quand la démocratie électorale promet le « toujours plus » pour gagner quelques places à brève échéance, qui prendra le risque, en particulier de l’impopularité (fût-elle passagère), pour mettre en place de vraies mesures écologiques dans notre pays, en particulier orientées vers une « société de sobriété » ?
Le Roi, lui, n’a pas à promettre, il doit agir, tenir et maintenir ce qui est et ce qui doit être par delà les élections et les discours, au nom des générations qui viennent.
L’arbre de Saint Louis n’est pas seulement celui de la justice, il est aussi le symbole même de cette vie qu’il s’agit de transmettre, et il incarne l’écologie intégrale, forcément royale en France si l’on veut qu’elle soit pleine et entière, efficace et crédible.
Bien sûr, le sceptre n’est pas une « baguette magique », mais instaurer la Monarchie en France, c’est donner un signal fort au monde et faire de notre pays un exemple, pourquoi pas un modèle, pour peser sur les décisions environnementales mondiales…
Ainsi, pour que vive la vie, nous crions, encore et toujours : Vive le Roi ! »
Le Roi, pour quoi faire ?
Le royalisme a un message original qui ne cherche pas à promettre mais à fonder, à refonder même, un pacte civique autour d’un État arbitral, fédéral et éminemment politique. Il ne s’agit pas de prendre une revanche sur une République qui, au cours de son histoire, a pu s’incarner en des personnalités fort différentes, d’un Danton corrompu à un de Gaulle détestant l’Argent, et en des idées parfois très antagonistes, de la Terreur liberticide à un conservatisme opportuniste plus prudent, de la Gauche socialiste (ou prétendue telle…) à une Droite libérale-libertaire, etc. mais de créer, d’instaurer un « autre État ».
S’il s’agit bien de remplacer la République, il n’est pas question de faire une chasse aux sorcières qui nous renverrait aux années Valls ou Castaner et à leurs limitations légales de libertés « au nom de la République » ! La Monarchie n’est pas une « contre-République » car elle ne se définit pas, d’abord, par la négation mais par la fondation et l’affirmation : elle n’aurait d’ailleurs aucun souci à utiliser les compétences de tel ou tel ministre de la République trépassée, ne lui demandant pas un passeport idéologique mais une pratique économique ou politique au service de la France.
S’il y avait un roi, pour ce qui est de la crise actuelle de confiance envers l’État, il ne se comporterait ni en magicien ni en charlatan, mais en réaliste et en « imaginatif » : pas de « sceptre magique » mais, parfois, des solutions simples et « de proximité » en exploitant les possibilités d’un véritable aménagement du territoire (vivier d’emplois encore sous-utilisé, par exemple), rendu possible par l’existence de ce fédérateur-né, statutaire, qu’est le roi. Une grande politique d’État, politique royale, impulserait cette réforme territoriale que la République, encore plus bloquante que bloquée, n’ose pas faire, de peur de déplaire aux féodalités locales qui la tiennent.
Là encore, le roi n’a pas toutes les solutions mais sa présence en permet plusieurs à la fois, puisqu’il symbolise l’unité du pays, assez fortement pour permettre toutes les initiatives provinciales, locales, nationales possibles : on retrouve là la notion de « levier monarchique » rendu possible par l’indépendance du roi, « né roi » donc libre des jeux électoraux et des pressions patronales ou syndicales…
Ce 11 novembre qui nous oblige…
Le 11 novembre 1973, collégien de Sixième à Rennes, je fus chargé de porter le drapeau du « lycée de jeunes filles Jean-Macé », établissement qui n’était mixte que depuis la rentrée de 1969… C’était un grand honneur pour moi et c’était aussi la première fois que je participais directement à une commémoration de l’armistice de 1918, serrant la main de quelques octogénaires qui, plus d’un demi-siècle auparavant, avait connu la boue des tranchées et la mort de leurs camarades d’infortune et de gloire. Jusque là, c’est du haut d’un immeuble voisin de la place du Champ de Mars que je regardais le défilé militaire, contemplant les matériels qui, pour l’occasion, étaient de sortie, et je ne connaissais alors les anciens de 1914 qu’à travers les drapeaux qu’ils portaient et qui, d’ailleurs, les cachaient le plus souvent. Ce 11 novembre 1973, ils étaient là, devant moi, et pourtant je n’avais pas encore la nette conscience du temps qui était passé depuis le Grand drame, premier mais pas dernier du XXe siècle, malheureusement. Les années passant, quand les rangs des poilus survivants s’éclaircissaient de plus en plus jusqu’à disparaître entièrement, je n’oubliais jamais ce jour-là d’assister en spectateur à la cérémonie et, dans les années 1990, j’y ajoutais le rituel, la veille et au moment même du souvenir officiel, de lire quelques pages de Tombeaux, ce recueil d’articles nécrologiques écrits et publiés quelques années après l’armistice sous la forme d’un livre sans ordre apparent par le théoricien du nationalisme intégral, Charles Maurras.
Sous la couverture ornée d’une femme casquée et ailée symbolisant la France comme Athéna la cité antique de la mer Egée, c’est un grand cimetière, un véritable Panthéon de l’Ancienne France qui se déploie au fil des pages : en fait, la Grande guerre a été le tombeau de la France d’Ancien régime, de la France monarchique et rurale qui, tout compte fait, avait survécu à l’ouragan révolutionnaire et au XIXe siècle industrialiste et progressiste. Car, si la République est véritablement née en 1881 avec les lois scolaires de Jules Ferry, la Monarchie, elle, n’est vraiment morte qu’en 1914-1918, du moins celle qui vivait dans le sentiment et la continuité de l’histoire de France depuis ses origines rémoises et capétiennes : la guerre mondiale a été l’occasion d’une grande Tabula rasa que même les années de la Terreur n’avaient pas réussi à faire, car provoquant des résistances dont le souvenir reste vif autant que détesté et contesté par la doxa républicaine officielle, particulièrement dans l’usine de l’Education nationale. Les Bretons, descendants des Chouans de Bretagne, du Maine et de Normandie, payèrent un prix extrêmement lourd au premier conflit mondial, et trois de mes arrière-grands-pères y laissèrent la vie quand, dans le même temps, mon grand-père maternel passait quatre ans dans les tranchées, principalement comme brancardier, fonction ingrate et éminemment périlleuse… Personne ne dérogea à ce qui était présenté comme un devoir patriotique quand, à bien y regarder, les gagnants de la guerre ne furent pas forcément les soldats vainqueurs… A la fin de Tombeaux, Maurras rapporte une anecdote terrible, qui rappelle aussi les propos sévères d’Anatole France sur les profiteurs de guerre : de passage à Verdun en février 1921 pour l’inhumation définitive de Pierre Villard qui avait été, avant-guerre, l’un des dirigeants des étudiants d’Action française et qui lui légua personnellement une somme importante pour donner naissance à la Revue Universelle en 1920 (une revue qui existe toujours un siècle après, fidèle au royalisme maurrasso-bainvillien de ses origines), Maurras visite la ville et les bords de la Meuse, accompagné d’un guide qui lui présente les lieux, dévastés par les combats. Gravats, ruines, désolation : « Autour de nous, à perte de vue, s’étendait un paysage de pans de murs fauchés à hauteur d’homme, de maisons décoiffées ou bien rasées du haut en bas. Seule, neuve, presque riante, refaite de pied en cap, ailes et toiture, une grande boîte de brique, de pierre et d’ardoise carrait et étalait l’orgueil d’une renaissance égoïste qui, jusque dans cette demi-ombre, offensait.
Je demandai qui était cette Nouvelle Riche.
Le guide répondit : – La Banque.
Ce n’était pas pour établir la sale royauté de l’or ou du papier que sont tombés tant de héros pleins d’intelligence et de vie. Devant la dictature financière que prépare la République, le souvenir des morts, royalistes ou non, ordonne d’en finir au plus tôt avec ce régime. »
Un siècle après, ces mots de colère et de dégoût résonnent bien étrangement… et ils nous engagent, d’une certaine manière : le souvenir des morts pour la France, que nous perpétuons dans ce temps malheureux d’amnésie confortable et conformiste, mérite plus que l’hommage ; il oblige à la réflexion et à l’action…
Jean-Philippe Chauvin