Histoire et empirisme

Discours prophétique d’Albert de Mun

Albert de Mun 3« Voilà dans quelle pensée je monte à la tribune, et, je n’ai pas besoin de le dire, l’esprit bien libre de toutes les arrière-pensées qui, dans un débat parlementaire, peuvent toucher aux intérêts ministériels, dans lesquels nous n’avons rien à voir. Mon intention est de parler pour la Chambre et pour le pays qui nous entend, plutôt que d’interpeller un ministère. Messieurs, la question qui s’agite ici est bien plus profonde dans ses sources, bien plus vaste dans ses conséquences, que ne pourrait l’être une crise passagère, si grave, si violente qu’elle pût être : ma conviction, c’est qu’il se fait dans le monde, à l’heure où nous sommes, par l’effet d’un ensemble de causes morales et matérielles, un grand mouvement social, une évolution profonde ; et que, de la manière dont ce mouvement sera conduit, des transformations qui sortiront de ce trouble général dépendront la paix et la prospérité des nations civilisées.

La question est de savoir si tous ceux qui ont intérêt à la conservation sociale, – et je n’en excepte naturellement personne, – sauront à temps se réunir et s’entendre, non pas pour se coaliser dans une infructueuse résistance, mais pour diriger, pour conduire la réforme économique devenue nécessaire, ou si cette réforme inévitable se fera définitivement sans eux et contre eux. Voilà la question : il n’y en a pas de plus haute dans l’ordre politique, je n’en connais pas qui mérite à un plus haut point de fixer l’attention des hommes d’État ; elle a un nom : c’est la question sociale. On a dit qu’il n’y en avait pas, qu’il n’y avait que des questions sociales ; je crois qu’on s’est trompé, il y en a une qui résume toutes les autres : c’est celle dont je parle ici. Tout récemment, dans un article frappant sur l’enchérissement de la vie, un écrivain de la Revue des Deux Mondes la définissait par l’effort instinctif des multitudes pour amoindrir la misère et pour alléger le travail. J’accepte la définition, bien que je ne la trouve pas complète, parce qu’elle met en lumière l’aspect principal et le plus saisissant de la question. Amoindrir la misère et alléger le travail ! Eh ! bien, Messieurs, si, me plaçant à ce point de vue, je cherche à me rendre compte des causes générales de la crise qui nous agite, la première chose qui me frappe, c’est que ce n’est pas une crise française, mais une crise internationale. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs.)

Les nations modernes sont en souffrance, et la maladie chronique qui les épuise, – j’ai déjà exprimé cette idée, et je ne cesserai de la répéter, parce que je la crois fondamentale, c’est l’excès de la concurrence. Depuis un siècle, des doctrines nouvelles se sont levées sur le monde, des théories économiques l’ont envahi, qui ont proposé l’accroissement indéfini de la richesse comme le but suprême de l’ambition des hommes, et qui, ne tenant compte que de la valeur échangeable des choses, ont méconnu la nature du travail, en l’avilissant au rang d’une marchandise qui se vend et s’achète au plus bas prix. L’homme, l’être vivant, avec son âme et son corps, a disparu devant le calcul du produit matériel. Les liens sociaux ont été rompus ; les devoirs réciproques ont été supprimés ; l’intérêt national lui-même a été subordonné à la chimère des intérêts cosmopolites, et c’est ainsi que la concurrence féconde, légitime, qui stimule, qui développe, qui est la nécessaire condition du succès, a été remplacée par une concurrence impitoyable, presque sauvage, qui jette fatalement tous ceux qu’elle entraîne dans cette extrémité qu’on appelle la lutte pour la vie.

Dans ce combat à outrance, l’abaissement du prix de revient est devenu la grande nécessité, la grande préoccupation des producteurs. Comme, dans toute entreprise industrielle, les frais généraux ne varient guère, il a fallu, pour arriver à cet abaissement du prix de revient, augmenter sans cesse la production, cette surproduction, favorisée de toutes manières par tous les développements de l’industrie moderne, par toutes les forces nouvelles que le génie de l’homme arrache à la nature, par la vapeur, par l’électricité, par l’outillage toujours perfectionné, cette surproduction a eu ce corollaire immédiat : l’excès du travail. Je ne voudrais rien dire Messieurs, qui dépasse la mesure, je ne voudrais pas aller au-delà de ce qui est juste et légitime ; mais je ne puis m’empêcher d’insister là-dessus, parce que c’est le point capital, celui qui touche directement à la condition de l’ouvrier : on a abusé du travail, et des forces de l’homme »

Albert de Mun, 25 janvier 1884
Député royaliste légitimiste sous la 3ième république, élu à l’Académie française au premier tour le 1er avril 1897, cousin d’Élisabeth de Gramont, duchesse de Clermont-Tonnerre, fondateur en 1901 de l’Action Libérale Populaire.

Ce texte est remarquable et prophétique. Il montre bien que la nature du mal qui nous ronge profondément est toujours la même en dépit de deux guerres mondiales, de révolutions, de millions de morts et de l’inversion de toutes les valeurs. La conclusion est claire: la civilisation purement matérialiste fait fausse route depuis la Révolution française ; elle est une voie sans issue.
Notre dernière chance est de le comprendre maintenant avant qu’il ne soit trop tard…

Olivier Tournafond

Jeanne d’Arc patronne des Camelots du Roi

« Elle attendait, un crucifix fait de deux bouts de bois par un soldat anglais posé sur sa poitrine, le crucifix de l’église voisine élevé en face de son visage au-dessus des premières fumées. Et la première flamme vint, et avec elle le cri atroce qui allait faire écho, dans tous les cœurs chrétiens, au cri de la Vierge lorsqu’elle vit monter la croix du Christ sur le ciel livide. De ce qui avait été la forêt de Brocéliande  jusqu’aux cimetières de Terre Sainte, la vieille chevalerie morte se leva dans ses tombes. Dans le silence de la nuit funèbre, écartant les mains jointes de leurs gisants de pierre, les preux de la Table ronde et les compagnons de saint Louis, les premiers combattants tombés à la prise de Jérusalem et les derniers fidèles du petit roi lépreux, toute l’assemblée des rêves de la chrétienté regardait, de ses yeux d’ombre, monter les flammes qui allaient traverser les siècles , vers cette forme enfin immobile, qui devenait le corps brûlé de la chevalerie. »

André Malraux

L’imposture de 1789

La révolution a créé le Prolétariat3

Ouvriers français, retenez bien ceci : l’émeute du 14 juillet 1789 fut le signal d’une vaste opération de brigandage commise au préjudice des travailleurs français.

Un révolutionnaire avéré mais clairvoyant, Proudhon, a écrit ce qui suit :

« Ce qui a créé la distinction toute nouvelle de « classe bourgeoise » et de « classe ouvrière », ou  » prolétaire », C’EST LE NOUVEAU DROIT INAUGURE EN 1789. AVANT 89, L’OUVRIER EXISTAIT DANS LA CORPORATION ET DANS LA MAÎTRISE, comme la femme, l’enfant et le domestique dans la famille. Il aurait répugné alors d’admettre une classe de « travailleur » en face d’une classe d' »entrepreneurs », puisque celle-ci contenait celle-là.

Mais depuis 89, le faisceau des corporations ayant été brisé sans que les fortunes et les conditions fussent devenues égales entre maîtres et ouvriers, sans qu’on eût rien fait ou prévu pour la répartition des capitaux, pour une organisation nouvelle de l’industrie et des droits des travailleurs, la distinstion s’est établie d’elle-même entre la classe des patrons, détenteurs des instruments de travail, capitalistes et grands propriétaires, et celle des ouvriers, simples salariés.
On ne peut nier aujourd’hui cet antagonisme profond des deux classes inconnu au moyen âge, et LA RAISON QUI L’AMENA FUT UNE GRANDE INIQUITE. »

La « grande iniquité » dont parle Proudhon a consisté :

1 – A voler les biens des métiers, qui étaient la propriété collective des ouvriers ;

2 – A abolir les corporations qui préservaient les ouvriers du chômage et leur garantissaient le pain des vieux jours ;

3 – A interdire aux ouvriers le droit de s’associer pour la defense de leurs intérêts communs et a donner la peine de mort comme sanction a cette monstruosité.

Texte du décret d’expropriation ouvrière :

Loi le Chapelier2

Le vol du bien commun des ouvriers a été décidé par le décret du 2 – 17 mars 1791, qui déclare propriété nationale les biens corporatifs.

L’historien Hyppolyte Taine évalue à seize milliards de l’époque la valeur du patrimoine des métiers confisqué aux corporations. Somme énorme si l’on considère le chiffre peu élevé des effectifs ouvriers au moment de la révolution.
Privés de leur patrimoine, les corps de métiers ne pouvaient plus vivre. Au demeurant, le décret d’Allarde faisait du libéralisme économique le fondement du nouveau régime de travail, de la production et du commerce, et le 14 – 17 juin 1791, la loi dite « Le Chapelier » interdisait aux hommes de métier de s’associer en vue de « former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs ».
Dès le lendemain de la suppression du régime corporatif, les ouvriers – charpentiers, maréchaux, tailleurs, cordonniers et autres – tentèrent de reformer des compagnonnages pour s’entendre sur leurs exigences en matière de salaires. Le législateur révolutionnaire brisa cette tentative en assimilant à la rébellion l’association entre Citoyens d’un même état ou profession. Or la rébellion était passible de la peine capitale.

Tel est le nouveau droit inauguré en 1789 par la prise de la Bastille.
La Tour du Pin a bien raison d’écrire dans ses « Jalons de route » : « Le peuple a été particulièrement floué dans toute cette histoire de l’avènement de la démocratie. »
Il ajoute :
« Les autres classes ont récupéré quelque peu leurs anciennes ressources, le clergé par le budget des cultes, les acquéreurs de biens, soit-disant nationaux, par le milliard des émigrés. Mais le peuple n’a rien vu revenir de tout ce qui avait été confisqué, dissipé, aliéné, de cette masse de biens constituée au cours des siècles et qui ne profitait qu’à lui. »

Autrement dit : le monde ouvrier n’a pas reçu réparation de l’immense injustice que la révolution a commise à son endroit.
C’est la réparation de cette immense injustice que poursuivent les royalistes. Ils réclament la restituion au monde ouvrier des biens que la révolution lui a volés en 1791.

Firmin Bacconnier

La république contre la Civilisation

« Les longs souvenirs font les grands peuples. La mémoire du passé ne devient importune que lorsque la conscience du présent est honteuse. »

Charles de Montalembert

La France était en 1789, le pays le plus peuplé d’Europe, le plus développé, sa langue universellement reconnue, le pays riche, les sciences en pleine expansion, sa marine et son armée victorieuse en Amérique impressionnaient.

Vint la Révolution :
marianne riche2Les « penseurs » des « Lumières » mettent en place la République des coquins, un système pour la haute finance débarrassé des libertés sociales, ouvrières, familiales, régionales et associatives qui fleurissaient sous nos rois…
C’est cela la Révolution, les massacres se succèdent à un rythme effréné et c’est le peuple qui en paye le plus lourd tribut. La Terreur s’abat sur 28% de paysans et 41% d’ouvriers… La Révolution installe le pouvoir des nouveaux riches, on interdit aux ouvriers de s’associer, on pille les caisses des corporations, servant à aider les plus démunis et ancêtre des assurances sociales. On livre les femmes et les enfants, n’ayant plus les protections sociales, d’avant 1789 au capitalisme triomphant. On supprime les dimanches par la semaine de dix jours, dite du Décadi, invention révolutionnaire afin de mieux soumettre le monde ouvrier à l’esclavage industriel.
On vole, on pille et toute contestation populaire se termine dans un bain de sang. On instaure le livret ouvrier afin de fliquer les travailleurs pendant que sans relâche des députés royalistes catholiques se battent pour défendre et restaurer des horaires, des assurances, des protections convenables que la Révolution a détruit. La législation sociale prendra des dizaines d’années de retard. La République véritable dictature, interdit, supprime, impose, on dénonce ceux qui oublient la cocarde tricolore…
La France des rois avait des armées de professionnels qui respectaient une éthique et arrêtait les combats aux fêtes religieuses, on nommait cela la «Guerre en dentelle »…
Un fait nouveau apparait dans l’histoire de France, écoutons Anatole France:
« La honte des républiques et des empires, le crime des crimes sera toujours d’avoir tiré un paysan de la paix doré de ses champs et de sa charrue et de l’avoir enfermé entre les murs d’une caserne pour lui apprendre à tuer un homme ».
Et c’est la conscription qui pendant des années va faucher la jeunesse masculine, sans distinction de 18 à plus de 60 ans, faisant périr sur les champs de bataille du carnage : les poètes, les scientifiques, les écrivains, les artistes, les créateurs, les musiciens. C’est aussi une nouvelle forme de guerre totale et révolutionnaire, celle qui n’épargne plus ni femmes ni enfants ni âge, sans plus aucun code d’honneur. Les conséquences de cette idéologie allait nous faire subir 7 invasions (1792, 1793, 1814, 1815, 1870, 1914, 1940…)
Reprenons cette citation de Westermann, prise parmi de nombreuses autres, résumant bien cette période, fruit des « Lumières » :
« Il n’y a plus de Vendée ! Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais de Savenay. J’ai écrasé les enfants sous les pieds de mes chevaux, massacré les femmes qui n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé…Les routes sont semés de cadavres. Il y en a tant que sur plusieurs points ils font des pyramides. »

(suite…)

Ce qu’était un Roi de France

Edouard Schuré a raconté dans la Revue bleue que, tout jeune homme, il fut invité à un dîner chez Michelet. Pendant le repas une discussion s’engagea sur les rois de France et leur rôle dans l’histoire. Jules Ferry ayant vivement défendu leur politique extérieure, Michelet s’échauffa.
« Les avez-vous connus comme moi qui ai vécu avec eux dans les archives de l’Etat et dans les mémoires du temps ? Vus de près ils sont effrayants.»
A cette parole de Michelet qui a le mérite de bien traduire la passion qui le brillait, Renan répondait en normand : « Autre chose est ce qu’était le roi de France sur son trône et ce qu’il était dans l’imagination du peuple ».
Abordant l’histoire avec cette idée préconçue que toute vertu et toute sagesse résidaient dans la plèbe, dans la portion la plus inconsciente du peuple, Michelet a voulu voir nos rois effrayants.
L’ancienne France en a-t-elle eu la même vision?
Que répondent les chroniqueurs et les mémorialistes?
Dans notre ère des démocraties, toute hérissée d’encombrants conformismes, et de multiples règlements derrière quoi le moindre détenteur de la plus minime parcelle d’autorité est heureux d’abriter son insolence ou sa morgue de petit tyran, l’on a peine à concevoir la franche bonhomie, la liberté familière de nos rois. Si un citoyen, victime d’une injustice, s’avisait d’aborder le président à sa promenade ou de le relancer jusque dans ses appartements de l’Elysée pour en demander réparation, il serait saisi par des agents, conduit au commissariat de police et livré aux tribunaux pour lèse-majesté.
Nos rois étaient plus accessibles, ce qui faisait dire à Bonald : « Quelle haute idée nos pères ne devaient-ils pas avoir de la royauté puisqu’ils respectèrent des rois qui mouraient au milieu d’eux, dépouillés de tout l’éclat qui les environne aujourd’hui ? ».

Pierre Bécat – Un regard sur notre Histoire

« J’ai passé de nombreux après-midi avec Pierre durant lesquels nous parlions des heures interminables sur ses souvenirs d’Action Française. De Pierre de Bénouville (résistant) et Jacques Renouvin (résistant, mort en déportation), anciens Camelots du Roi, qu’il avait bien connu, du Comte de Paris et tant d’autres souvenirs.
Les lecteurs de Proudhon, les esprits libres y trouveront matière à réfléchir. Bref ceux qui tournent le dos au prêt à penser, qu’ils soient de sensibilité de gauche comme de droite, pourvu qu’ils aient encore dans les veines un sang « rebelle » face au monde uniforme qui approche. C’est en pensant à lui, que je publie ici quelques lignes ou nous retrouvons toute son analyse parfaite des événements qui de la Révolution à aujourd’hui, illustrent la décadence Française… « 

Frédéric Winkler
Notre Jour Viendra – Tiocfaidh àr là

Extraits de « Regards sur la décadence », de Pierre Bécat commenté par
Frédéric Winkler

Les réformes de Louis XVI

Cette vidéo vous propose quelques éléments de réponse pour montrer a quel point le Roi Louis XVI était loin de l’imagerie révolutionnaire, malheureusement encore trop souvent d’actualité. Ce grand roi avait un réel souci du sort du peuple français, et les réformes qu’il fit durant son règne en sont la preuve la plus évidente !

Le camp de Conlie

Petite anecdote…

Conlie2Le trop célèbre et triste camp de Conlie (Sarthe) fut le théâtre d’une anecdote linguistique tragi-comique : le général de Marivault passant la revue entendit nombre de Bretons supplier :  » d’ar gêr ! d’ar gêr ! »

Le général croyant à un accès de « patriotisme français » des Bretons, s’écria, ému : « Ces braves Bretons ! Même dans la pire misère, ils n’ont qu’un désir, se battre ! » Le général, ne savait pas le breton, il ne se doutait pas plus d’ailleurs que d’ar gêr signifie à la maison et non pas à la guerre. Les braves Bretons n’avaient aucune envie de se faire trouer ce qui leur restait de cuir pour un quelquonque Gambetta dont le nom orne maintenant sans vergogne les rues et places de Bretagne… Le rétablissement de la république, le 4 septembre 1870, fut essentiellement l’oeuvre de Bretons. Malheureusement, la délégation envoyée à Tours pour représenter le gouvernement hors de la capitale investie par l’ennemi, fut, à partir du 3 octobre, présidée par un jeune arriviste, brillant orateur mais politicien retors, Gambetta.

Keratry proposa à Gambetta de lever dans les cinq départements bretons une armée autonome de volontaires qui prendraient position aux environs du Mans, barrerait la route de la péninsule à l’invasion germanique, puis marcherait à la délivrance de Paris. Gambetta s’empressa de donner son accord.

Avec un génie de l’organisation extraordinaire, Keratry parvint en quelques semaines à transformer un mamelon situé à Conlie, en arrière du Mans, en un camp retranché imprenable de 500 hectares et à y faire parvenir 80 000 volontaires enthousiastes recrutés dans toute la Bretagne. Ils arboraient sur leurs képis l’hermine bretonne et leur drapeau, offert par le Comité républicain de Nantes, était la bannière ducale.

En décidant la création de cette armée autonome, Gambetta était sûrement de bonne foi : le jour où, bien entraînés, ces 80 000 hommes plein d’ardeur auraient été jetés dans la bataille, ils auraient pu renverser le rapport de force sur le front de la Loire… Mais devant le succès même de Keratry, l’efficacité de son action, l’enthousiasme soulevé par ses appels aux Bretons, il prit peur. Dans son esprit étroit de jacobin, un Breton était par définition un chouan et 80 000 chouans sous la conduite d’un général chouan (fut-il député de gauche) étaient un péril pour la République. Alors il conçut un projet abominable : profiter de ce que ces 80 000 hommes qui représentaient les forces vives de la Bretagne étaient concentré dans un camp pour s’en débarrasser. Il suffisait de les laisser dépérir sans soins en arrière des lignes, d’en faire la proie des épidémies, de les exposer sans armes à la mitraille prussienne.

Il mit son projet à l’exécution avec une habilité diabolique. Contrairement à ce que l’on croit, ce ne fut ni les nazis ni les anglais durant la guerre des Boers (1902-1905) qui inventèrent les camps de concentration mais Gambetta qui enferma 80 000 innocents à Conlie. I

l parvint, sans jamais cesser de dispenser promesses et bonnes paroles, à laisser l’armée de Bretagne sans armes. L’arsenal de Brest lui ayant rendu compte qu’il disposait de 3200 chassepots mais n’avait plus de fusil à percussion, il lui donna avec un humour particulièrement noir l’autorisation de livrer des armes à Keratry, mais uniquement des fusils à percussion!

Pendant ce temps, les volontaires ne pouvaient s’entraîner au tir et étaient voués à une inaction démoralisante.

Pendant l’hiver 1870, les hommes passaient leurs journées désoeuvrées sous la pluie ou dans la neige, les pieds dans la boue. Pour que sous leur tentes, ils dorment dans la fange, Gambetta s’opposa à toute livraison de paille. Il ne permit pas non plus qu’on leur fournit des vêtements chauds. Des épidémies de variole et de dysenterie éclatèrent et font des ravages dans les rangs.

Gambetta fit écrire à Keratry « je vous conjure d’oublier que vous êtes Breton » et lui donna l’ordre de se porter avec 12 000 hommes à la rencontre des Prussiens à Saint-Calais. Il télégraphiait simultanément au directeur de l’arsenal de Rennes pour lui interdire de remettre une seule cartouche à l’armée de Bretagne. C’était envoyer les 12 000 Bretons à la mort… mais l’opération échouât car l’ennemi n’était plus là: il était parti en direction d’Orléans et de la Loire.

Rompant alors l’accord du 22 septembre, Gambetta décida de mettre fin à l’indépendance de l’armée de Bretagne et de placer Keratry sous les ordres du général Jaurès. Keratry démissionna aussitôt; Gambetta le fit remplacer par le capitaine de vaisseau Marivault.

Dans le camp de Conlie, l’état sanitaire était devenu désastreux. Les Bretons mourraient en masse et l’État-Major expliquait: « C’est pour s’en débarrasser qu’ils ont été mis à Conlie et ils resteront à Conlie, dussent-ils tous périr. ». Gambetta trouva encore de bonnes raisons administratives pour suspendre les fournitures de vivres, tout en prescrivant : « il ne faut quitter le camp sous aucun prétexte. ». Mais Marivault pris sur lui de rapatrier une partie des effectifs en Bretagne.

Les survivants furent mis à la disposition de Chanzy qui les plaça au point le plus exposé de sa ligne de défense, la plupart sans armes. Quand les Prussiens chargèrent, ceux qui avaient des fusils tirèrent… les coups ne partirent pas, tant les armes et la poudre étaient mauvaises. Les Bretons ne purent que suivre l’armée française en déroute.

La décapitation de sa jeunesse, le sacrifice criminel de tant de ses fils provoqua en Bretagne stupeur et colère. En tant que député d’Ille-et-Vilaine, l’historien La Borderie rédigea un rapport accablant pour Gambetta, sur Le Camp de Conlie et l’Armée de Bretagne. Ce rapport fut publié sous forme d’un condensé de 124 pages dans les publications parlementaires du Paris-Journal en 1874 sous le titre Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur les Actes du Gouvernement de la Défense nationale.

Mais tout s’oublie puisqu’il s’est trouvé depuis des municipalités bretonnes assez ignorantes en histoire pour donner à leurs rues ou places le nom de Gambetta.