« L’espérance, le désespoir surmonté », Georges Bernanos.
Aujourd’hui, les vents ne sont guère favorables à la France. La démographie est, par exemple, révélatrice des difficultés françaises ou, du moins, des doutes des couples du pays : les chiffres de la natalité sont, encore, en baisse et ceux de la fécondité ne rassurent guère, avec un taux descendu à 1,62 enfants par femme en âge de procréer quand il faudrait un taux de 2,1 pour assurer un renouvellement rassurant des populations. Pourtant, si l’on en croit Le Figaro du 15 janvier dernier, selon l’enquête Vérian-UNAF (4) de 2023, « Les personnes en couple et en âge de procréer (18-44 ans) déclaraient en 2023 souhaiter dans l’idéal 2,27 enfants (…) Ce n’est donc pas faute de désir d’enfant que les naissances baissent ! (5) » Connaître et combattre les causes de cette dénatalité menaçante et dangereuse, y compris pour l’économie française (car « les bébés d’aujourd’hui sont le PIB de demain », selon la célèbre formule), est aussi un moyen d’assurer cette solidarité nationale sur laquelle reposent, par exemple, le système de retraites par répartition mais également nombre d’emplois publics (de la santé à l’école, en passant par le sport et la défense). Une politique sociale (donc familiale) de l’État doit s’inquiéter de cette question et, sans s’introduire dans les alcôves, soutenir le désir d’enfants en lui permettant d’advenir dans de bonnes conditions, même s’il n’est pas impossible de penser que c’est aussi par le renforcement social et politique des communautés et associations de base (familles, professions, communes, et les associations afférentes) qu’un esprit et un contexte favorables à l’accueil des enfants pourront le mieux s’affirmer et se concrétiser.
Mais cette politique familiale fondée sur une subsidiarité bien comprise doit être aussi soutenue par une stratégie économique ambitieuse : réindustrialisation et défense des entreprises implantées en France comme de leur écosystème local ; politique d’accueil favorable pour les investissements industriels des entreprises étrangères ; défense des intérêts français face aux concurrences étrangères, sous la forme d’un protectionnisme intelligent qui ne soit pas enfermement mais renforcement intérieur (par une production nationale de ce que nous désirons consommer et que nous pouvons produire dans notre pays, par exemple) ; etc. Le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis n’est pas exactement une bonne nouvelle pour l’économie française ni pour celle de nos voisins européens, mais elle peut être, a contrario, une occasion de refranciser notre économie et, ainsi, de mieux garantir notre indépendance à l’égard des entreprises multinationales étrangères et des nationalismes économiques d’Outre-Atlantique et d’Asie, devenus plus agressifs à mesure que les pays du continent européen s’affaiblissaient, dans un double mouvement de vieillissement et de « consommation sans production » (6)…
Mais nos concitoyens saisissent-ils toujours toute l’importance des thèmes abordés plus haut ? La logique de la Société de consommation a privilégié les consommateurs, au point de limiter l’approche des questions économiques et sociales au pouvoir d’achat et aux retraites (7), et il est difficile d’aborder d’autres sujets pourtant fondamentaux si l’on souhaite maintenir un niveau de travail satisfaisant et un niveau de vie équivalent dans les années qui viennent et pour les générations présentes comme à venir. Le rôle des royalistes sociaux est néanmoins de n’en négliger aucun, et leur présence près des agriculteurs menacés par la signature du Traité Mercosur comme près des ouvriers des usines automobiles ou de l’agroalimentaire ne peut être facultative…
Notes :
(4) : Union Nationale des Associations Familiales.
(5) : Communiqué de l’UNAF, cité par Le Figaro.
(6) : Dans les années 2000, la « mondialisation heureuse » vantée par nombre de grands patrons, imités en cela par des gouvernants aveuglés par la toute-puissance de l’économique sur le politique qu’ils pensaient inévitable, était devenue la doxa des élites, au point d’en oublier les réalités : ainsi, M. Tchuruk, patron d’Alcatel-Alsthom n’hésitait pas en juin 2001 à déclarer, bien imprudemment, qu’il souhaitait une « entreprise sans usines », considérant que la France ne pouvait plus être compétitive face aux entreprises du pays-atelier qu’était devenue la Chine et qu’elle devait se concentrer sur les brevets et les services… Si M. Tchuruk n’est pas à proprement parler à l’origine de la désindustrialisation française, il l’a au moins favorisée et, en tout cas, banalisée près d’un public « tertiaire » peu intéressé par le sort des ouvriers français.
(7) : Les questions démographiques, mais aussi celles autour des accidents du travail, de la fermeture des usines pour cause de délocalisation, ou du maintien des services publics en zone rurale ou semi-rurale… n’intéressent que ceux qui y sont, à leurs dépens le plus souvent, confrontés : il est un peu désespérant de voir le peu de mobilisation concrète quand une entreprise dont le siège social est installé en Italie ou aux États-Unis annonce qu’elle va mettre un terme définitif à une activité industrielle pourtant fortement ancrée dans la mémoire de notre pays. Les conserveries Saupiquet en sont le triste exemple : rien, ou presque, n’est venu troubler l’agonie de l’usine de Quimper, en décembre dernier… Désormais, le nom de Saupiquet n’est plus français : qui s’en soucie encore ? Nous, sans doute, mais avouons que ce n’est – malheureusement – pas suffisant…
Royalisme social
Crise de la République…
La Cinquième République est en crise : ce constat est d’une terrible banalité, mais il n’enlève rien à sa réalité et à ses dangers pour notre pays. Non que la République soit défendable, loin de là et bien au contraire, mais cette situation du cadre institutionnel actuel de notre nation française (cadre qui régit les services publics, décide des politiques économiques et sociales, indique des directions et se doit d’assurer la tranquillité des populations et des territoires) fragilise notre rapport au monde et notre crédit aux yeux d’autrui, et démontre à l’envi la justesse des analyses royalistes d’une faiblesse structurelle de l’Etat central (quand beaucoup pensaient et pensent encore qu’elle n’est que conjoncturelle) et de ses vices qui, malgré la parenthèse gaullienne (elle-même loin d’être totalement satisfaisante…), sont inhérents à tout régime qui laisse la démocratie s’emparer de la magistrature suprême de l’Etat, dans une erreur de positionnement que l’histoire juge souvent sévèrement et, parfois, cruellement (1). Il n’est pas possible de se réjouir du malheur de la Cinquième quand celui-ci fait aussi, par la force des choses et l’enchaînement des faits, le malheur du pays : « la politique du pire est la pire des politiques », s’exclamait avec raison Charles Maurras. Mais il est urgent et toujours utile de dénoncer cette République qui désarme le pays face aux enjeux et aux risques contemporains, et d’évoquer, aussi fortement que possible et de la manière la plus crédible et constructive que faire se peut, la nécessité d’une magistrature suprême de l’Etat ancrée dans le temps long et indépendante par son statut non-électif et héréditaire, parce que éminemment, politiquement, institutionnellement royal.
Le désordre politique actuel n’est pas le fruit d’un malheureux hasard mais celui de la volonté hasardeuse d’un homme qui, monocrate plutôt que monarque, s’est cru Jupiter quand il n’était qu’un apprenti sorcier : de l’or français, il en a fait du plomb, celui des chaînes qui entravent les mouvements de notre pays et semblent en réduire, durablement, les perspectives d’action et de réaction. D’une République qui était censée protéger des blocages parlementaires (tels que ceux, fréquents et parfois terrifiants, qui pouvaient caractériser les Républiques précédentes…), nous sommes désormais passés à une République qui renoue avec le pire des désordres, celui de l’impuissance de l’Etat et du pouvoir de malfaisance des féodalités qui veulent toutes le soumettre à leurs propres envies : le pitoyable spectacle de l’Assemblée nationale, théâtre de l’invective permanente et de la surenchère militante, détourne les citoyens de la politique, à tort confondue avec ce cirque sans joie.
Et pourtant ! Jamais depuis les débuts de la Cinquième, la situation de notre pays n’a été aussi périlleuse, au risque de détruire, non seulement un modèle social en place depuis les années 1940 (qui mérite sans doute une critique constructive, et nous ne manquerons pas de la faire), mais l’idée même d’une convivialité sociale qui est l’un des piliers de l’unité française. Ainsi, de la dette publique, aujourd’hui lourde de plus de 3.300 milliards d’euros, et qui semble désormais hors de contrôle au risque de livrer notre nation aux griffes d’institutions financières internationales ou à celles, pas plus bienveillantes, d’institutions européennes soucieuses d’une vaine orthodoxie budgétaire aux critères de Maëstricht. Les circonvolutions gouvernementales et politiciennes des derniers mois, de M. Barnier à M. Bayrou (plus occupés à trouver une majorité de non-censure qu’à affronter les défis urgents du moment ou à creuser une voie crédible pour les années et les décennies à venir), ne sont guère de nature à nous rassurer, loin de là, et elles semblent marquées du sceau de l’impuissance plutôt que de la maîtrise. Or, il faut répondre à ce défi, mais sans négliger les autres éléments de la problématique économique et sans y sacrifier les nécessités sociales : si la réduction de la dette devait se faire en méprisant les conditions et les principaux aspects de la justice sociale, elle devrait être combattue avec la plus grande vigueur. Dans le même temps, céder aux facilités fiscales pour tenter de colmater quelques brèches budgétaires serait tout à fait néfaste et, assez rapidement, contre-productif. En somme, ni les solutions proprement libérales ni celles purement étatistes ne sont satisfaisantes ni souhaitables : pour répondre au défi de la dette, il importe de « faire de la force ». Cela signifie de refaire une économie solide, prospère (2), capable d’affronter les concurrences extérieures et de supporter les risques de la mondialisation (sans forcément l’agréer, d’ailleurs (3)…), mais aussi de se libérer, autant que faire se peut, d’une dette qui emprisonne et peut, si l’on n’y prend garde, limiter voire annihiler notre liberté de parole et d’action.
(à suivre : « L’espérance, ce désespoir surmonté » : La France ne doit pas s’abandonner au désespoir.)
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Quand elle devient un mode de désignation de la magistrature suprême, que cela soit par une élection interne au pays légal (comme sous les Troisième et Quatrième Républiques dont le président était l’élu d’un vote parlementaire) ou par l’élection directe par le suffrage universel, la démocratie ouvre la voie à des querelles sans fin et à une remise en cause permanente par les oppositions (qui, d’ailleurs, sont légitimes à la pratiquer) et, dans le cadre de la Cinquième et surtout depuis le quinquennat, à une forme de « présidentielle permanente » qui abîme la fonction de Chef de l’Etat et son incarnation.
(2) : La prospérité ne se décrète pas et elle dépend de multiples facteurs, mais c’est bien elle qui doit être envisagée et que le comte de Paris, dans les années 1930, évoquait sous la formule de « bonheur du peuple » dont il expliquait que cela devait être une motivation forte du pouvoir politique.
(3) : « La mondialisation est un fait, elle n’est pas forcément un bienfait », avons-nous coutume de dire. A une mondialisation globalisante, une internationalisation des échanges qui, comme son nom même l’indique, respecte les nations et les Etats, est préférable. Non qu’elle ne donne pas lieu, là aussi, à des concurrences qui peuvent être sévères, mais elle les inscrit dans un ensemble de nations et d’Etats reconnus qui peuvent agir pour préserver leurs intérêts nationaux et, surtout, sociaux. Quand la mondialisation tend, par principe, à effacer les Etats et les mécanismes propres à chacun, l’internationalisation les reconnaît et permet des ententes entre eux, une forme de multilatéralisme économique, sans doute moins brutal que la gouvernance mondiale…
Soutien aux agriculteurs :
Soutien total à nos agriculteurs, ils sont les éternels représentants de nos traditions et jardiniers des paysages de la France !
GAR
Maladresses et fautes de la République face à la crise.
Dans une précédente note, j’évoquais le cas de l’usine Saupiquet de Quimper, victime d’une délocalisation qu’il n’est pas absurde de taxer de spéculative et qui laisse plus de 120 personnes sur le carreau, sans emploi ni promesse fiable d’emploi prochain. Mais il serait malhonnête ou faux de penser que c’est la seule et unique cause des fermetures d’usines et d’entreprises aujourd’hui.
Une autre cause des fermetures d’usines actuelles doit être évoquée et dénoncée : la hausse des prix de l’énergie, devenus insupportables pour nombre d’entreprises ou de commerces, de la petite boulangerie de village à la grande unité de production de pneumatiques comme Michelin. En 2022, la guerre russo-ukrainienne avait logiquement entraîné une augmentation remarquable des prix du gaz et de l’électricité, et la rupture des pays européens avec la Russie (grand pays exportateur de gaz) avait évidemment renchéri ce souci inflationniste, au point d’entraîner la disparition de plusieurs milliers de boulangeries rurales incapables de faire face à ces surcoûts malvenus quelques mois après la crise sanitaire et les confinements. L’entreprise Duralex, par exemple, se retrouva ainsi dans une situation financière intenable (3) et était appelée à disparaître cet été, jusqu’à ce que soit acceptée par le tribunal du commerce d’Orléans sa transformation en coopérative organisée et administrée par les salariés volontaires eux-mêmes (une Scop, société coopérative de production, ou société coopérative et participative), et qu’un vaste mouvement de solidarité française lui remette, par des achats nouveaux et nombreux, le pied à l’étrier. Mais l’Etat français est aussi coupable dans cette inflation énergétique, de par son refus ou son incapacité de sortir (4) ou de renégocier les conditions du marché de gros européen de l’électricité, alors que ce mécanisme entraîne une surévaluation du prix de l’électricité en France (à cause de son indexation sur les prix du gaz…), surévaluation extrêmement handicapante pour les activités industrielles, commerciales mais aussi domestiques françaises. D’autant plus coupable que nombre d’entrepreneurs avertissent depuis plus d’un an que le coût trop élevé de l’énergie en France peut les pousser à cesser leurs activités dans notre pays ! En fait, l’Etat n’a rien voulu entendre ou comprendre, et c’est la France et ses travailleurs qui en payent le prix lourd maintenant.
Comme si cela ne suffisait pas, la République en rajoute encore une couche, à travers une politique fiscale désormais répulsive sans même être efficace, avec le risque supplémentaire de voir les impôts et les taxes rentrer moins facilement dans les caisses de l’Etat, ce qui peut, d’ailleurs, expliquer l’erreur de prévision de l’administration gouvernementale qui avait visiblement surévalué les recettes pour 2024, au point de hausser, après correction, le déficit public de la France à plus de 6 % du Produit intérieur brut de notre pays… Il n’est pas certain que taxer un peu plus les entreprises aujourd’hui soit le meilleur moyen de maintenir les investissements en France, au moment même ils sont les plus nécessaires pour éviter un décrochage économique qui menace, concrètement, le pays tout entier. Là encore, un peu de tact ne nuirait pas, ce qui n’empêche pas de rappeler aux patrons et aux actionnaires leurs devoirs sociaux pour « faire nation », ce qui, il faut bien l’admettre, n’est pas toujours évident parmi des élites trop souvent formatées à la « mondialisation libérale » et oublieuses de leur patrie… Mais, les taxer plus au moment où cela va mal n’est pas de bonne politique : en revanche, il serait très profitable de le faire, y compris un peu fortement et temporairement, au moment où les indicateurs industriels et économiques seront plus favorables, et il sera alors plus facile pour l’Etat de le faire accepter et, surtout, plus utile et rentable…
L’Etat a un rôle à jouer dans l’économie du pays qui ne doit pas être de vouloir tout régenter à l’intérieur, et les partenaires sociaux sont souvent les mieux placés pour s’organiser eux-mêmes, discuter des règles internes et des salaires (ce qui se fait déjà, d’ailleurs, dans les branches professionnelles que certains voient comme les reliquats ou, au contraire, les prémisses d’une organisation corporative…). Le rôle de l’Etat doit être d’arbitrer entre les grands acteurs sociaux, particulièrement au moment des crises et des conflits sociaux toujours possibles en société. Mais, surtout, il est de préserver ce qui doit l’être, c’est-à-dire les intérêts de la nation et de ses corps professionnels et sociaux : d’où la nécessité d’une véritable politique d’Etat sur le long terme, et non d’une politique des petits coups et des facilités (5) qui, en fin de compte, appauvrit un peu plus l’Etat sans en crédibiliser l’action… Oui, l’Etat doit être préservateur, il doit être protecteur mais non de façon passive : il ne doit pas se désintéresser de l’économie, il doit être le garant des activités économiques nationales, y compris en élevant la voix sur la scène internationale et en intervenant pour soutenir ce qui doit l’être, ici et maintenant. Dans la mondialisation contemporaine, il ne doit pas être le spectateur d’une gouvernance souvent injuste et déséquilibrée au profit des seules féodalités économiques et financières, mais l’acteur des relations internationales et des équilibres nécessaires, toujours en pensant, d’abord, à la France qu’il incarne, sert et défend autant qu’il la promeut : voici là un nationalisme qui peut être ferme sans être fermé, car il ne s’agit pas de détruire ou d’interdire, mais de parler haut et fort sans forcément céder à l’esprit de querelle.
Malheureusement, et la difficulté actuelle de l’Etat français à faire accepter par la Commission européenne et nos partenaires le refus d’un traité Mercosur néfaste pour notre agriculture comme pour l’environnement (y compris des pays sud-américains eux-mêmes) le prouve à l’envi, la France et son Etat souffrent de l’incertitude politique renforcée par « l’entrée en Sixième République » (qui ressemble furieusement à la Quatrième, avec les mêmes désordres permanents et l’impuissance d’un Etat dépassé par ses propres errements présidentiels, gouvernementaux et parlementaires, au risque de la chute permanente pour le gouvernement…). Il faudra bien finir par en tirer les conclusions institutionnelles qui s’imposent si l’on veut éviter que notre pays ne s’enfonce dans un marasme fatal…
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (3) : Duralex est une verrerie qui, par nature, est une très grosse consommatrice d’énergie pour ses fours.
(4) : L’Espagne et le Portugal sont sortis temporairement du marché de gros européen de l’électricité, après négociation et validation par la Commission européenne : cela a permis à ces deux pays de mieux maîtriser le coût de l’électricité et de l’abaisser…
(5) : La politique des facilités est celle qui consiste à faire des annonces et arroser un secteur d’activité en difficulté pour calmer une tempête en cours ou à venir, mais sans prendre le temps et les moyens, ensuite, de préparer un cadre « réparateur » et une politique de long terme pour permettre à ce cadre d’être efficace dans la durée. Or, il importe pourtant bien aujourd’hui, à l’inverse de la politique des facilités, de permettre l’existence d’un tel cadre mais non de l’ordonner entièrement, ce qui doit rester, en grande partie (et selon les cas concernés), l’apanage des acteurs professionnels et sociaux : c’est la mise en pratique de la nécessaire subsidiarité, qui doit être l’inverse de l’assistanat et du jacobinisme d’Etat sans être le libéralisme ou le libertarisme économique, autre nom du désordre tyrannique, celui qui place la puissance en opposition avec la justice…
Le triste Noël des salariés de Saupiquet.
Il y a quelques jours, le 20 décembre exactement, la dernière usine française de conserverie de poisson Saupiquet a fermé ses portes à Quimper : cette fermeture scelle ainsi une aventure industrielle débutée sur les bords de la Loire en 1877 et initiée alors par Arsène Saupiquet, dans la conserverie de sardines. Ce triste événement n’a pas mobilisé les grands médias ni les politiques, visiblement plus occupés à leurs petites affaires politiciennes et à la préparation de la prochaine élection présidentielle de 2027 qu’au sort d’une usine de conserves et de ses salariés : le pays légal se désintéresse d’une entreprise considérée comme non stratégique et appartenant à un monde ancien. Que plus de 150 emplois disparaissent ainsi dans le Finistère n’a plus d’importance pour une classe dirigeante qui semble plutôt obnubilée par une dette publique qu’elle a pourtant contribué à creuser depuis une quarantaine d’années, au nom d’une (double) idéologie économique dominante (la société de consommation et la mondialisation libérale) qu’elle ne reniera évidemment pas. Pour le coup et en évoquant les nombreux autres plans sociaux qui font désormais l’actualité, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a trouvé la bonne formule pour signifier cet état d’esprit du pays légal, en parlant de l’attitude timorée du ministre de l’Industrie Marc Ferracci (ministre maintenu sous Bayrou après l’être devenu sous Barnier…) : « Le ministre installe l’idée qu’il n’y a plus lieu de se battre : « prenez le chèque et taisez-vous ». Visiblement, il n’a pas compris son rôle : il n’est pas ministre des licenciements, mais de l’industrie ! Les travailleurs ne se battent pas pour avoir des indemnités pour partir, ils se battent pour défendre leur emploi. » Sauver un emploi industriel, c’est en sauver au moins deux ou trois de plus, en fait, et le ministre ferait bien de s’en rappeler : l’usine n’est pas peuplée que d’ouvriers de production mais aussi de personnels de nettoyage et de restauration, parfois, quand ces derniers peuvent aussi se trouver à proximité de l’entreprise ; accueillant aussi des populations de jeunes recrutés sur le bassin d’emploi, l’usine maintient des classes scolaires en activité grâce aux enfants des ménages ouvriers ; sans négliger des commerces alentours et, parfois, des sous-traitants ou des services de maintenance et de réparation… En fait, une usine fermée, c’est tout un écosystème économique et social qui risque de disparaître, d’autant plus quand celle qui disparaît était déjà la survivante des décennies passées et que, là aussi, elle n’avait plus le nombre de salariés qu’elle pouvait compter quelques années auparavant.
Or, c’est un véritable raz-de-marée de plans sociaux et de fermetures définitives d’usines, voire d’entreprises, qui est en train de frapper la France : la timide mais indéniable réindustrialisation de ces dernières années risque de ne plus suffire d’ici peu à absorber toutes les faillites, les disparitions d’usines et celles du savoir-faire de nombreuses activités industrielles, ainsi que la dévitalisation des territoires ainsi touchés par cette nouvelle et violente désindustrialisation concrète. Michelin, Valeo, Saunier Duval, Vencorex, et tant d’autres noms retentissent dans l’actualité sociale comme autant de glas annonciateurs du trépas de « 150.000 emplois » selon Mme Binet, mais peut-être jusqu’à 300.000 si l’on en croit certains économistes et analystes financiers : cette terrible situation est-elle l’effet d’une mauvaise passe (ou conjoncture) ou bien le résultat d’erreurs, voire de fautes, des entreprises et, éventuellement, du pays légal ? Et si oui, n’est-elle que cela ? Ne s’inscrit-elle pas dans un processus de long terme, au-delà d’un simple quinquennat présidentiel ou du mandat d’un dirigeant d’entreprise ? En fait, il existe plusieurs cas de figure, qu’il n’est pas inutile de citer, et qui peuvent parfois se combiner en un mélange infernal.
Si l’on prend le cas de l’usine Saupiquet de Quimper, celle-ci est victime d’une délocalisation en partie spéculative (sans être, pour celle-ci, liée au système actionnarial proprement dit (1), contrairement à nombre de groupes transnationaux) et du système de la mondialisation libérale, libre-échangiste et de la profitabilité recherchée à tout prix (en particulier social), quelles qu’en soient les conséquences humaines et territoriales. Dans un monde où de grands groupes internationaux et mondialisés rachètent les marques sans regarder à leur nationalité ni s’intéresser aux conditions des travailleurs, ces derniers ne sont considérés que comme des variables d’ajustement : ainsi, le propriétaire de Saupiquet est le groupe italien Bolton Food depuis 2000, et celui-ci a déjà fermé nombre d’usines de la marque en France (2) jusqu’à la dernière, Quimper… A chaque fois, l’argument était à peu près le même : les ventes diminuent en France, elles ne sont plus assez profitables et la main-d’œuvre est trop coûteuse (sic), et il faut préserver la compétitivité de l’entreprise. L’activité, elle, est délocalisée à l’étranger, dans des pays pas forcément consommateurs des produits sortant de l’usine, mais pour continuer à produire pour le pays victime de la délocalisation : dans le cas de Saupiquet, « une grosse partie de la ligne sardine sera installée dans une usine du groupe au Maroc, la ligne maquereau rejoindra une usine Bolton en Espagne », selon les déclarations du groupe Bolton lui-même, mais leurs productions seront toujours bien présentes dans les rayonnages des magasins français et… quimpérois ! La même chose s’est produite pour nombre d’autres marques emblématiques de l’histoire industrielle française, et il est rageant de constater que cette mauvaise affaire se reproduit encore et encore sans entraîner beaucoup de réactions ni du pays légal, ni des consommateurs eux-mêmes, vite oublieux des drames sociaux provoqués lors des fermetures d’usines parfois toutes proches… Quel triste Noël pour les familles de salariés Saupiquet : les aiguilles du sapin risquent bien d’être autant d’épines dans le cœur des ouvriers abandonnés, et les agapes festives de la Saint-Sylvestre bien amères… Surtout quand l’on sait que, à l’heure où j’écris, 120 salariés (sur les quelques 150 licenciés) n’ont pas de proposition fiable d’emploi prochain. Oui, décidément, quel triste Noël…
(à suivre)
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Contrairement à nombre de grandes Firmes capitalistiques transnationales, Bolton Food, propriétaire de Saupiquet, est un groupe à « capitaux familiaux », et ne subit pas les mêmes pressions que les grandes sociétés dont nombre d’actionnaires sont étrangers à l’entreprise elle-même et qui, du coup, poussent souvent à des délocalisations purement spéculatives, et souvent sans motivation industrielle mais seulement financière, ce dont on ne peut pas forcément accuser ce groupe italien.
(2) : Le groupe Bolton Food a fermé l’usine de Saint-Gilles-Croix-de-Vie en 2001, celle de Nantes (et le siège social…) en 2005 et celle de Saint-Avé, près de Vannes en 2010. Quimper ferme la marche et, dans le même mouvement, l’aventure française de Saupiquet…
La Tour du Pin… contre le traité Mercosur !
En relisant les textes du marquis René de La Tour du Pin (véritable théoricien du royalisme social et du corporatisme français) décédé il y a tout juste cent ans, le 4 décembre 1924, quelques lignes me sautent aux yeux, et me paraissent d’une grande actualité en ces temps de débats sur les traités de libre-échange dont celui avec le Mercosur n’est que le dernier exemple en date. Après avoir évoqué la nature du contrat de travail en France et ce qu’il pourrait (et devrait) être, La Tour du Pin souligne, à raison, que « les traités internationaux doivent être conclus, non pas dans l’intérêt du fisc, ni même dans celui du consommateur, mais avant tout en vue de la protection morale et matérielle que le travailleur doit rencontrer dans l’Etat chrétien » (1). Au-delà du temps, cette phrase écrite en 1882 n’a rien perdu de sa valeur, et il n’est pas inutile de la rappeler, mais aussi d’en montrer, en quelques lignes, le sens et la portée, tout en la contextualisant et, pourquoi pas, en la réactualisant.
Dans sa pensée, qui est profondément enracinée dans une foi catholique très vive, La Tour du Pin place l’homme-producteur, l’homme créateur de richesses, maître de sa production sans en être forcément le destinataire, avant celui qui doit en profiter par l’achat et l’usage, l’homme-consommateur : c’est, aujourd’hui, l’exact inverse dans notre société de consommation qui privilégie la consommation au détriment des conditions de travail et de vie du producteur lui-même, mais aussi au dépens de la nature, des ressources d’icelle, qu’elles soient souterraines et extraites du sous-sol ou de surface et récoltées, récupérées ou prélevées. Dans ce système dans lequel il s’agit de « consommer pour produire » et de « faire consommer pour produire », le producteur de base est trop souvent négligé, voire largement exploité et considéré, dans les temps de crise de consommation, comme une variable d’ajustement susceptible d’être éjecté socialement du système et de la possibilité d’être à son tour et en rétribution de sa peine, un consommateur…
Dans la logique contemporaine du libre-échange, s’applique le terrible principe de la « liberté du travail » qui, l’histoire et la philosophie économiques le rappellent à l’envi, n’est nullement la liberté des travailleurs ni la qualité du travail elle-même, mais la liberté du capital qui s’impose au travail et aux travailleurs, en salariant ces derniers selon les nécessités des propriétaires de capitaux et selon les revenus qu’ils espèrent en tirer, dans une logique de profit qui, parfois, ne tourne qu’au désir d’une profitabilité toujours plus grande, voire démesurée au regard des conditions de travail et de salaire imposées aux travailleurs, parfois très éloignés du marché final de consommation, dans le grand et terrible jeu de la mondialisation. C’est vrai dans le monde de l’industrie, ça l’est aussi dans celui de l’agriculture désormais intégrée quasi-totalement (en particulièrement dans les pays développés, du Nord comme du Sud) à la globalisation commerciale, au risque de favoriser les grandes féodalités de l’agroalimentaire et d’étouffer les petits et moyens producteurs, cultivateurs comme éleveurs.
Or, les grandes puissances économiques étatiques (2), souvent de moins en moins politiques et de plus en plus gestionnaires, s’abandonnent aux facilités de la fiscalité comme une excuse à leur propre impuissance face aux acteurs dominants de la mondialisation, et elles espèrent ainsi donner l’illusion de la maîtrise d’un système que, généralement, elles ne contrôlent plus. En fait, ce constat est surtout vrai dans les Etats les plus anciennement industrialisés et démocratiques (à des degrés divers, selon les histoires particulières des Etats et de leur entrée dans la modernité consommatoire) et la France, qui longtemps resta fidèle à cette double idée que sa politique ne se faisait pas à la Corbeille (3) et que « l’intendance suivra » (4), paraît désormais moins assurée sur cette logique pourtant nécessaire : le fait d’avoir déléguée une part de sa souveraineté à des institutions monétaires européennes et de se retrouver apparemment incapable de préserver son pré carré législatif et éco-diplomatique à cause de ses engagements « européens », contredit la citation de La Tour du Pin, sans l’invalider dans sa nécessité, bien au contraire !
Le traité Mercosur, qui risque bien d’être imposé par l’Union européenne à la France d’ici peu, et cela malgré le refus affiché du président de la République et des parlementaires français il y a quelques jours encore, en est la triste démonstration : ce traité de libre-échange, qui n’est ni écologique ni social (5), est souvent vanté par ses promoteurs comme le meilleur moyen de faire des affaires pour les consommateurs européens mais aussi sud-américains, quand la question du sort des producteurs de base (¬6) est trop souvent éludée, voire évacuée. L’on sait pourtant que ce traité se traduira aussi par des désespérances paysannes et par des dévastations écologiques, au nom d’un Développement qui ne peut être durable, et cela par essence même…
Face à cela, il ne nous est pas possible d’être indifférents ou neutres, et nos prédécesseurs nous donnent quelques clés d’explication et nous fixent quelques devoirs militants. La Tour du Pin, dont il paraît tout à fait utile de relire les principaux textes regroupés dans quelques ouvrages dont le fameux « Vers un ordre social chrétien », souvent évoqué par son sous-titre « Jalons de route », s’inscrit dans cette logique que l’Eglise rappellera à sa suite dans l’encyclique Rerum Novarum de 1891 et qui veut que le travail assure au travailleur le pain quotidien (et un peu plus même) pour toute la famille, et qu’il ne doit pas être source de malheur et d’exploitation mais d’accomplissement… Est-ce choquant de vouloir ce qui semble de bon aloi et de bonne justice, éminemment sociale ? Dans un monde capitaliste qui, comme le souligne aussi La Tour du Pin, semble être, avant tout, « la souveraineté de l’argent », le combat pour une bonne pratique de la justice sociale n’est pas un « divertissement d’activiste », il est la condition même d’une vie sociale équilibrée. La Tour du Pin, en catholique conséquent, évoque l’Etat chrétien protecteur du travailleur : au regard de l’histoire de la France, cet Etat ne peut être que royal. Et il n’est obligatoire d’être soi-même chrétien pour le reconnaître et l’approuver : le souci politique de la justice sociale suffit à conclure de la même manière pour une Monarchie royale éminemment sociale, non par conjoncture mais par nature…
Jean-Philippe Chauvin
Notes : (1) : Extraits de « Vers un Ordre social chrétien ; Jalons de route, 1882-1907 », Marquis de La-Tour-du-Pin La Charce, édité à la Nouvelle Librairie Nationale, 1907.
(2) : Je précise étatiques, car désormais les grandes puissances économiques sont, surtout, des FCT (Firmes Capitalistiques Transnationales), peu enclines à se soumettre (sauf honorables exceptions) aux Etats eux-mêmes et à leurs règles sociales : nous voici revenus au temps des grands féodaux qui s’émancipent des nécessaires devoirs sociaux qui, normalement, incombent aux puissants envers les moins aisés ou les plus fragiles, et, au-delà, envers le bien commun…
(3) : Le surnom de la Bourse, dans des temps pas si anciens que cela…
(4) : Selon la fameuse formule attribuée au général de Gaulle qui, en lecteur ancien de Maurras et en conformité avec la tradition capétienne – au moins sur ce plan… – considérait que le bon usage du « politique d’abord » était le meilleur moyen d’assumer et d’assurer les charges et devoirs de l’Etat et la protection de la nation et de ses citoyens, et de faire « de bonnes finances »…
(5) : Ce n’est d’ailleurs pas la motivation ni le but d’un tel accord…
(6) : Je ne parle donc pas des grandes sociétés soucieuses de s’ouvrir de nouveaux marchés à moindres frais, au bénéfice de leurs propriétaires comme de leurs actionnaires, mais bien plutôt des petits et moyens agriculteurs, qu’ils soient français, européens ou, de l’autre côté de l’Atlantique, brésiliens ou uruguayens, qui risquent de faire les frais de ces échanges inégaux et, finalement, économiquement comme socialement injustes.
René de la Tour du Pin, théoricien royaliste.
Il y a un siècle, le 4 décembre 1924, s’éteignait le marquis René de La Tour du Pin. Catholique fervent et royaliste non moins fidèle, La Tour du Pin a lutté à la fois contre le capitalisme libéral et contre le socialisme marxiste : il a souhaité la concorde sociale et milité pour le respect des travailleurs et la dignité du travail sans céder aux facilités de la démagogie ou de la posture activiste. Il a dénoncé le système économique capitaliste dont il disait qu’il était « la souveraineté de l’argent ». Son espérance s’incarnait dans la Monarchie fédérative et sociale par essence.
Cent ans après sa disparition, un colloque lui sera consacré samedi 7 décembre, à Paris.
Le traité Mercosur, nous n’en voulons pas !
La reprise de la contestation agricole ces derniers jours n’est pas vraiment une surprise : les promesses faites aux agriculteurs l’hiver dernier sont largement restées lettre morte, d’autant plus depuis la dissolution hâtive et désordonnée de l’assemblée nationale en juin dernier par le président de la République ! La résistance de la France face à la perspective de la signature du traité dit du Mercosur par l’Union européenne est-elle suffisante pour amoindrir la colère paysanne ? Il semble bien que cela ne puisse plus suffire car la Commission européenne et l’Allemagne (entre autres) sont bien décidées à ne pas tenir compte de la position française sur ce plan-là comme sur beaucoup d’autres ces dernières années : que fera la République française si, d’aventure, le traité est signé ces heures prochaines ? S’inclinera-t-elle (ou, plutôt, s’humiliera-t-elle…) pour respecter les règles d’une Union européenne qu’elle entend ne pas remettre en cause quoiqu’il advienne ? Sacrifiera-t-elle ainsi une grande partie de nos éleveurs (entre autres) auxquels cette même Union impose des règles et des normes qui, pour ne pas être toutes inutiles, sont le plus souvent comminatoires et fort peu appropriées aux enjeux du moment, particulièrement sociaux et, ici, ruraux et agricoles ?
Ce projet d’accord avec les pays d’Amérique du Sud révèle à l’envi toute l’hypocrisie d’une Union qui se veut écologiquement irréprochable chez elle (ce qui peut prêter à sourire, en fait) mais accepte toutes les dérives loin du continent européen, comme si l’éloignement garantissait l’impunité aux destructeurs de la forêt amazonienne et de la savane du Cerrado : en somme, l’Union européenne délocalise les productions agricoles de son propre continent après avoir laissé les grandes entreprises délocaliser notre industrie depuis plus de quarante ans, avec les conséquences économiquement et socialement désastreuses que l’on connaît… L’environnement des pays sud-américains et les emplois des agricultures européennes seront les principales victimes de cet accord « bœuf brésilien contre voitures allemandes », mais qu’importe aux idéologues de la mondialisation libérale qui ne jurent que par le libre-échange et en oublient les producteurs de base !
Il est pourtant bien possible que nous arrivions à la fin d’un cycle, et que le temps du libre-échange incontesté soit en passe d’être révolu : le durcissement probable de la politique d’extrême protectionnisme des Etats-Unis dans les mois prochains et la prise de conscience de nombre d’Etats qu’un protectionnisme raisonnable est d’abord préservateur de leurs propres intérêts et qu’il tend aussi à diminuer les effets d’une circulation trop intensive (et fortement carbonée…) des produits autour de la planète, sont autant de signes annonciateurs de cette dévaluation dans les esprits de la logique (et de la pratique ?) de la mondialisation sans entrave. L’empressement allemand à signer le traité avec le Mercosur se conjugue désormais avec la peur de la désindustrialisation Outre-Rhin, ce processus qui a commencé tranquillement en 2016 sans, alors, alerter la chancelière Merkel ni les acteurs publics allemands persuadés de l’éternité de l’industrie triomphante allemande.
Les agriculteurs français ne doivent pas faire les frais de l’aveuglement des élites mondialisées qui siègent à Bruxelles ou à Francfort, ni de la faiblesse et de la bêtise d’une République française qui a, depuis plus de quarante ans, si systématiquement désarmé industriellement et productivement le pays, au risque d’une dévitalisation économique et d’une explosion de l’endettement (public comme privé) français. « Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances », affirmait crânement le baron Louis au pouvoir royal en 1830 : sa formule devrait inspirer tous ceux qui se targuent aujourd’hui de se mêler de politique et des affaires de l’Etat : cela leur éviterait quelques errements…
Les ouvriers, ces « invisibles » de la mondialisation…
Pendant les élections législatives et après celles-ci, la question ouvrière est passée presque inaperçue, alors même que nombre d’entreprises annonçaient fermetures d’usines en France et délocalisations, y compris de marques emblématiques…
Poulain et Saupiquet, deux noms de marques qui résonnent encore dans les mémoires françaises des générations des Trente Glorieuses, et qui sont éminemment symboliques d’une France traditionnelle alors en voie de modernisation : et pourtant ! Aujourd’hui, ces deux marques emblématiques sont en voie de disparition, condamnées à la fermeture par des directions de groupe qui pensent « international » avant « social », et espèrent dégager plus de profit immédiat pour leurs actionnaires, au détriment, donc, des salariés considérés, en définitive, comme une simple variable d’ajustement : la profitabilité (1) prévaut sur toute autre considération et, il faut le répéter, ce n’est ni bon ni juste. Les arguments déployés par la direction du groupe propriétaire de la marque Poulain, née en 1848 à Blois, sont d’une simplicité et d’un cynisme absolus : « Le groupe Carambar & Co entend conserver la marque, mais veut produire le chocolat ailleurs- sans préciser encore où – et pour moins cher. (2)» C’est donc d’une délocalisation spéculative dont il s’agit, et qui garde la marque française comme argument (rassurant) de vente mais se débarrasse des travailleurs comme d’un papier d’emballage gênant, sans respect ni pour eux, ni pour le territoire concerné (le Blésois), dont on sait qu’il subira les conséquences négatives de cette disparition de ce qui est plus qu’une usine et une marque, mais un patrimoine industriel et un écosystème lié à la production du chocolat sous toutes ses formes (tablettes, poudres, etc.). Le plus choquant est aussi que c’est un groupe français (et non étranger) qui pratique cette politique du désastre, montrant ainsi le peu de cas que les dirigeants d’entreprise, quand ils n’ont pas ce sens de l’appartenance nationale (le fameux patriotisme économique, vanté par l’Etat mais moqué par les puissances d’argent et les techno-bureaucrates du pays légal ou de l’Union européenne) mais bien plutôt l’esprit de la mondialisation, celui d’un « seul monde » qui permet d’oublier leurs devoirs sociaux à l’égard de leurs propres concitoyens ! Comment « faire nation » quand les acteurs économiques ne pensent plus qu’à « faire profit » ? (3)
Dans le même temps, en ce début d’été agité, le cas de Saupiquet est aussi peu médiatisé que celui de Poulain : cette invisibilisation de la question ouvrière est révélatrice de la coupure entre des élites urbaines qui s’émeuvent beaucoup plus facilement du licenciement d’un humoriste controversé que de celui de centaines de gens sans histoires et n’ont pas un mot ni une larme pour ceux qui souffrent de l’abandon industriel, et un pays réel, le monde du travail dans les territoires périphériques de la métropolisation, qui se sent dépossédé de son identité professionnelle et de son patrimoine économique au nom d’une mondialisation antisociale dont, pourtant, il leur est dit, doctement, qu’ils en profitent en tant que consommateurs… Or, l’existence et la valeur d’une personne et d’une communauté ne se mesurent pas à leur pouvoir d’achat, fut-il élevé par rapport à tant d’autres de par le monde, mais à leur pouvoir de création et de production de ce qui peut leur permettre de vivre dignement et, surtout, d’être au monde : c’est ce que voulait signifier la philosophe Simone Weil (4) quand elle expliquait, en des temps où l’exploitation dévalorisait salement le travail et abêtissait les travailleurs en France (5), que « le travail est la grande chose, c’est par le travail qu’on s’affranchit, c’est par le travail qu’on est libre ». Priver des ouvriers de leur emploi, de leur travail, c’est les désarmer face au monde, c’est les désocialiser, les anonymer, voire les faire disparaître aux yeux des autres, tout en les culpabilisant le plus souvent, comme s’ils étaient responsables de la mauvaise gestion ou des appétits de leurs dirigeants d’entreprise ou d’usine. Dans ces cas-là, les syndicats contemporains ne sont que des pis-aller pourtant nécessaires, qui ont le mérite d’exister et de faire pression pour permettre au moins une indemnisation convenable (mais est-ce suffisant ? C’est douteux…), mais ils paraissent néanmoins impuissants face aux lourdes machines de guerre (économique et sociale) que sont les groupes mondialisés et face à l’esprit de fatalisme qui érode toute résistance sociale sur le long terme (sauf exception, dont la coopérative « 1336 » est l’illustration la plus significative tout autant qu’elle est particulièrement – du moins, pour l’instant – isolée (6)…).
Notes : (1) : Cette notion a été évoquée dans un précédent article, publié dans Le Bien Commun, revue royaliste de l’Action française de juin 2024.
(2) : Le Monde, mardi 18 juin 2024, page 15.
(3) : En y regardant de plus près, les groupes industriels ou financiers qui défendent plus que jamais « l’ouverture au monde » (sic) et la « nécessaire adaptation » des Français aux mécanismes de la mondialisation économique, apparaissent comme de véritables séparatistes parce qu’ils ne veulent plus participer à l’économie nationale et à ses nécessaires et fondamentales solidarités sociales (y compris fiscales, même si, sur ce point précis, il serait largement temps de remettre à plat tout le système, désormais inapproprié aux enjeux du moment et aux besoins de la France, en particulier sur le plan des initiatives et de l’inventivité, trop taxées pour les motiver sur le long terme). L’Argent prévaut, pour eux, sur toute autre considération, ce qui n’est évidemment pas nouveau et ce que condamnait fermement La Tour du Pin, persuadé qu’il faudrait, parfois, tordre le bras de ces mercenaires de si mauvaise volonté nationale pour faire respecter le simple équilibre social nécessaire…
(4) : Lors de l’épreuve de philosophie du mardi 18 juin 2024, un texte de Simone Weil extrait de « La condition ouvrière » (un recueil d’articles rédigés avant la guerre de 1939-45) fut donné aux candidats de Terminale, l’occasion de constater que la philosophe (décédée en 1943) n’était pas aussi connue qu’elle mériterait de l’être, nombre d’élèves l’ayant confondue avec l’ancienne ministre giscardienne des années 1970… Son ouvrage sur le travail à l’usine est, plus qu’un témoignage, une véritable réflexion sur la nature même de la société d’exploitation capitaliste, et sur ses effets sur les corps comme sur les esprits.
(5) : Il n’est pas interdit de penser que cette situation reste d’actualité dans nombre de pays où les Firmes Capitalistiques Transnationales implantent désormais leurs usines pour en diminuer le coût et améliorer les bénéfices, au détriment des conditions de travail et de l’environnement local…
(6) : 1336 est une coopérative née de la lutte des salariés de la marque l’Eléphant, propriété du groupe agroalimentaire Unilever. Là encore, ce groupe, pourtant bénéficiaire, décide de délocaliser et de déménager les machines de Gémenos (dans les Bouches-du-Rhône) vers la Pologne. Après un combat de 1336 jours, entre grève et occupation de l’usine (de 2010 à 2014), Unilever renonce à reprendre les machines et les ouvriers fondent une SCOP (Société coopérative et participative) dans la foulée. Depuis, cette entreprise fonctionne et ses produits se vendent dans toute la France. C’est ainsi la preuve qu’il n’y a pas de fatalité et qu’une lutte intelligente, enracinée dans un territoire et favorisée par des familles solidaires (à défaut de pouvoirs publics terriblement absents ou peu efficaces sur ce dossier), peut aboutir au maintien d’une production locale et sociale.
Solidarité royaliste avec les travailleurs !
En quelques semaines, la liste des usines menacées de délocalisation ou de fermeture n’a cessé de s’allonger tandis que la classe politicienne, le « pays légal », donnait le triste spectacle de son incompétence et de sa soif insatiable de pouvoir, se partageant les postes sans savoir même avec qui gouverner : dans ce jeu politicien, l’intérêt général et le souci des Français et de notre pays ont été négligés, voire carrément oubliés ! La Cinquième République, conçue par son fondateur pour empêcher le règne des partis et le désordre parlementaire, semble s’achever dans la confusion et, même, le déshonneur…
Cette scandaleuse page politique de notre pays ne doit pas nous faire oublier le nécessaire combat social pour préserver les écosystèmes économiques locaux et les emplois industriels et tertiaires qui y sont liés : à Blois, l’usine Poulain de Villebarou (109 salariés) ; à Quimper, l’usine Saupiquet (155 emplois) ; dans le Loiret, le verrier Duralex (228 salariés) ; en Vendée, l’usine de meubles Gautier (700 emplois) ; à Nantes, l’usine de pompes à chaleur Saunier Duval (250 emplois supprimés) ; etc. Sans oublier l’entreprise Caddie, malheureusement en liquidation judiciaire depuis le jeudi 18 juillet qui laisse sur le carreau des centaines de salariés et leurs familles, dans une indifférence quasi-totale du « pays légal »…
Pour chacun des cas évoqués plus haut, les solutions économiques et sociales peuvent être évidemment différentes, et le combat engagé, en chaque lieu et par les travailleurs concernés (souvent soutenus par une grande part de la population locale), peut prendre diverses formes : mais, dans tous les cas, il faut soutenir les salariés pour maintenir les entreprises en France et éviter la désindustrialisation de multiples territoires, finalement préjudiciable à tous !
Mais, au-delà de ce nécessaire combat, il faut réfléchir aux conditions d’une réindustrialisation favorable aux intérêts du pays (Produire français pour consommer français) ; aux nécessités sociales (assurer un travail digne et utile à tous nos concitoyens) ; aux écosystèmes locaux (refaire un tissu industriel adapté à chaque région et bien intégré dans les territoires, mêmes périphériques). Il faut aussi penser aux conditions politiques favorables à ce grand mouvement de revitalisation productive du pays : au-delà des politiques de circonstances, une stratégie publique s’appuyant sur tous les atouts et acteurs de la France est nécessaire également. Une stratégie sur le long terme que ne permet pas une République prisonnière des jeux de partis et des calculs politiciens, piégée entre deux élections pour la désignation du Chef de l’Etat.
Tout l’avantage d’une Monarchie royale est de placer la magistrature suprême de l’Etat au-dessus des intérêts particuliers et partisans, et de la libérer de la querelle des ambitieux, préjudiciable à la qualité et à l’indépendance de la parole et de l’action de l’Etat. La Monarchie n’est pas un régime parfait (il n’y en a pas sur terre), mais celui qui permet d’utiliser au mieux toutes les compétences et tous les atouts sur le long terme, ce temps long obligatoire si l’on veut aller loin et bien. C’est aussi le régime qui place la justice au centre de ses préoccupations, en servant d’abord les hommes plutôt que l’Argent…