L’homme de droite est content : il a eu «son mai 68 ». Au-delà de la position réactive d’une répétition en miroir et du contentement de soi, qu’en est-il aujourd’hui ?
On a souhaité l’abrogation de la loi Taubira. On a mis plus d’un million de Français dans la rue, par trois fois. Quand ces Français ont gagné les Champs-Élysées, on les a retenus, on les a sagement renvoyés chez eux. Certains ont fait preuve de courage, se sont retrouvés en garde à vue, n’ont rien lâché. On a rationalisé a posteriori, on a parlé de transgression non violente. En ce début d’octobre, il est temps de dresser un bilan.
Celui-ci est clair : c’est un échec. Un échec, car la loi Taubira n’a pas été abrogée. Un échec, car le gouvernement a refusé d’entendre une partie non négligeable du peuple. Le pouvoir avait pourtant reculé lors de l’affaire du CPE ; qu’a-t-il manqué ici ? Nous avons voulu la fin, mais non les moyens.
De bonnes choses ont eu lieu : une prise de conscience ; des rapprochements féconds entre une jeunesse catholique conservatrice et une frange plus révolutionnaire ; un élargissement du discours dont le Printemps français et les Veilleurs ont été les fers de lance.
Après la radicalisation du discours vient la question des moyens. On a voulu se représenter l’inaction de la France bien élevée lors du 26 mai comme une leçon de sagesse : notre non-violence serait écoutée, elle permettrait l’enracinement du mouvement dans la durée, gagnerait l’opinion. Mais des activités de lobbying ou des listes aux municipales ne sont pas un moyen adéquat pour obtenir l’abrogation de la loi Taubira qui, déjà pour une partie non négligeable de l’opinion, est admise comme un état de fait. La guerre d’usure n’est pas une solution, car plus le temps passe, plus une loi est acceptée, et l’usure gagne souvent les troupes qui trouvent vite un autre cheval de bataille ; elle doit faire place à une guerre de mouvement.
Certains parlent de gramscisme de « droite » : cela supposerait, pour être un bon gramscisme, d’investir tous les lieux de pouvoir culturels : médias, associations, écoles, universités…
Il faut bien voir trois choses. Dans le gramscisme, la guerre de position idéologique et culturelle est une solution de deuxième ordre quand la guerre de mouvement a échoué. La guerre de mouvement, pour ce qui nous concerne, n’a même pas été tentée : à peine commencée le 24 mars, elle a vite avorté. (Faut-il préciser que s’agiter, crier et lancer des fumigènes ne constitue pas une transgression violente réelle ?)
La guerre de position idéologique envisagée par le gramscisme est employée par l’extrême gauche, à haute intensité, depuis près de cinquante ans. Son objectif était de sortir de la société de marché capitaliste. A-t-elle réussi ?
La guerre d’usure idéologique, quand la guerre de mouvement a échoué, est un bon moyen pour instaurer un mouvement social de fond. Est-ce un bon moyen pour réclamer la pure et simple abrogation d’une loi ? Veut-on obtenir l’abrogation dans trente ans ?
Le CPE fut retiré parce que la population tenait la rue, souvent de façon violente. La France bien élevée a échoué parce qu’elle est bien élevée. La transgression non violente, la transmission d’un discours, de Péguy et Bernanos à Debord et Michéa, ont joué leur rôle. Vient aujourd’hui le temps de l’autocritique et de l’adoption de moyens nouveaux, non pas simplement en vue de l’abrogation de la loi Taubira, mais d’une certaine conception de la civilisation. En sommes-nous capables ?
« Nous avons plus de force que de volonté ; et c’est souvent pour nous excuser à nous-mêmes que nous nous imaginons que les choses sont impossibles. »
Romain Lasserre
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