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Comment préserver la filière automobile française ?

Dans les années cinquante-soixante-dix du vingtième siècle, les voitures ont envahi les villes occidentales avant de conquérir celles des pays du Sud dans les décennies suivantes. Longtemps, la France a paru être une nation automobile, autant pour la production que pour la qualité de celle-ci, et pour la consommation, aussi bien domestique que sportive : L’usine Renault de Boulogne-Billancourt et la course des Vingt-quatre heures du Mans appartenaient au patrimoine français, et chacun se retrouvait, selon ses centres d’intérêt ou ses problématiques personnelles, dans l’une comme dans l’autre. Boulogne-Billancourt était le symbole de la classe ouvrière moderne et combattive quand Le Mans monopolisait toutes les attentions à la veille des vacances d’été et de leurs embouteillages sur la Nationale 7… Tout le monde se souvenait des exploits de Pescarolo ou de Beltoise quand les ouvriers et la Gauche se rappelaient que c’est à Renault que la troisième et la quatrième semaines de congés payés étaient nées. La voiture était alors « la bagnole » et elle représentait, pour les jeunes, la liberté quand les adultes (et les marques automobiles en jouaient) y voyaient plutôt un moyen d’affirmation et de hiérarchisation sociale… Si Mai 68 échoua, c’est aussi parce que les émeutiers avaient osé brûler des voitures dans le Quartier Latin, et la crise pétrolière de 1973 renforça l’impression que c’est l’automobile qui était le thermomètre principal de l’économie et du moral des ménages en France. En fait, tout cela, c’était le monde « d’avant »…

En voulant faire de la planète un seul terrain de jeu économique, la mondialisation a étendu celui de la consommation automobile tout en retirant des espaces d’ancienne production automobile les usines d’icelle : la mythique « Billancourt » a fermé ses portes dès 1992, puis tant d’autres, dans une relative indifférence des automobilistes et des autres, malgré quelques soubresauts à chaque vague de licenciements et de fermetures. La dernière grande usine ainsi sacrifiée sur l’autel de la mondialisation et de la profitabilité fut celle, siglée PSA, d’Aulnay-sous-Bois, qui employait plus de 3000 salariés. Mais celles qui restent aujourd’hui redoutent désormais chaque nouvelle annonce venant de la direction, de moins en moins française d’ailleurs… Comme le titre Le Figaro-économie du 26 juin dernier : « Sochaux, Poissy, Douai… les usines historiques se réduisent comme peau de chagrin », ce qui peut se traduire, socialement parlant, par : « près d’un emploi industriel (automobile) sur quatre pourrait disparaître en dix ans en France », soit environ 75000 postes d’ici 2035.

Pour autant, l’histoire est-elle déjà écrite, et l’Automobile française condamnée à disparaître du paysage industriel productif français ? Après tout, quelques éléments d’espérance subsistent et méritent que l’on y prête attention, et évidemment aide et soutien. D’abord, l’automobile individuelle et familiale est encore utile et adaptée, malgré les nouveaux enjeux urbains et rurbains (ou à cause d’eux…) : elle reste un mode de locomotion pratique, « de porte à porte » (ce qui n’est pas toujours possible avec les transports en commun) et susceptible de réparations, voire de recyclage rapide (sous diverses formes : récupération de pièces ou refonte de certaines pièces, par exemple). Elle reste populaire dans la population, particulièrement chez les ruraux ou les rurbains, et ceux-ci n’imaginent pas en être privés, malgré les risques sur les prix de l’énergie et les taxes, droits de péage et de stationnement, qui ne cessent de suivre une voie ascendante, sans parler des forfaits de post-stationnement, nouveau nom politiquement correct des contraventions, dont les tarifs en constante augmentation peuvent dissuader purement et simplement de venir en famille en centre-ville… Bien sûr, je ne méconnais pas les questions environnementales liées à la production comme à la circulation automobile, telles que les pollutions atmosphériques ou l’épuisement des ressources nécessaires à la fabrication des batteries électriques, par exemple. Et je rappelle que je prône un usage mieux partagé et plus modéré de l’automobile, entre solidarité véhiculaire et valorisation d’alternatives de mobilité.

Cela n’empêche pas de vouloir une industrie automobile forte en France qui puisse répondre d’abord aux besoins domestiques français tout en améliorant les qualités circulatoires et techniques des véhicules et en travaillant à l’amélioration de leur espérance de durée : en somme, des voitures solides et durables, performantes et économes en énergie, agréables et appropriées aux nouveaux enjeux contemporains, autant industriels qu’écologiques. Sans oublier leur accessibilité à un vaste public… Certains ironiseront et m’expliqueront que je cherche le mouton à cinq pattes : non, chercher le meilleur tout en restant le plus commun possible n’est pas une lubie d’intellectuel en chaise longue, mais une nécessité économique, sociale et environnementale pour qui souhaite inscrire l’industrie automobile française dans la durée et ne pas dépendre des marques étrangères qui concurrencent durement les nôtres sans tenir compte d’autre chose que de l’aspect de profitabilité…

Quelques pistes ont été sans doute (encore trop) timidement initiées, comme la règle du contenu local, qui commence à être évoquée en France et chez ses voisins, et qui incite « à réclamer en Europe une part de « contenu local » parmi les composants pour lutter contre leurs concurrents chinois. (…) « Au départ, les constructeurs n’étaient pas très enthousiastes sur la règle du contenu local, rappelle Luc Chatel (1). Aujourd’hui se dégage une position favorable de l’ensemble de la filière automobile au principe de contenu local. Pourquoi ? Parce qu’il faut arrêter d’être naïf. Les Américains, les Chinois l’imposent dans leur pays. Je ne vois pas pourquoi nous serions les seuls à ne pas le faire, en Europe. »
« Cette mesure pourrait limiter le déferlement de véhicules chinois électriques assemblés dans des conditions déloyales. Mais elle ne suffira pas à elle seule à inverser la tendance.
(2) » C’est sans doute là que l’Etat (français) peut jouer un rôle, même au niveau européen, non en prenant en charge la production automobile (ce n’est pas son rôle, et il faut préserver le régalien en évitant de vouloir que l’Etat se mêle de tout et de n’importe quoi, parfois…), mais en rappelant quelques règles simples de « concurrence loyale » et en menant une stratégie d’industrialisation intelligente fondée sur l’incitation, le conseil, l’innovation et le soutien aux entreprises françaises et à leurs usines présentes sur le territoire. Offrir un cadre protecteur à la filière automobile en France ne peut et ne doit surtout pas être confondu avec un étatisme forcément dévastateur car déresponsabilisant et paralysant : c’est en donnant aux entreprises les moyens de faire valoir leurs atouts et leurs initiatives qu’il est possible de préserver une filière automobile digne de ce nom, pas en faisant leur travail ou en les commandant directement, au risque de mal faire… L’Etat doit savoir rester à sa juste place pour être, dans ce secteur comme en d’autres, le plus efficace possible.


Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : Luc Chatel, ancien ministre du président Sarkozy, est désormais président de la Plateforme automobile qui fédère les entreprises du secteur automobile en France.

(2) : Valérie Collet, Le Figaro-économie, jeudi 26 juin 2025.





Protéger les ressources de la mer.

Dans une indifférence populaire assez tragique, se tient le troisième sommet de l’ONU sur les océans qui doit évoquer les mesures à prendre pour protéger les mers et les fonds de celles-ci d’une dégradation malheureusement fortement avancée et accélérée ces dernières années en conséquence du déploiement de la société de consommation et de croissance dans le monde, en particulier dans les pays du Sud global, ceux-là mêmes qui veulent accéder au paradis consommatoire sans beaucoup de précautions sur les moyens d’y parvenir. C’est un triste constat : les mers se vident, et « nous regardons ailleurs », pour paraphraser l’ancien président Chirac… Sur les étals du poissonnier, il n’y a jamais eu autant de poissons, dirait-on : pourtant, la part de poisson sauvage, elle, ne cesse de diminuer au fil des ans pour être remplacée par celle des poissons d’élevage. Sans doute parce que les prises de nos pêcheurs français, par exemple, si elles ne sont pas forcément mauvaises, pèsent de moins en moins dans la balance, le nombre de professionnels et de petits chalutiers ne cessant de diminuer. J’ai le souvenir que, dans ma jeunesse des années 1960, le port de Lancieux (en Côtes d’Armor) comptait une demi-douzaine de ces petits navires qui partaient pour la journée et revenaient les flancs chargés de produits de la mer, comme disent aujourd’hui les marchands et les économistes. J’ai aussi le souvenir que le petit pêcheur à pied que j’étais se glorifiait de ramener pour le dîner nombre de bigorneaux et de bouquets, quand, désormais, les rochers du littoral sont fort dépeuplés de leur petite faune comestible. La désertification des côtes n’est pas moindre que celle des fonds marins, même si elle est plus directement perceptible pour les anciens qui se lamentent devant le spectacle des trous d’eau et des dessous d’algues vides de toute présence animale.


Et pourtant, ce ne sont pas les alertes et les conseils pour préserver les ressources marines qui manquent, de la plage sur laquelle des panneaux bien illustrés expliquent la taille minimale des prises et les attentions nécessaires pour éviter de dévaster la biodiversité locale, aux magazines audiovisuels qui insistent, à raison, sur ces gestes simples qui peuvent permettre à la petite faune marine et littorale de se reproduire et de prospérer à nouveau. C’est évidemment utile, mais est-ce suffisant ? Malheureusement, j’en doute…



Ce qui est vrai pour les rochers de mon village côtier et les sables de mes fonds de baie, l’est aussi pour toutes les mers, aussi loin que le regard et la présence humaine puissent porter : là où il faudrait de la mesure et de la raison, c’est l’hubris consommatoire qui l’emporte, et qui emporte tout sur son passage, au détriment de la nature et de ses ressources, de ses richesses que l’homme veut s’attribuer dès maintenant et sans entraves. Que faudrait-il faire, concrètement, pour limiter cette dévastation ? Au-delà de la prise de conscience universelle (qui semble peu probable, malheureusement), quelques mesures simples (sans être simplistes) peuvent être avancées et appliquées : au niveau local, le gel annuel ou bisannuel d’une partie du littoral (jusqu’à une part, aussi, de ce que découvrent les grandes marées) pour laisser la petite faune se reproduire et prospérer (1) ; au niveau régional ou national, la mise en place d’une véritable politique de la Pêche qui concilie préservation des ressources halieutiques et intérêt bien compris des pêcheurs eux-mêmes (trop souvent oubliés par les oukases de quelques administrations peu conciliantes avec ceux qui vivent des produits de la mer) pour permettre à ces derniers de poursuivre dans de bonnes conditions leur métier et de pouvoir en vivre dignement (2) ; au niveau national et étatique, une politique de protection et de valorisation des Zones économiques exclusives de la France (y compris dans les zones polaires), que le gouvernement actuel semble vouloir promouvoir (insuffisamment, néanmoins), par exemple en interdisant le chalutage de fond ou le mouillage de plaisance dans certaines « aires marines protégées », celles qui, selon Mme Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, comptent les fonds marins « les plus sensibles et les plus riches en biodiversité »… Mais cette politique n’est possible que si la France engage une véritable stratégie de réarmement maritime (au double sens du terme, d’ailleurs…) et qu’elle se dote d’un grand Ministère de la Mer, autrement plus important que les « petits » ministères des dernières années et décennies, aussi peu crédibles qu’efficaces… La grande question de la souveraineté maritime française mérite mieux que quelques communiqués gouvernementaux ! C’est aussi vrai pour la question environnementale, et c’est même complémentaire et obligatoire pour qui souhaite que la France reprenne sa place dans le concert des puissances susceptibles d’assurer la protection des océans sans rien céder à la voracité des multinationales alimentaires, ces nouvelles féodalités plus économiques qu’écologistes…


Jean-Philippe Chauvin



Notes : (1) : Chaque commune littorale pourrait, avec l’aide des scientifiques, des naturalistes et des pêcheurs locaux (principalement amateurs là où il n’y a plus de professionnels), déterminer cette zone à geler (c’est-à-dire à interdire, non d’accès, mais de prélèvement de poissons, de crustacés et de coquillages sur une période donnée, plus ou moins longue selon l’état initial de la ressource concernée), et faire respecter cette interdiction temporaire de pêche en l’accompagnant, autant que faire se peut, d’activités pédagogiques de découverte et d’observation pour les habitants locaux et les estivants de passage.

(2) : Il n’est pas impossible d’imaginer une gestion par une forme (locale, régionale ou même nationale ? Ne fermons aucune piste de travail…) de Corporation des pêcheurs (ou des travailleurs de la Mer) qui aurait, statutairement et avec l’aval des autorités concernées, la mission d’assurer la bonne tenue des stocks des ressources comestibles marines ; fixerait les conditions et des quotas de pêche ; financerait, sur son propre patrimoine corporatif, les activités et une part des revenus minimaux des pêcheurs empêchés de prélever en période de disette halieutique ou de reconstitution du cheptel marin.

Sauvons la production d’acier en France !

Ce mercredi 23 avril est un jour noir (un de plus) pour le tissu industriel français, déjà si abimé par une mondialisation qui ne profite ni aux classes ouvrières, ni aux territoires anciennement industrialisés du Nord et de l’Est de la France…

Aujourd’hui, la direction d’ArcelorMittal France a annoncé qu’elle mettait 600 salariés sur le carreau, dont 370 ouvriers …
ArcelorMittal veut délocaliser une part de ses activités hors de notre pays (en Inde, semble-t-il), au moment même où la France a besoin de toutes ses forces industrielles, en cette période de périls géopolitiques et géoéconomiques : ce n’est pas acceptable !!


Soutenons les salariés français d’ArcelorMittal !

Les fonctionnaires méritent mieux que la République.

Dans la crise de la dette que connaît actuellement notre pays, il est parfois de bon ton de chercher (et de trouver…) des boucs émissaires : les fonctionnaires en font souvent d’excellents, semble-t-il, et les enseignants particulièrement, ce qui n’est pas forcément juste ! Bien sûr, certains verront dans mon propos une réaction corporatiste, par le simple fait que je suis moi-même professeur de l’éducation nationale, et cela depuis environ trente-cinq ans, ce qui m’a néanmoins laissé le temps d’apprécier les qualités et les défauts de la « classe enseignante ». Je n’ignore rien des légitimes sentiments et ressentiments à son égard. Mais ce n’est pas, pour l’heure, l’objet de mon propos : d’autres notes de ce site les évoqueront dans les mois prochains…

En fait, je voudrai ici rappeler une simple chose : les fonctionnaires sont utiles, leur fonction l’est, presque par définition, puisqu’il s’agit de faire fonctionner les rouages de l’Etat, et cela même s’ils sont parfois pesants, trop nombreux ou complexes, voire kafkaïens. L’Etat a besoin de fonctionnaires, mais sans doute peut-on penser que « tant vaut l’Etat, tant vaut sa Fonction publique », et, par là-même, ses fonctionnaires… J’avais trouvé, il y a déjà quelques années, un texte publié dans le numéro de mars 1933 du Bulletin mensuel des groupes d’Action Française de la Mayenne intitulé « Le Maine », bulletin dont j’ai désormais une belle petite (mais encore bien incomplète) collection. Un texte dont il me paraît intéressant de republier quelques phrases sur les fonctionnaires, au moins pour rappeler les responsabilités premières de l’Etat lui-même, Etat qui se dit « République » et, pourtant, oublie le sens latin du terme, de cette Res Publica qui n’est pas exactement celui de la République contemporaine, système idéologique et institutionnel (« l’absence de roi », disait Anatole France) souvent coupé du pays réel et de ses citoyens concrets : « Ce n’est pas à l’Action Française qu’on crie : « A bas les fonctionnaires » ; il est d’un régime sain d’honorer, de bien traiter ses fonctionnaires ; trop nombreux ? Certes ; trop lourds au budget ? Sans doute ; à qui la faute ? Aux institutions, pas à eux. Il est aussi d’un régime sain de protéger, d’encourager le commerce, l’industrie, la terre : à force d’user les richesses des individus on ruine le pays. Mais il est d’un régime fol de susciter les jalousies, d’attiser les rivalités, d’exciter des intérêts qui semblent opposés ; la République s’y emploie actuellement avec une science remarquable de l’intrigue et de la félonie. Habiletés, manœuvres, ficelles, qui ne remplissent pas les coffres. » En quelques mots, tout (ou presque) est dit : alors, il importe de ne pas se tromper de colère, et il importe encore plus de cibler les vraies responsabilités.

Sous la Restauration, le baron Louis s’écriait : « Faites-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances ». La formule vaut pour aujourd’hui comme elle valait pour hier, et elle peut s’appliquer, aussi, aux fonctionnaires eux-mêmes… « Faites-moi de bonne politique, et je vous ferai de bons fonctionnaires » ! Cela s’avère urgent, au regard des défis contemporains, d’autant plus en cette période de disette budgétaire…



Jean-Philippe Chauvin


Ne jamais désespérer de la France !

« L’espérance, le désespoir surmonté », Georges Bernanos.



Aujourd’hui, les vents ne sont guère favorables à la France. La démographie est, par exemple, révélatrice des difficultés françaises ou, du moins, des doutes des couples du pays : les chiffres de la natalité sont, encore, en baisse et ceux de la fécondité ne rassurent guère, avec un taux descendu à 1,62 enfants par femme en âge de procréer quand il faudrait un taux de 2,1 pour assurer un renouvellement rassurant des populations. Pourtant, si l’on en croit Le Figaro du 15 janvier dernier, selon l’enquête Vérian-UNAF (4) de 2023, « Les personnes en couple et en âge de procréer (18-44 ans) déclaraient en 2023 souhaiter dans l’idéal 2,27 enfants (…) Ce n’est donc pas faute de désir d’enfant que les naissances baissent ! (5) » Connaître et combattre les causes de cette dénatalité menaçante et dangereuse, y compris pour l’économie française (car « les bébés d’aujourd’hui sont le PIB de demain », selon la célèbre formule), est aussi un moyen d’assurer cette solidarité nationale sur laquelle reposent, par exemple, le système de retraites par répartition mais également nombre d’emplois publics (de la santé à l’école, en passant par le sport et la défense). Une politique sociale (donc familiale) de l’État doit s’inquiéter de cette question et, sans s’introduire dans les alcôves, soutenir le désir d’enfants en lui permettant d’advenir dans de bonnes conditions, même s’il n’est pas impossible de penser que c’est aussi par le renforcement social et politique des communautés et associations de base (familles, professions, communes, et les associations afférentes) qu’un esprit et un contexte favorables à l’accueil des enfants pourront le mieux s’affirmer et se concrétiser.



Mais cette politique familiale fondée sur une subsidiarité bien comprise doit être aussi soutenue par une stratégie économique ambitieuse : réindustrialisation et défense des entreprises implantées en France comme de leur écosystème local ; politique d’accueil favorable pour les investissements industriels des entreprises étrangères ; défense des intérêts français face aux concurrences étrangères, sous la forme d’un protectionnisme intelligent qui ne soit pas enfermement mais renforcement intérieur (par une production nationale de ce que nous désirons consommer et que nous pouvons produire dans notre pays, par exemple) ; etc. Le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis n’est pas exactement une bonne nouvelle pour l’économie française ni pour celle de nos voisins européens, mais elle peut être, a contrario, une occasion de refranciser notre économie et, ainsi, de mieux garantir notre indépendance à l’égard des entreprises multinationales étrangères et des nationalismes économiques d’Outre-Atlantique et d’Asie, devenus plus agressifs à mesure que les pays du continent européen s’affaiblissaient, dans un double mouvement de vieillissement et de « consommation sans production » (6)…



Mais nos concitoyens saisissent-ils toujours toute l’importance des thèmes abordés plus haut ? La logique de la Société de consommation a privilégié les consommateurs, au point de limiter l’approche des questions économiques et sociales au pouvoir d’achat et aux retraites (7), et il est difficile d’aborder d’autres sujets pourtant fondamentaux si l’on souhaite maintenir un niveau de travail satisfaisant et un niveau de vie équivalent dans les années qui viennent et pour les générations présentes comme à venir. Le rôle des royalistes sociaux est néanmoins de n’en négliger aucun, et leur présence près des agriculteurs menacés par la signature du Traité Mercosur comme près des ouvriers des usines automobiles ou de l’agroalimentaire ne peut être facultative…







Notes :



(4) : Union Nationale des Associations Familiales.



(5) : Communiqué de l’UNAF, cité par Le Figaro.



(6) : Dans les années 2000, la « mondialisation heureuse » vantée par nombre de grands patrons, imités en cela par des gouvernants aveuglés par la toute-puissance de l’économique sur le politique qu’ils pensaient inévitable, était devenue la doxa des élites, au point d’en oublier les réalités : ainsi, M. Tchuruk, patron d’Alcatel-Alsthom n’hésitait pas en juin 2001 à déclarer, bien imprudemment, qu’il souhaitait une « entreprise sans usines », considérant que la France ne pouvait plus être compétitive face aux entreprises du pays-atelier qu’était devenue la Chine et qu’elle devait se concentrer sur les brevets et les services… Si M. Tchuruk n’est pas à proprement parler à l’origine de la désindustrialisation française, il l’a au moins favorisée et, en tout cas, banalisée près d’un public « tertiaire » peu intéressé par le sort des ouvriers français.



(7) : Les questions démographiques, mais aussi celles autour des accidents du travail, de la fermeture des usines pour cause de délocalisation, ou du maintien des services publics en zone rurale ou semi-rurale… n’intéressent que ceux qui y sont, à leurs dépens le plus souvent, confrontés : il est un peu désespérant de voir le peu de mobilisation concrète quand une entreprise dont le siège social est installé en Italie ou aux États-Unis annonce qu’elle va mettre un terme définitif à une activité industrielle pourtant fortement ancrée dans la mémoire de notre pays. Les conserveries Saupiquet en sont le triste exemple : rien, ou presque, n’est venu troubler l’agonie de l’usine de Quimper, en décembre dernier… Désormais, le nom de Saupiquet n’est plus français : qui s’en soucie encore ? Nous, sans doute, mais avouons que ce n’est – malheureusement – pas suffisant…



Crise de la République…


La Cinquième République est en crise : ce constat est d’une terrible banalité, mais il n’enlève rien à sa réalité et à ses dangers pour notre pays. Non que la République soit défendable, loin de là et bien au contraire, mais cette situation du cadre institutionnel actuel de notre nation française (cadre qui régit les services publics, décide des politiques économiques et sociales, indique des directions et se doit d’assurer la tranquillité des populations et des territoires) fragilise notre rapport au monde et notre crédit aux yeux d’autrui, et démontre à l’envi la justesse des analyses royalistes d’une faiblesse structurelle de l’Etat central (quand beaucoup pensaient et pensent encore qu’elle n’est que conjoncturelle) et de ses vices qui, malgré la parenthèse gaullienne (elle-même loin d’être totalement satisfaisante…), sont inhérents à tout régime qui laisse la démocratie s’emparer de la magistrature suprême de l’Etat, dans une erreur de positionnement que l’histoire juge souvent sévèrement et, parfois, cruellement (1). Il n’est pas possible de se réjouir du malheur de la Cinquième quand celui-ci fait aussi, par la force des choses et l’enchaînement des faits, le malheur du pays : « la politique du pire est la pire des politiques », s’exclamait avec raison Charles Maurras. Mais il est urgent et toujours utile de dénoncer cette République qui désarme le pays face aux enjeux et aux risques contemporains, et d’évoquer, aussi fortement que possible et de la manière la plus crédible et constructive que faire se peut, la nécessité d’une magistrature suprême de l’Etat ancrée dans le temps long et indépendante par son statut non-électif et héréditaire, parce que éminemment, politiquement, institutionnellement royal.

Le désordre politique actuel n’est pas le fruit d’un malheureux hasard mais celui de la volonté hasardeuse d’un homme qui, monocrate plutôt que monarque, s’est cru Jupiter quand il n’était qu’un apprenti sorcier : de l’or français, il en a fait du plomb, celui des chaînes qui entravent les mouvements de notre pays et semblent en réduire, durablement, les perspectives d’action et de réaction. D’une République qui était censée protéger des blocages parlementaires (tels que ceux, fréquents et parfois terrifiants, qui pouvaient caractériser les Républiques précédentes…), nous sommes désormais passés à une République qui renoue avec le pire des désordres, celui de l’impuissance de l’Etat et du pouvoir de malfaisance des féodalités qui veulent toutes le soumettre à leurs propres envies : le pitoyable spectacle de l’Assemblée nationale, théâtre de l’invective permanente et de la surenchère militante, détourne les citoyens de la politique, à tort confondue avec ce cirque sans joie.

Et pourtant ! Jamais depuis les débuts de la Cinquième, la situation de notre pays n’a été aussi périlleuse, au risque de détruire, non seulement un modèle social en place depuis les années 1940 (qui mérite sans doute une critique constructive, et nous ne manquerons pas de la faire), mais l’idée même d’une convivialité sociale qui est l’un des piliers de l’unité française. Ainsi, de la dette publique, aujourd’hui lourde de plus de 3.300 milliards d’euros, et qui semble désormais hors de contrôle au risque de livrer notre nation aux griffes d’institutions financières internationales ou à celles, pas plus bienveillantes, d’institutions européennes soucieuses d’une vaine orthodoxie budgétaire aux critères de Maëstricht. Les circonvolutions gouvernementales et politiciennes des derniers mois, de M. Barnier à M. Bayrou (plus occupés à trouver une majorité de non-censure qu’à affronter les défis urgents du moment ou à creuser une voie crédible pour les années et les décennies à venir), ne sont guère de nature à nous rassurer, loin de là, et elles semblent marquées du sceau de l’impuissance plutôt que de la maîtrise. Or, il faut répondre à ce défi, mais sans négliger les autres éléments de la problématique économique et sans y sacrifier les nécessités sociales : si la réduction de la dette devait se faire en méprisant les conditions et les principaux aspects de la justice sociale, elle devrait être combattue avec la plus grande vigueur. Dans le même temps, céder aux facilités fiscales pour tenter de colmater quelques brèches budgétaires serait tout à fait néfaste et, assez rapidement, contre-productif. En somme, ni les solutions proprement libérales ni celles purement étatistes ne sont satisfaisantes ni souhaitables : pour répondre au défi de la dette, il importe de « faire de la force ». Cela signifie de refaire une économie solide, prospère (2), capable d’affronter les concurrences extérieures et de supporter les risques de la mondialisation (sans forcément l’agréer, d’ailleurs (3)…), mais aussi de se libérer, autant que faire se peut, d’une dette qui emprisonne et peut, si l’on n’y prend garde, limiter voire annihiler notre liberté de parole et d’action.

(à suivre : « L’espérance, ce désespoir surmonté » : La France ne doit pas s’abandonner au désespoir.)

Jean-Philippe Chauvin

Notes : (1) : Quand elle devient un mode de désignation de la magistrature suprême, que cela soit par une élection interne au pays légal (comme sous les Troisième et Quatrième Républiques dont le président était l’élu d’un vote parlementaire) ou par l’élection directe par le suffrage universel, la démocratie ouvre la voie à des querelles sans fin et à une remise en cause permanente par les oppositions (qui, d’ailleurs, sont légitimes à la pratiquer) et, dans le cadre de la Cinquième et surtout depuis le quinquennat, à une forme de « présidentielle permanente » qui abîme la fonction de Chef de l’Etat et son incarnation.

(2) : La prospérité ne se décrète pas et elle dépend de multiples facteurs, mais c’est bien elle qui doit être envisagée et que le comte de Paris, dans les années 1930, évoquait sous la formule de « bonheur du peuple » dont il expliquait que cela devait être une motivation forte du pouvoir politique.

(3) : « La mondialisation est un fait, elle n’est pas forcément un bienfait », avons-nous coutume de dire. A une mondialisation globalisante, une internationalisation des échanges qui, comme son nom même l’indique, respecte les nations et les Etats, est préférable. Non qu’elle ne donne pas lieu, là aussi, à des concurrences qui peuvent être sévères, mais elle les inscrit dans un ensemble de nations et d’Etats reconnus qui peuvent agir pour préserver leurs intérêts nationaux et, surtout, sociaux. Quand la mondialisation tend, par principe, à effacer les Etats et les mécanismes propres à chacun, l’internationalisation les reconnaît et permet des ententes entre eux, une forme de multilatéralisme économique, sans doute moins brutal que la gouvernance mondiale…

Maladresses et fautes de la République face à la crise.

Dans une précédente note, j’évoquais le cas de l’usine Saupiquet de Quimper, victime d’une délocalisation qu’il n’est pas absurde de taxer de spéculative et qui laisse plus de 120 personnes sur le carreau, sans emploi ni promesse fiable d’emploi prochain. Mais il serait malhonnête ou faux de penser que c’est la seule et unique cause des fermetures d’usines et d’entreprises aujourd’hui.


Une autre cause des fermetures d’usines actuelles doit être évoquée et dénoncée : la hausse des prix de l’énergie, devenus insupportables pour nombre d’entreprises ou de commerces, de la petite boulangerie de village à la grande unité de production de pneumatiques comme Michelin. En 2022, la guerre russo-ukrainienne avait logiquement entraîné une augmentation remarquable des prix du gaz et de l’électricité, et la rupture des pays européens avec la Russie (grand pays exportateur de gaz) avait évidemment renchéri ce souci inflationniste, au point d’entraîner la disparition de plusieurs milliers de boulangeries rurales incapables de faire face à ces surcoûts malvenus quelques mois après la crise sanitaire et les confinements. L’entreprise Duralex, par exemple, se retrouva ainsi dans une situation financière intenable (3) et était appelée à disparaître cet été, jusqu’à ce que soit acceptée par le tribunal du commerce d’Orléans sa transformation en coopérative organisée et administrée par les salariés volontaires eux-mêmes (une Scop, société coopérative de production, ou société coopérative et participative), et qu’un vaste mouvement de solidarité française lui remette, par des achats nouveaux et nombreux, le pied à l’étrier. Mais l’Etat français est aussi coupable dans cette inflation énergétique, de par son refus ou son incapacité de sortir (4) ou de renégocier les conditions du marché de gros européen de l’électricité, alors que ce mécanisme entraîne une surévaluation du prix de l’électricité en France (à cause de son indexation sur les prix du gaz…), surévaluation extrêmement handicapante pour les activités industrielles, commerciales mais aussi domestiques françaises. D’autant plus coupable que nombre d’entrepreneurs avertissent depuis plus d’un an que le coût trop élevé de l’énergie en France peut les pousser à cesser leurs activités dans notre pays ! En fait, l’Etat n’a rien voulu entendre ou comprendre, et c’est la France et ses travailleurs qui en payent le prix lourd maintenant.

Comme si cela ne suffisait pas, la République en rajoute encore une couche, à travers une politique fiscale désormais répulsive sans même être efficace, avec le risque supplémentaire de voir les impôts et les taxes rentrer moins facilement dans les caisses de l’Etat, ce qui peut, d’ailleurs, expliquer l’erreur de prévision de l’administration gouvernementale qui avait visiblement surévalué les recettes pour 2024, au point de hausser, après correction, le déficit public de la France à plus de 6 % du Produit intérieur brut de notre pays… Il n’est pas certain que taxer un peu plus les entreprises aujourd’hui soit le meilleur moyen de maintenir les investissements en France, au moment même ils sont les plus nécessaires pour éviter un décrochage économique qui menace, concrètement, le pays tout entier. Là encore, un peu de tact ne nuirait pas, ce qui n’empêche pas de rappeler aux patrons et aux actionnaires leurs devoirs sociaux pour « faire nation », ce qui, il faut bien l’admettre, n’est pas toujours évident parmi des élites trop souvent formatées à la « mondialisation libérale » et oublieuses de leur patrie… Mais, les taxer plus au moment où cela va mal n’est pas de bonne politique : en revanche, il serait très profitable de le faire, y compris un peu fortement et temporairement, au moment où les indicateurs industriels et économiques seront plus favorables, et il sera alors plus facile pour l’Etat de le faire accepter et, surtout, plus utile et rentable…

L’Etat a un rôle à jouer dans l’économie du pays qui ne doit pas être de vouloir tout régenter à l’intérieur, et les partenaires sociaux sont souvent les mieux placés pour s’organiser eux-mêmes, discuter des règles internes et des salaires (ce qui se fait déjà, d’ailleurs, dans les branches professionnelles que certains voient comme les reliquats ou, au contraire, les prémisses d’une organisation corporative…). Le rôle de l’Etat doit être d’arbitrer entre les grands acteurs sociaux, particulièrement au moment des crises et des conflits sociaux toujours possibles en société. Mais, surtout, il est de préserver ce qui doit l’être, c’est-à-dire les intérêts de la nation et de ses corps professionnels et sociaux : d’où la nécessité d’une véritable politique d’Etat sur le long terme, et non d’une politique des petits coups et des facilités (5) qui, en fin de compte, appauvrit un peu plus l’Etat sans en crédibiliser l’action… Oui, l’Etat doit être préservateur, il doit être protecteur mais non de façon passive : il ne doit pas se désintéresser de l’économie, il doit être le garant des activités économiques nationales, y compris en élevant la voix sur la scène internationale et en intervenant pour soutenir ce qui doit l’être, ici et maintenant. Dans la mondialisation contemporaine, il ne doit pas être le spectateur d’une gouvernance souvent injuste et déséquilibrée au profit des seules féodalités économiques et financières, mais l’acteur des relations internationales et des équilibres nécessaires, toujours en pensant, d’abord, à la France qu’il incarne, sert et défend autant qu’il la promeut : voici là un nationalisme qui peut être ferme sans être fermé, car il ne s’agit pas de détruire ou d’interdire, mais de parler haut et fort sans forcément céder à l’esprit de querelle.

Malheureusement, et la difficulté actuelle de l’Etat français à faire accepter par la Commission européenne et nos partenaires le refus d’un traité Mercosur néfaste pour notre agriculture comme pour l’environnement (y compris des pays sud-américains eux-mêmes) le prouve à l’envi, la France et son Etat souffrent de l’incertitude politique renforcée par « l’entrée en Sixième République » (qui ressemble furieusement à la Quatrième, avec les mêmes désordres permanents et l’impuissance d’un Etat dépassé par ses propres errements présidentiels, gouvernementaux et parlementaires, au risque de la chute permanente pour le gouvernement…). Il faudra bien finir par en tirer les conclusions institutionnelles qui s’imposent si l’on veut éviter que notre pays ne s’enfonce dans un marasme fatal…



Jean-Philippe Chauvin

Notes : (3) : Duralex est une verrerie qui, par nature, est une très grosse consommatrice d’énergie pour ses fours.

(4) : L’Espagne et le Portugal sont sortis temporairement du marché de gros européen de l’électricité, après négociation et validation par la Commission européenne : cela a permis à ces deux pays de mieux maîtriser le coût de l’électricité et de l’abaisser…

(5) : La politique des facilités est celle qui consiste à faire des annonces et arroser un secteur d’activité en difficulté pour calmer une tempête en cours ou à venir, mais sans prendre le temps et les moyens, ensuite, de préparer un cadre « réparateur » et une politique de long terme pour permettre à ce cadre d’être efficace dans la durée. Or, il importe pourtant bien aujourd’hui, à l’inverse de la politique des facilités, de permettre l’existence d’un tel cadre mais non de l’ordonner entièrement, ce qui doit rester, en grande partie (et selon les cas concernés), l’apanage des acteurs professionnels et sociaux : c’est la mise en pratique de la nécessaire subsidiarité, qui doit être l’inverse de l’assistanat et du jacobinisme d’Etat sans être le libéralisme ou le libertarisme économique, autre nom du désordre tyrannique, celui qui place la puissance en opposition avec la justice…

Le triste Noël des salariés de Saupiquet.

Il y a quelques jours, le 20 décembre exactement, la dernière usine française de conserverie de poisson Saupiquet a fermé ses portes à Quimper : cette fermeture scelle ainsi une aventure industrielle débutée sur les bords de la Loire en 1877 et initiée alors par Arsène Saupiquet, dans la conserverie de sardines. Ce triste événement n’a pas mobilisé les grands médias ni les politiques, visiblement plus occupés à leurs petites affaires politiciennes et à la préparation de la prochaine élection présidentielle de 2027 qu’au sort d’une usine de conserves et de ses salariés : le pays légal se désintéresse d’une entreprise considérée comme non stratégique et appartenant à un monde ancien. Que plus de 150 emplois disparaissent ainsi dans le Finistère n’a plus d’importance pour une classe dirigeante qui semble plutôt obnubilée par une dette publique qu’elle a pourtant contribué à creuser depuis une quarantaine d’années, au nom d’une (double) idéologie économique dominante (la société de consommation et la mondialisation libérale) qu’elle ne reniera évidemment pas. Pour le coup et en évoquant les nombreux autres plans sociaux qui font désormais l’actualité, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a trouvé la bonne formule pour signifier cet état d’esprit du pays légal, en parlant de l’attitude timorée du ministre de l’Industrie Marc Ferracci (ministre maintenu sous Bayrou après l’être devenu sous Barnier…) : « Le ministre installe l’idée qu’il n’y a plus lieu de se battre : « prenez le chèque et taisez-vous ». Visiblement, il n’a pas compris son rôle : il n’est pas ministre des licenciements, mais de l’industrie ! Les travailleurs ne se battent pas pour avoir des indemnités pour partir, ils se battent pour défendre leur emploi. » Sauver un emploi industriel, c’est en sauver au moins deux ou trois de plus, en fait, et le ministre ferait bien de s’en rappeler : l’usine n’est pas peuplée que d’ouvriers de production mais aussi de personnels de nettoyage et de restauration, parfois, quand ces derniers peuvent aussi se trouver à proximité de l’entreprise ; accueillant aussi des populations de jeunes recrutés sur le bassin d’emploi, l’usine maintient des classes scolaires en activité grâce aux enfants des ménages ouvriers ; sans négliger des commerces alentours et, parfois, des sous-traitants ou des services de maintenance et de réparation… En fait, une usine fermée, c’est tout un écosystème économique et social qui risque de disparaître, d’autant plus quand celle qui disparaît était déjà la survivante des décennies passées et que, là aussi, elle n’avait plus le nombre de salariés qu’elle pouvait compter quelques années auparavant.

Or, c’est un véritable raz-de-marée de plans sociaux et de fermetures définitives d’usines, voire d’entreprises, qui est en train de frapper la France : la timide mais indéniable réindustrialisation de ces dernières années risque de ne plus suffire d’ici peu à absorber toutes les faillites, les disparitions d’usines et celles du savoir-faire de nombreuses activités industrielles, ainsi que la dévitalisation des territoires ainsi touchés par cette nouvelle et violente désindustrialisation concrète. Michelin, Valeo, Saunier Duval, Vencorex, et tant d’autres noms retentissent dans l’actualité sociale comme autant de glas annonciateurs du trépas de « 150.000 emplois » selon Mme Binet, mais peut-être jusqu’à 300.000 si l’on en croit certains économistes et analystes financiers : cette terrible situation est-elle l’effet d’une mauvaise passe (ou conjoncture) ou bien le résultat d’erreurs, voire de fautes, des entreprises et, éventuellement, du pays légal ? Et si oui, n’est-elle que cela ? Ne s’inscrit-elle pas dans un processus de long terme, au-delà d’un simple quinquennat présidentiel ou du mandat d’un dirigeant d’entreprise ? En fait, il existe plusieurs cas de figure, qu’il n’est pas inutile de citer, et qui peuvent parfois se combiner en un mélange infernal.

Si l’on prend le cas de l’usine Saupiquet de Quimper, celle-ci est victime d’une délocalisation en partie spéculative (sans être, pour celle-ci, liée au système actionnarial proprement dit (1), contrairement à nombre de groupes transnationaux) et du système de la mondialisation libérale, libre-échangiste et de la profitabilité recherchée à tout prix (en particulier social), quelles qu’en soient les conséquences humaines et territoriales. Dans un monde où de grands groupes internationaux et mondialisés rachètent les marques sans regarder à leur nationalité ni s’intéresser aux conditions des travailleurs, ces derniers ne sont considérés que comme des variables d’ajustement : ainsi, le propriétaire de Saupiquet est le groupe italien Bolton Food depuis 2000, et celui-ci a déjà fermé nombre d’usines de la marque en France (2) jusqu’à la dernière, Quimper… A chaque fois, l’argument était à peu près le même : les ventes diminuent en France, elles ne sont plus assez profitables et la main-d’œuvre est trop coûteuse (sic), et il faut préserver la compétitivité de l’entreprise. L’activité, elle, est délocalisée à l’étranger, dans des pays pas forcément consommateurs des produits sortant de l’usine, mais pour continuer à produire pour le pays victime de la délocalisation : dans le cas de Saupiquet, « une grosse partie de la ligne sardine sera installée dans une usine du groupe au Maroc, la ligne maquereau rejoindra une usine Bolton en Espagne », selon les déclarations du groupe Bolton lui-même, mais leurs productions seront toujours bien présentes dans les rayonnages des magasins français et… quimpérois ! La même chose s’est produite pour nombre d’autres marques emblématiques de l’histoire industrielle française, et il est rageant de constater que cette mauvaise affaire se reproduit encore et encore sans entraîner beaucoup de réactions ni du pays légal, ni des consommateurs eux-mêmes, vite oublieux des drames sociaux provoqués lors des fermetures d’usines parfois toutes proches… Quel triste Noël pour les familles de salariés Saupiquet : les aiguilles du sapin risquent bien d’être autant d’épines dans le cœur des ouvriers abandonnés, et les agapes festives de la Saint-Sylvestre bien amères… Surtout quand l’on sait que, à l’heure où j’écris, 120 salariés (sur les quelques 150 licenciés) n’ont pas de proposition fiable d’emploi prochain. Oui, décidément, quel triste Noël…

(à suivre)

Jean-Philippe Chauvin

Notes : (1) : Contrairement à nombre de grandes Firmes capitalistiques transnationales, Bolton Food, propriétaire de Saupiquet, est un groupe à « capitaux familiaux », et ne subit pas les mêmes pressions que les grandes sociétés dont nombre d’actionnaires sont étrangers à l’entreprise elle-même et qui, du coup, poussent souvent à des délocalisations purement spéculatives, et souvent sans motivation industrielle mais seulement financière, ce dont on ne peut pas forcément accuser ce groupe italien.

(2) : Le groupe Bolton Food a fermé l’usine de Saint-Gilles-Croix-de-Vie en 2001, celle de Nantes (et le siège social…) en 2005 et celle de Saint-Avé, près de Vannes en 2010. Quimper ferme la marche et, dans le même mouvement, l’aventure française de Saupiquet…