Agronome français,
« De l’honneste comportement en la solitude de la campagne »
Né à Villeneuve-de-Berg en 1539, son père est premier consul de Villeneuve-de-Berg et recteur de l’hôpital, sa mère Louise de Leyris est la fille d’un notaire, greffier des Etats du Vivarais.
La famille est protestante et permet à Olivier ainsi qu’à ses frères et sœurs d’accéder à l’enseignement et de voyager en Europe.
Très tôt, il fait preuve d’une curiosité intellectuelle semblable à celle des humanistes de la Renaissance. Olivier de Serres est décrit tout à la fois comme un huguenot courageux, un agriculteur exemplaire, un savant précurseur, un époux attentionné, un père de famille attentif, un fin lettré et un gentilhomme avisé.
« …tandis que, dans ton siècle, beaucoup allaient vêtus d’armures, la croix sur l’épaule et l’épée au côté, toi tu marchais modestement, en petite collerette, barbiche et coiffé ras, dans un chemin de buis; la bêche et le râteau étaient tes seules armes », ainsi est-il vu par Edmond Pilon (Collection du Pigeonnier de Saint-Félicien en Vivarais). Après des études à l’Université de Valence il acquiert le domaine du Pradel dominé par la forteresse de Mirabel, situé à une lieue de Villeneuve-de-Berg. Gentilhomme huguenot, il exploite lui-même les terres, où l’ont confiné les guerres de religion qui ruinent le royaume. Le Pradel devint ainsi un laboratoire, une ferme expérimentale, le lieu où l’intuition de la modernité agricole a jailli et où l’essai a administré la preuve empirique de la validité des inventions.
Les méthodes de cultures sont très archaïques à cette époque.
Olivier de Serres fut un des premiers à pratiquer une agriculture raisonnée dans son domaine agricole du Pradel de près de 200 hectares, par utilisation de l’assolement (alternance des cultures sur le même terrain). Il découvre que la culture de la luzerne enrichit la terre et permet l’année suivante de meilleures récoltes sur le terrain où elle a poussé.
Il recommande aux paysans français d’observer un certain nombre de principes par la pratique de plusieurs cultures.
Il importe différentes plantes : la garance des Flandres (teinture rouge), le houblon d’Angleterre (pour la bière).
Il acclimate le maïs et le mûrier, ce dernier importé de Chine permettait la culture du ver à soie, et par conséquent la production du fil pour confectionner le textile.
Aussi , lorsqu’en avril 1598, Henri IV, après la publication de l’édit de Nantes, lance un appel aux bonnes volontés, pour ressusciter le royaume, Olivier de Serres se met à son service.
En effet le royaume d’Henri IV, est dévasté par les guerres de religion, il est pris dans l’engrenage dramatique de la misère paysanne, des disettes et des famines.
En novembre 1598, Olivier de Serres se rend à Paris pour régler la succession de son frère Jean. Il est appelé à la cour.
Il a transporté avec lui son énorme ouvrage de mille pages, dans lequel il a consigné toutes ses notes, écrit dans une langue agréable: « Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs » Le mot « théâtre » désigne les traités qui exposent les théories comme s’il s’agissait de personnages d’une scène. Le terme « Mesnage des champs » désigne la façon dont on doit faire usage, « manier » la terre et dévoile le cœur même de la réflexion d’ Olivier de Serres.
Voici comment il s’exprime dans la préface de son ouvrage : « Il y en a qui se mocquent de tous les livres d’agriculture, et nous renvoyent aux paysans sans lettres, les quels ils disent estre les seuls juges compétans de ceste matière, comme fondés sur l’expérience, seule et seule règle de cultiver les champs. Certes, pour bien faire quelque chose, il la faut bien entendre premièrement. Il couste trop cher de refaire une besogne mal faicte, et surtout en l’agriculture, en la quelle on ne peut perdre les saisons sans grand dommage. Or, qui se fie à une générale expérience, au seul rapport des laboureurs, sans savoir pourquoi, il est en danger de faire des fautes mal réparables, et s’engarer souvent à travers champs sous le crédit de ses incertaines expériences. »
Le livre est divisé en huit « lieux » où sont analysées les différentes activités agronomiques et horticoles, depuis la description et l’organisation du domaine jusqu’à la dépense des biens par le propriétaire.
L’ouvrage décrit ainsi les manières rationnelles de connaître un terroir agricole, d’y cultiver les céréales, le mûrier et la vigne, d’y élever le bétail, la volaille, les abeilles et le ver à soie, d’y façonner un jardin à la fois potager, bouquetier, médicinal et fruitier, d’y aménager étangs, taillis et forêts et aussi d’utiliser les aliments, les habits, les meubles et les outils. Ceci afin de subvenir aux nécessités fondamentales d’une famille d’honnêtes « ménagers » : l’alimentation, le couvert et la santé, mais aussi le profit et le plaisir. Le projet d’Olivier de Serres est assez simple, il propose une philosophie sereine :
. bousculer un mythe paysan antique, celui de la terre fatiguée qui a besoin de se reposer pendant le temps de jachère et de friche pour les remplacer par des cultures fourragères améliorant la fertilité du sol;
. transposer aux champs les expériences novatrices faites dans le jardin, en intensifiant les cultures: la fumure animale du sol, les nouvelles espèces cultivables comme la pomme de terre connue alors sous le nom de cartoufle ou truffe blanche (cultivée en Vivarais bien avant Parmentier), l’irrigation des prairies, la sélection de variétés plus productives, plus résistantes aux maladies ou plus précoces.
. tailler correctement les arbres, organiser et orner les jardins, cultiver la vigne, faire les vendanges et le vin;
. s’occuper des troupeaux et élever les abeilles;
. construire de « beaux et bons » bâtiments agricoles;
. cultiver les orangers;
. tenter l’extraction du sucre à partir de la betterave (mais sans arriver à un processus rentable);
. enfin il prodigue des conseils aux pères et mères de famille sur la manière d’éduquer leurs enfants afin qu’ils sachent faire prospérer leur propriété.
Il recommande :
– le labour profond, l’alternance des cultures, le soufrage de la vigne,
– la création de l’assolement par l’introduction des prairies artificielles
l’essai de nouveaux semis ( melon, artichaut, maïs, houblon, riz et pomme de terre.)
. Oliver de Serres s’est intéressé à la sériciculture alors embryonnaire en France, un chapitre est consacré à « la cueillette de la soye et la nourriture des vers qui la fond » il a introduit et fait prospérer le mûrier pour l’élevage du ver à soie dans son domaine au Pradel, en Ardèche.
C’est le fruit de son expérience sur l’élevage des chenilles du bombyx (vers à soie), qui se nourrissent exclusivement de feuilles fraîches de mûrier blanc. Parvenues à maturité en trente jours, elles sécrètent alors le filament soyeux qui formera leur cocon. On étouffe les chrysalides dans leurs cocons, pour qu’elles ne brisent pas les fils de soie en sortant. Les écheveaux de soie produits par Olivier de Serres sont mis en vente dans l’échoppe familiale de Villeneuve de Berg.
La culture du mûrier était jusque là très localisée. Henri IV voudrait l’intensifier afin de diminuer les sorties d’or nécessaires à l’achat d’étoffes étrangères, « pour, comme le dit Olivier de Serres lui-même, qu’elle se vît rédimée de la valeur de plus de 4000 000 d’or que tous les ans il en fallait sortir pour la fournir des étoffes composées en cette matière ou de la matière même. » Il devient l’ami de Claude Mollet (1563 – 1650), le jardinier d’Henri IV qui réalisa les jardins de Saint-Germain-en-Laye, de Fontainebleau, des Tuileries et de Blois.
Malgré l’opposition de son ministre Sully, afin de donner l’exemple, après avoir consulté le chancelier Pompone de Bellièvre, Laffemas son surintendant du commerce, son jardinier Claude Mollet, le roi prit l’avis d’un cultivateur expérimenté Olivier de Serres: « Le roi ayant très bien recognu ces choses, par le discours qu’il me commanda de lui faire sur ce sujet, l’an 1599, print résolution de faire eslever des meuriers blancs par tous les jardins de ses maisons ». et décide de faire planter 20.000 pieds de mûriers aux Tuileries et à Fontainebleau. D’autres plantations et magnaneries se développent dans la région Lyonnaise où se fixera l’industrie de la soie et qui fera, plus tard, de Lyon la capitale de la soie.
En février 1599, Henri IV décide de faire publier le chapitre relatif à l’élevage du ver à soie : « Traité de la cueillette de la soie par la nourriture des vers qui la font ».
Devant le succès, en mars 1600 de l’année suivante, le « Théâtre d’agriculture et mesnage des champs » est édité , à la demande du roi dans son intégralité en 16.000 exemplaires et expédié dans toutes les paroisses de France.
Le livre connaîtra 8 rééditions du vivant de son auteur, 19 rééditions jusqu’en 1675, ainsi qu’une 21ème édition en 1804
A cette époque, les paysans ne cultivaient leurs terres qu’un an sur deux par manque de fumier. Le reste du temps, les terres restaient en jachère. Avec Olivier de Serres la culture de la luzerne et du sainfoin sur les jachères inaugure les prairies artificielles. Elles régénèrent la terre et engraissent le bétail qui produit du fumier.
La vogue de l’agronomie s’éteind après Henri IV pour renaître sous Napoléon 1er.
Olivier de Serres, qu’on surnomma ensuite le Père de l’Agriculture, meurt au Pradel près de Villeneuve-de-Berg le 12 juillet 1619, à l’âge de 80 ans.
Nombreux sont ceux qui se référèrent à l’agronome Ardéchois:
– Arthur Young se rendit deux siècles après sa mort sur le sol du Pradel;
– Pasteur lui reconnut un rôle de précurseur de l’agronomie et de savant éclairé;
– Fernand Lequenne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, rappela dans une biographie ses apports irremplaçables à l’élevage des abeilles comme aux techniques de greffage et de travail du sol, en dénonçant déjà les excès des engrais industriels au profit des techniques traditionnelles de fumure et de la prise en compte de la biologie du sol; au moment où commençaient à être diffusées en France les idées d’agriculture biodynamique et organique de Rudolf Steiner et Albert Howard.
– le domaine de Pradel est aujourd’hui une ferme-école. Le mas a été reconstruit au XVIIe siècle par Daniel de Serres, le fils d’Olivier.
– enfin il n’est guère aujourd’hui de séance de l’Académie d’Agriculture qui n’évoque l’illustre pionnier.
« Père de l’Agriculture »… « J’honore un homme qui fut grand pour avoir mis au premier rang La terre où sont toutes choses. »
(Charles Forot extraits de son « Ode à Olivier de Serres »)
« Necessitas, commoditas et voluptas » (Vitruve )
Sources:
– « Histoire de la pomme de terre » par Ernest Roze, Paris , J.Rothschild, Editeur 1898, 464 p. Angers, Imprimerie A. Burdin
– Lequenne Fernand, la vie d’Olivier de Serres, Paris, René Julliard, 1945
– Serres, Olivier (de), Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Genève, Slatkine, 1991.
– Lequenne, Fernand, Olivier de Serres, agronome et soldat de Dieu, Paris, Berger-Levrault, 1983.
– Gourdin, Henri, Olivier de Serres, science, expérience, diligence en agriculture au temps d’Henri IV