Il est bon que Philippe Lallement rappelle les circonstances dans lesquelles, après 1870, alors que tout semblait tendre au rétablissement de la Monarchie, ce fut, en fin de compte, la République qui fut établie. Chaque élection voit toute la classe politique et tous les gogos et les nantis et les profiteurs… trembler à l’idée que la République est en danger, n’est-ce pas autant d’occasion de rappeler à tout ce vilain monde que la République n’est pas la France ? De quel droit nous oblige-t-on à encenser cette République à qui nous devons, depuis deux siècles, la plupart de nos malheurs ? Les deux millions de morts des guerres civiles et militaires de la Révolution et du Premier l’Empire… les quinze cents mille morts ou grands mutilés de 14/18… et la défaite, l’invasion, les deux millions de prisonniers et les peurs et la faim de notre enfance ? Cette République à qui nous devons les horreurs de l’Épuration, aux heures sombres où les républicains, responsables de la Défaite, revenus dans les fourgons de l’Étranger, ont repris le pouvoir ? …
Quatrième, cinquième république, toutes plus nocives les unes que les autres… C’est Dien-Bien-Phu et le malheur de l’Indochine française, ce sont les accords d’Évian et les Pieds-noirs sacrifiés, les Harkis trahis et massacrés et quarante ans de malheurs, déjà, et ce n’est pas fini, pour cette Algérie, jadis française et heureuse… Ne parlons pas de la décadence des moeurs, de la crétinisation des esprits, de l’avilissement des “élites” politiques, littéraires et artistiques, de la déchéance du système éducatif, de l’omnipotence des pouvoirs financiers, du mercantilisme, de la chienlit généralisée… Oui, il est temps, il est grand temps que les Français fassent les comptes ; il est temps, et n’est-il pas déjà trop tard pour les Français de revendiquer le droit de n’être pas républicains ? Et pourquoi un Français, un bon Français, ne serait-il pas partisan d’un autre régime politique ? Pourquoi n’aurait-il pas le droit de vouloir substituer à ce régime, qui a donné tant de preuves de son incapacité, un autre régime ? Est-ce si monstrueux que de vouloir autre chose ? Un roi ? Un empereur ? Que sais-je ? Pas si monstrueux que cela, sinon comment osons-nous fréquenter la plupart de nos partenaires européens, pour ne parler que de ceux-ci : Angleterre, Espagne, Hollande, Suède, Norvège, Belgique, Luxembourg… ?
En voilà des affreux qui n’ont pas honte de vivre dans des pays qui ne sont pas en république ! Et pourquoi la France est-elle en république ? et comment y est-elle entrée, en république ? Était-ce inéluctable ? Autre chose n’était-il pas possible ? On nous rebat les oreilles de cette nouvelle obligation que nous devons, paraît-il, assumer : le devoir de mémoire. Eh bien, parlons-en ! La mémoire de la France n’est pas exclusivement républicaine, loin de là. La République est survenue comme par accident dans le déroulement de notre destinée politique. Nous sommes entrés en république par inadvertance ; pourquoi ne pas en sortir, un jour ou l’autre, par réflexion et détermination motivée ?