Introduction :
La démocratie est devenue la grande affaire de l’homme occidental. Jadis l’homme se souciait du bien et du mal, de la divinité, de l’éternité de l’âme, du bien commun, de la justice, du progrès, etc… Aujourd’hui il se soucie essentiellement de la « démocratie ».
Dans la presse, dans les médias audiovisuels, à l’université, dans les partis politiques, dans les sphères du pouvoir, dans les clubs mondains, tout un chacun se gargarise de ce mot qui a évidemment perdu en signification ce qu’il a gagné en extension. Désormais la référence à la démocratie est quasi incantatoire ; il n’est pas rare de trouver le mot répété jusqu’à quinze fois dans un article politique ou juridique, comme au XVIIe siècle le mot « chrétien » dans la littérature officielle.
S’agit-il d’un phénomène de mode ? A ce stade il vaudrait mieux parler d’un phénomène à caractère religieux car on dépasse très largement en temps et en ampleur le simple phénomène de la mode. Or ce phénomène de société ne manquera pas de surprendre tout esprit critique épris à la fois de lucidité et de modération pour qui la démocratie n’est guère qu’un mode de gouvernement parmi d’autres. Mode de gouvernement qui a comme les autres ses avantages et ses inconvénients, mais dont on ne saurait attendre qu’il apporte à lui seul la solution aux maux de l’humanité. Car on peut être certain que le simple jeu des mécanismes démocratiques comme le suffrage universel ne permettra pas de résoudre les défis du XXIe siècle s’il n’est pas associé à d’autres mécanismes qui feront appel à l’intelligence, à la créativité, au courage et à la qualité des individus, donc à des valeurs qui découlent plutôt d’une vision aristocratique de la société et de l’homme, aristocratique au sens philosophique du terme évidemment…
La démocratie est donc omniprésente et même hypertrophiée dans notre vision du monde occidentale et moderne ; mais paradoxalement ce concept qui a pris une importance faramineuse, moderne rival de Dieu, est étrangement flou et fuyant et en fin de compte personne ne sait trop bien en quoi réside cette fameuse « démocratie » !
Essayons donc d’y voir plus clair. Laissons là l’imagerie d’Epinal sortie du discours révolutionnaire, à l’usage des enfants des écoles, des étudiants laborieux et des foules crédules, pour tenter de pénétrer la réalité des choses.
Il faut tout d’abord réfléchir à cette constatation que le publiciste italien Mosca avait fait dès la fin du XIXeme siècle : dans les systèmes démocratiques disait-il, les minorités organisées l’emportent nécessairement sur la majorité désorganisée. L’auteur y décrit comment de tout temps les oligarchies se sont partagé le pouvoir, quelque soit le régime politique et répond par avance à une objection : « …Si l’on comprend sans difficulté qu’un homme seul ne saurait commander une masse s’il n’est en elle une minorité qui le soutienne, il est assez difficile d’admettre comme un fait constant et naturel que les minorités commandent aux majorités plutôt que celles-ci à celles-là. Or, c’est là un de ces points, comme il en est tant dans toutes les autres sciences, où l’apparence première des choses est contraire à leur réalité. Dans les faits, il est fatal qu’une minorité organisée, qui obéit à un élan unique, l’emporte sur une majorité désorganisée. La force de la minorité, quelle qu’elle soit, est irrésistible face à tout individu de la majorité, qui se trouve seul face à la totalité de la minorité organisée ; et dans le même temps, on peut dire que celle-ci est organisée précisément parce qu’elle est une minorité. »
Ce constat lucide permet de comprendre un certain nombre d’aspects paradoxaux des régimes démocratiques ; il explique sans doute le déphasage chronique qui existe dans ces régimes entre la dogmatique officielle et la réalité du pouvoir. L’analyse de Mosca est de nature à répondre à beaucoup de nos interrogations sur le fonctionnement de ce qu’il est convenu d’appeler « les Grandes Démocraties »…
La démocratie serait donc une fiction, elle-même au service d’oligarchies organisées ; elle serait même, plus subtilement encore, un système d’occultation du pouvoir. Au fond, la question ne serait donc pas tellement de choisir entre un régime démocratique et un régime aristocratique, mais entre un régime où l’élite se dissimule derrière le masque de la majorité et de la volonté commune (la démocratie) et un régime où l’élite opère au grand jour (la monarchie et les Etats aristocratiques)…
Cette réflexion amène alors à deux autres questions embarrassantes qui pourraient donner lieu à une réflexion à la fois sociologique et philosophique :
1) pourquoi certaines élites éprouvent-t-elles le besoin de se dissimuler ?
2) quelles sont celles dont l’autorité est légitime pour commander aux hommes ?
Mais ces questions nous emmèneraient trop loin et pour l’heure nous nous contenterons de procéder à une sorte de radiographie du système démocratique puisque son apparence ne correspond pas nécessairement à son contenu.
On peut alors poser trois questions embarrassantes mais pourtant tout à fait actuelles, à savoir :
– « Sommes nous en démocratie ?»(I),
– « A quoi sert la démocratie ? » (II)
– « A quelles conditions peut-elle fonctionner ? » (III).
I – Sommes nous en démocratie ?
La question est d’une affligeante banalité car on la pose presque à tous les coins de rues. Et pourtant on peut lui apporter des réponses contradictoires. Tout dépend en effet de la manière dont on a défini préalablement la démocratie, car le terme est aujourd’hui si vague qu’il peut englober des choses très différentes.
Première définition possible, la démocratie serait synonyme « d’Etat de droit ».
C’est la conception la plus large, celle que l’on retrouve souvent dans les Etats anglo-saxons. La démocratie est ici entendue dans son aspect juridique, à savoir la défense des libertés fondamentales et des droits de l’homme. On est tenté alors de répondre par l’affirmative : nous vivons biens dans une démocratie puisque nous pouvons organiser librement des réunions politiques, que nous ne pouvons être arbitrairement incarcérés, que nos propriétés sont reconnues et protégées, etc…
Mais une analyse un peu plus approfondie conduit à relativiser cette affirmation :
– Tout d’abord le système démocratique ne protége pas toujours l’Etat de droit ; il recèle parfois même des tentations totalitaires. On l’a vu dans le passé, les débordements de la Révolution française en constituent l’illustration. Plus récemment la prise du pouvoir par Hitler résultait d’un processus parfaitement démocratique.
Et même de nos jours, ce qu’il est convenu en France d’appeler « notre démocratie » manifeste depuis quelques temps des dérives éminemment fâcheuses. Par exemple en 1990, la loi « Gayssot » a décidé de frapper de sanctions correctionnelles tous ceux qui contestaient publiquement les crimes reconnus comme tels par le Tribunal International de Nuremberg à la fin de la seconde guerre mondiale. Puis en janvier 2005 une autre loi a été votée qui punit désormais de peine correctionnelle les personnes qui tiennent en public des propos « homophobes », autrement dit hostiles à l’homosexualité, sans que l’on sache très bien comment définir ce terme…Enfin fin 2006 l’Assemblée Nationale a voté en première lecture une proposition de loi qui vise à punir de peine de prison ceux qui remettent en question la réalité du génocide arménien…
Cette manière de légiférer n’a rien à envier aux Etats totalitaires qui imposent une vérité officielle qu’il est interdit de contester. Beaucoup s’en sont émus, même à gauche puisqu’à l’initiative du journal « Libération » un certain nombre d’historiens de renom ont signé une pétition intitulée « Liberté pour l’histoire » qui a recueilli plus de 500 signatures. De leur coté, de nombreux professeurs de droit ont également signé une pétition pour réclamer l’abrogation des lois « mémorielles » qui créent en fait des délits d’opinion…
On imagine aisément en effet les excès auxquels peuvent donner lieu de tels précédents législatifs : dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans le Parlement décidera-t-il de punir des même peines correctionnelles ceux qui critiqueront ouvertement l’immigration, la construction européenne ou encore la démocratie elle-même, ce qui placerait la présente contribution hors la loi ?… On n’en est pas là évidemment, mais on parle déjà d’interdire tout propos qui serait susceptible de justifier la colonisation…Il n’y a que le premier pas qui coûte dit-on, et ce premier pas a été franchi en 1990 avec la loi « Gayssot » qui a vu le premier accroc à la liberté d’expression et à la libre recherche scientifique.
C’est un exemple qui montre que la démocratie ne se confond pas nécessairement avec la liberté et la défense de l’Etat de droit.
– Une seconde observation vient étayer cette analyse. L’histoire montre que les libertés publiques et les droits subjectifs ont également été défendus par d’autres formes d’Etats de droit que les Etats démocratiques, puisque tout au long de leur histoire les monarchies européennes ont offert des garanties politiques et juridiques à leurs sujets. Ainsi en France sous l’Ancien Régime, même si les libertés publiques n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, on protégeait la liberté d’association, le droit de propriété, la liberté d’aller et venir, la liberté contractuelle, la liberté de se marier et de fonder une famille, etc.…
De même au XIXeme siècle, des Etats aristo-monarchiques comme l’Empire allemand ou l’Empire Austro-Hongrois ont défendu très efficacement les principales libertés publiques, et n’ont pas hésité à introduire le suffrage universel. Ils ont en outre été les premiers à mettre en place un système de protection sociale inexistant chez nous à cette époque…Enfin, on pourrait faire observer qu’en Angleterre la défense des droits de l’individu avec notamment « l’habeas corpus » est bien antérieure à l’avènement de la démocratie politique.
– Plus fondamentalement enfin, la démocratie ne se confond pas avec le libéralisme ou l’esprit de tolérance car rien n’interdit à la majorité d’opprimer la minorité dès lors que cette majorité est détentrice de la souveraineté politique. Certes, les démocraties libérales s’efforcent d’empêcher ces abus et posent des garde-fous notamment sur plan juridique et institutionnel, mais ceux-ci constituent précisément une limitation du principe démocratique au nom d’autres impératifs jugés prioritaires : la liberté individuelle, le droit des minorités, la tolérance, le respect de la personne humaine, etc… Or ces impératifs auxquels se soumet le régime ne sont pas nécessairement eux-mêmes liés au concept de « démocratie », mais à une conception plus large de la Civilisation.
Bref, l’Etat démocratique n’est qu’une forme d’Etat de droit parmi d’autres. Comme d’autres il peut aussi dériver vers des atteintes aux libertés et l’histoire montre qu’il suffit d’une crise et d’un concours de circonstances économiques, sociales, militaires, voire simplement électorales pour qu’un parti révolutionnaire puisse être porté au pouvoir. La démocratie n’est donc pas toujours synonyme d’Etat de droit et nos libertés sont peut être davantage liées à notre tradition historique qu’à la forme actuelle du gouvernement.
Dans une telle perspective, la question de savoir si l’on est ou non en démocratie est assez secondaire…
Deuxième définition possible, la démocratie serait « le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple ».
Cette seconde définition est issue de la Révolution française et de l’idéologie égalitaire et on la retrouve d’ailleurs dans la Constitution de la Ve République ; elle est plus étroite que la précédente et correspond à l’aspect politique du régime démocratique. Elle est souvent mise en avant par les politiciens de droite comme de gauche qui aiment à se replonger dans la mystique révolutionnaire, source présumée de légitimité électorale.
Une telle définition conduit à donner à la question qui nous occupe une réponse brutale, mais que nous croyons lucide.
Pour le philosophe René Guénon, « le gouvernement du Peuple par lui-même est une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à une autre ». Autrement dit, nous ne sommes pas en démocratie puisque le Peuple est un corps impuissant qui sera toujours gouverné en fait par des élites. On pourrait même ajouter que non seulement nous ne sommes pas en démocratie, mais que nous n’y serons jamais compte tenu de l’impossibilité absolue pour ce Peuple de se gouverner de manière autonome, faute de disposer comme un individu de conscience, de volonté et de réflexion.
L’affirmation est sans doute cruelle pour nos contemporains et ne peut de prime abord que heurter leur sensibilité égalitaire. Mais on ne manquera pas d’être frappé par le caractère artificiel de la théorie de la volonté générale qui constitue un des principaux piliers de la doctrine démocratique. En réalité la volonté générale supposerait l’unanimité ce qui est impossible en pratique et cette prétendue volonté générale n’est autre qu’une volonté majoritaire, ce qui n’est pas du tout la même chose. En outre, cette volonté majoritaire est elle-même fictive puisque désormais dans les grandes démocraties ce sont parfois les abstentionnistes et les protestataires qui sont en réalité majoritaires !
Dès lors, la « volonté générale » n’est rien d’autre que la volonté de la minorité la plus forte et la mieux organisée, ce qui nous renvoie à l’analyse de Mosca, évoquée au début de cette contribution.
Ce n’est que de manière exceptionnelle et dans des périodes de crise extrêmement graves que le Peuple peut manifester une volonté à peu près claire: c’est par exemple le ralliement massif des français au Général De Gaulle à la fin des année 1950 ; ou celui au Maréchal Pétain en 1940… Ce qui montre d’ailleurs que pour être claire dans certaines circonstances, la volonté populaire n’est pas pour autant systématiquement clairvoyante…
Cette seconde définition, utopique, de la démocratie conduit inéluctablement à une réponse négative à la question posée : nous ne sommes pas en démocratie parce que celle-ci n’existe pas. Elle n’est rien d’autre qu’une fiction idéologique à l’usage des peuples, un habile appareil psychologique et idéologique au service des oligarchies au pouvoir.
En outre on sait avec Aristote et Montesquieu que la démocratie tend à se corrompre de deux manières, soit en dérivant vers l’anarchie, c’est-à-dire la lutte de tous contre tous, soit en dérivant vers la ploutocratie, c’est-à-dire vers la dictature des riches. Dans les deux cas, le régime se dégrade et aboutit à la loi du plus fort, du plus rusé et du plus cynique.
Or l’évolution des régimes démocratiques contemporains révèle hélas que ces deux corruptions sont toujours d’actualité : le lien social s’est altéré et la société tend à être dominée par la violence et les rapports de force (anarchie). Parallèlement le monde occidental est désormais dirigé par des puissances économiques et financières (ploutocratie) bien visibles à travers la mondialisation. Ainsi dans un article paru dans le journal « Le Monde » le 16 novembre 2001, notre éminente collègue Mireille Delmas-Marty n’hésitait pas à écrire : « Le monde est gouverné par une ploutocratie cosmopolite suffisamment flexible et mobile pour marginaliser à la fois les Etats, les citoyens et les juges ».
Dès lors, face à la réalité de ces dérives les pessimistes auront tendance à répondre : « nous sommes bien en démocratie puisque nous baignons dans un climat d’anarchie et de ploutocratie ».
Enfin les cyniques « in peto » ajouteront peut-être «…et c’est fort bien comme cela puisque nous y trouvons notre compte…».
Nous ne sommes plus loin du « dernier homme » dont parlait Nietzsche.
Décidément la question naïve « sommes nous en démocratie » conduit déjà à des réponses bien embarrassantes… Mais tout n’est pas encore dit car il est une troisième manière de définir la démocratie.
Troisième définition possible, la démocratie serait la participation des individus à la vie politique.
Cette troisième définition renvoie à l’aspect sociologique de la démocratie, compris comme la volonté de chaque individu de participer aux processus décisionnels. La question revient alors à s’interroger sur la possibilité pour l’homme de maîtriser son destin à travers le destin collectif. A cette question, la réponse est pour le moins surprenante pour ne pas dire paradoxale.
– Dans l’état actuel des choses, c’est-à-dire dans les régimes de démocratie représentative comme le sont les grands pays industriels, la possibilité pour un homme ordinaire d’influer sur l’évolution de la société est extrêmement faible pour ne pas dire inexistante. Cela explique en grande partie l’abstention fréquente d’une bonne partie du corps électoral, celle qui est résignée à son impuissance ; de même que le vote protestataire d’une autre partie, celle qui ne l’est pas encore et dont l’exaspération va grandissante à l’endroit des maîtres du jeu, à savoir les oligarques qui détiennent en fait les leviers de commande.
Cette impuissance a depuis longtemps été dénoncée. Rousseau disait que dans les régimes de démocratie parlementaire « le Peuple est libre un jour (celui des élections) et esclave cinq ans (entre les échéances électorales) ». Charles Péguy quant à lui parlait « du droit de vote cette fraction impuissante du pouvoir ».
Pourquoi cette impuissance ? Elle est inéluctable et liée à la nature même des choses : à la différence des sociétés aristocratiques dans lesquelles la liberté est conçue comme une prérogative ou un droit que tel individu ou telle communauté peut opposer à l’Etat, dans les sociétés démocratiques elle est conçue comme la participation à la décision politique. Or les choses étant ce qu’elles sont, cette liberté se réduit mathématiquement avec le nombre des participants. La fraction de la souveraineté qui était d’environ 1/400e pour les membres de l’Aréopage, l’assemblée politique d’Athènes, ne sera plus évidemment que de 1/500 000 000e dans le cadre d’un empire comme la Communauté européenne. Autant dire qu’elle sera purement verbale et laissera le champ libre aux puissantes oligarchies médiatiques, financières et bureaucratiques que nous évoquions précédemment.
Dans un système qui postule la liberté et l’égalité de ses membres, l’influence de l’individu se dilue inexorablement dans le nombre. Elle est comme un faisceau de lumière qui se perd dans l’immensité des ténèbres…
Certes ce pouvoir dilué à l’extrême a-t-il néanmoins son utilité puisque de temps à autres un sentiment commun soulève ce corps électoral et met en échec les grandes visées des oligarchies au pouvoir ; on l’a vu il n’y a pas si longtemps avec certains référendums ou certaines élections…Mais ces démentis électoraux, pour cinglants qu’ils soient, n’influent que partiellement sur le cours des choses : ils interviennent souvent trop tard, de manière ponctuelle et leur effet est considérablement amorti par la collusion de fait des grands partis au pouvoir. Tout au mieux est-on en présence d’une soupape de sûreté ; en aucun cas d’une implication du citoyen dans la décision politique.
En définitive, le prétendu « déficit démocratique » dont on nous rebat les oreilles est beaucoup plus structurel que fonctionnel ; il tient paradoxalement à la conception démocratique elle-même, c’est à dire quantitative et égalitariste de la société.
– Il n’est possible de remédier à cette impuissance que de deux manières : soit en limitant le mécanisme démocratique à de très petites entités politiques comme les cantons suisses dans lesquelles l’influence de l’électeur retrouve son poids ; soit en abandonnant les postulats de liberté et d’égalité chers aux régimes occidentaux modernes au profit d’une conception inégalitaire et aristocratique qui fait dépendre l’influence des individus dans la vie publique d’un multiplicité de facteurs : la profession, la compétence, la condition sociale, la famille, la culture, la motivation personnelle, etc.…En admettant que tous ne peuvent gouverner on peut alors permettre à certains d’avoir sur la vie publique une influence notable et parfois décisive.
On peut aussi combiner les deux remèdes en organisant de petites entités politiques à caractère démocratique où tout individu dispose d’une certaine influence, à l’intérieur d’un système aristocratique où le rôle des individus est inégalitaire. C’est un peu l’idée du régime mixte d’Aristote qui a pu fonctionner avec profit dans certains Etats : la République romaine, l’Empire allemand, l’Empire Austro-Hongrois, et bien sûr aussi la Monarchie française à certaines époques de son histoire. Maurras lui-même, ce grand pourfendeur de la démocratie, n’y était pas hostile lorsqu’il préconisait « la monarchie en haut, les républiques en bas » !
A la réponse à la question « sommes nous en démocratie ? », la réponse est donc comme nous l’avons dit paradoxale : ce qui entrave la possibilité des individus d’influer sur leur destin collectif, donc ce qui paralyse l’accès réel à la vie politique et le pouvoir concret des citoyens, ce sont précisément les dogmes universalistes et égalitaristes de la démocratie ! Ce qui nous amène à nous demander à quoi sert la démocratie.
Olivier Tournafond