L’incapacité républicaine à décentraliser :
L’ECOLE DU FELIBRIGE
Fernand Braudel dans “L’Identité de la France” arpentait chemins et routes de province afin de déterminer les multiples particularismes et paysages locaux, espaces de vie et nature, temps passé et traditions, bref ce qui pouvait différencier les terroirs d’une région à l’autre. Ecoutons Frédéric Mistral :
« Les députés, sur les questions qui touchent la sève et la joie du peuple, en dehors de la politique, il ne faut pas compter sur eux. Qu’un imbécile, un bêta fasse une pétition pour déplacer le Mont Ventoux ou débaptiser les rues, il trouvera toujours un rapporteur échevelé qui fera valoir sa motion. Mais qu’il s’agisse par hasard de raviver dans le peuple, ce qui lui maintient l’âme et la personnalité, ah ! Vous ne verrez là que des canards muets! » (L’Aioli, 7 avril 1894).
Maurras, quand à lui, cherchera le gouvernement pouvant réaliser cette libération, il “étudie le fédéralisme tel qu’il peut l’observer en Suisse, Autriche, Etats-Unis. Il l’étudie avec un esprit scientifique de même qu’il se penche en clinicien sur l’Ancien Régime pour y noter les diverses modalités de la décentralisation.”
Mistral rejette la république centralisatrice mais non la France :
« Par conséquent, messieurs, si nous voulons relever notre pauvre patrie, relevons ce qui fait germer les patriotes : la religion, les traditions, les souvenirs nationaux, la vieille langue du pays et, cité par cité, province par province, rivalisons d’étude, de travail et d’honneur, pour exalter diversement le nom de France. »
Jeux Floraux de Montpellier, 1875.
Le combat régionaliste mènera Charles Maurras vers le combat politique et la solution monarchiste.
LIBERONS LA FRANCE
« … Nous réclamons la liberté des communes… qu’elles deviennent maîtresses de leurs employés et de leurs fonctions essentielles… qu’elles puissent renvoyer chez eux ces roitelets qu’on appelle sous-préfets…
« … nous voulons libérer de leur cage départementale les âmes des provinces…
« … un groupe de Bretons vient de réclamer les anciens Etats. Nous sommes avec ces Bretons. Oui ! Nous voulons une assemblée souveraine à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille et Aix.
« … si des gens contredisent en arguant qu’un peuple ne revient pas sur le chemin déjà fait, nous répondrons que c’est très bien : nous ne cherchons pas à copier d’autres temps, mais à les compléter et à les perfectionner.
« … La complète mise en valeur des merveilleuses richesses de notre terroir… Seul le provincialisme peut mener à sa fin les grandes tâches rêvées depuis cent ans et jamais achevées : le canal des deux Mers par la Gascogne et le Languedoc, le canal du Rhône à Marseille par la Provence et le Dauphiné ! Qui sait ! Peut-être les discussions économiques qui maintenant déchirent ce pays de France, seraient ainsi réglées pour le bien de chacun et de tous. Allons plus loin ! Les deux ou trois questions sociales qui nous troublent tant, il ne serait pas difficile ainsi de les arranger. »
Déclaration des Félibres
LIBERER LES UNIVERSITES
“… toutes les questions militaires et diplomatiques seront traitées en dehors de Paris et du Conseil souverain de la Nation. Mais les questions provinciales iront au Conseil souverain de la Province, les questions communales au conseil communal… Ensuite, le jeune Maurras s’attaque à la notion de Décentralisation à laquelle il préfère celle de Fédéralisme et il montre la différence fondamentale qui existe entre les deux par un exemple qui n’a rien perdu de son actualité :
« Monsieur Léon Bourgeois, explique Maurras, est un ministre décentralisateur et il décide de fonder des Universités en dehors de Paris. Mais c’est l’Etat qui les crée, qui les paye, qui nomme les professeurs. L’Etat, possédant la finance, demeure le patron des professeurs, des administrateurs jusqu’à l’appariteur et au portier. Et tous ces gens ont les yeux et le cerveau tournés vers Paris d’où vient la lumière des programmes et le tintement des écus. »
DEFENSEUR DU PEUPLE
Et Maurras ensuite d’expliquer : «Qu’aurait fait M. Bourgeois s’il était fédéraliste? Il aurait donné aux peuples de chacune des provinces le moyen de se pourvoir… et le pouvoir politique et administratif. Ces pouvoirs une fois organisés et élus, comme il se doit, ayant l’argent, feraient ce qu’il faudrait faire. La décentralisation est un mensonge, « un os vide de moelle ». Il n’y a pas de décentralisation sans celle du pouvoir politique. Et Maurras de conclure en affirmant qu’ainsi les félibres deviennent les «défenseurs des intérêts du Peuple ». Il faut un fédérateur qui viendra « d’en haut » et ce fédérateur poursuit Maurras qui continue d’étudier le processus psychologique des unions historiques peut venir soit de l’intérieur (Capétiens), soit de l’extérieur. Pourra-t-il venir de l’extérieur ?
Les Suisses se sont fédérés contre le Duc d’Autriche. Les États-Unis contre l’Anglais. La France peut elle se fédérer contre quelqu’un ? L’Allemagne ? Elle ne connaît pas les mêmes situations que les Suisses et les Américains. D’ailleurs, le rassemblement des provinces s’est déjà accompli en France par le travail des capétiens, mais ce fédéralisme a été détruit depuis lors.
Il faut redéfinir les grandes régions, trouver un équilibre entre autorité et libertés. Maurras écarte le régime parlementaire, dont une décentralisation, signerait l’arrêt de mort. La république ne pourrait plus contrôler la pensée. Le citoyen, redevenant libre lui échapperait, développerait une indépendance et un esprit critique trop dangereux. Ce serait funeste pour le système des partis qui, pour subsister, doit contrôler l’opinion, l’information et les médias, ainsi que l’enseignement, afin d’orienter les votes et l’opinion. Très vite débarrassé de la pression légale et virtuelle, les citoyens se réorganiseraient naturellement en associations libres, motivés par le réel au détriment du factice pays légal générant la soumission par le fonctionnariat, la division des partis et opinions pour des intérêts purement pécuniaires (je ne dis pas que les fonctionnaires sont soumis mais que le système entretient une dépendance à lui-même en fonctionnarisant un maximum de citoyens)…La conclusion de Maurras sera de trouver le fédérateur et l’histoire faîte d’expérience lui désignera naturellement le roi. Toute tentative de décentralisation “par le bas” fut vaine car les régionalistes, “ bourgeois prudents, ils craignaient le blâme, la révocation par leur préfet, leur procureur ou leur trésorier payeur ”.
Il faut donc chercher un fédérateur à l’intérieur. Si la République est incapable de produire la fédération, eh ! bien, abandonnons la République.
Ainsi Maurras qui, au départ, n’excluait aucun régime politique, aboutit finalement à rejeter la République parce qu’elle est incapable de décentraliser.
Pourquoi ? Parce que le système électif empêche toute décentralisation.
Au temps de la jeunesse de Maurras, on objectait qu’il fallait attendre que la République soit affermie, c’est-à-dire libérée de l’ennemi : l’Eglise, sinon cette dernière resterait la principale bénéficiaire du régionalisme dans des régions encore imprégnées de croyance.
Puis, on ajouta qu’il fallait attendre d’avoir repris l’Alsace et la Lorraine. Maurras et ses amis attendirent longtemps.
Le retour de l’Alsace-Lorraine au patrimoine national laissait espérer un immense programme décentralisateur. D’aucuns voyaient déjà la France profitant des libertés locales accordées à deux provinces si chères. Contrairement aux prévisions communes, il avait déclaré : « Non seulement l’Alsace ne décentralisera pas la République, mais c’est la République qui voudra centraliser l’Alsace ». Un gouvernement électif ne peut pas, disait-il, relâcher sa vigilance sur cette province. Ce pouvoir républicain, explique Maurras, «n’étant pas héréditaire, ne pouvant s’appuyer sur une force morale, sur la puissance que représente le sentiment monarchique, a besoin pour vivre et pour survivre de centraliser. »
Enquête sur la Monarchie.
La France des rois se nommait diversité…
LA REPUBLIQUE CONTRE LES LIBERTES
Un gouvernement électif est obligé de contrôler ses peuples au nom de la liberté principe, on supprime les libertés réelles. “Pour préparer sa réélection, le député ou le ministre doit avoir prise sur l’électeur et sur celui qui le relie à l’électeur, c’est-à-dire le fonctionnaire. Le pouvoir doit pouvoir révoquer le fonctionnaire. En décentralisant, en donnant plus de liberté au fonctionnaire, on perd un moyen puissant d’influencer l’électeur. Nous savons de plus que le candidat, s’il est élu, peut apporter des subventions et trouver des places dans l’Administration aux gens du parti.”
L’Etat républicain règne par la force du fonctionnarisme.
« En démocratie parlementaire, une décentralisation municipale un peu étendue, si, par miracle elle était réalisée, créerait l’anarchie ; une décentralisation provinciale un peu poussée risquerait de créer de graves menaces pour l’unité française… les nations meurent, aussi l’histoire, a-t-on dit, est un cimetière de peuples et les peuples mal gouvernés sont enterrés les beaux premiers. » (A.F., 1932). En effet, l’Etat n’a plus les moyens de se faire obéir s’il ne possède plus la force du fonctionnarisme.
Pour la Monarchie, c’est tout le contraire, son histoire est celle d’une communauté de fédérations, imbriquées les unes aux autres, aussi libres que possible et possédants des particularités liées aux cultures, climats, traditions et économies différentes…
En 1904, Maurras lance le défi historique à Paul Boncour : « Puisque vous prétendez d’une part que la décentralisation est nécessaire et de l’autre qu’elle est faisable, faites-la ! Mais faites-la donc ! Au surplus, je vous en défie ! »
La République et la Décentralisation.
Le défi n’a pas encore été relevé.
La République ne réussit pas plus, d’ailleurs, à fédérer les nations européennes que les provinces françaises.
C’est ici l’occasion de remarquer que les conclusions de Maurras sur l’Europe sont plus subtiles et moins tranchées que ne voudraient le faire croire certains anti-maurrassiens passionnés. Il n’est pas hostile à toute idée d’union européenne, mais en positiviste exercé, il veut savoir quelle Europe on veut bâtir ?
CELLE QUI N’EXISTE PLUS ?
La Chrétienté ? Pendant longtemps elle maintint les peuples divers dans un minimum d’esprit familial. Mais depuis lors, il y eut le renouveau païen, la laïcité républicaine et, pourrions-nous ajouter aujourd’hui, l’opportunisme des « clercs avec l’ouverture au monde » ! Quel monde ?
CELLE QUI N’A JAMAIS EXISTÉ ?
Car à quoi bon parler des Etats-Unis comme la référence absolue, l’exemple historique à suivre ? Ces derniers possédaient une même langue, la même ethnie, les mêmes lois morales et le même oppresseur. Notre Europe, elle, doit faire cohabiter des latins, des germains, des saxons, des langues différentes, des cultures très distinctes, etc. Il n’est pas possible d’établir la moindre analogie entre les deux.”
Vivre Libre ou Mourir
Le roi ne dépendant pas de l’élection mais du principe héréditaire, laissera s’organiser les multiples libertés provinciales, professionnelles, familiales et communales. En plus, cela reste une question de survie, car un roi est plus intéressé à voir gravir des citoyens responsables jusqu’à ses conseils que de s’entourer d’incompétents pour obtenir les bonnes grâces du régime, cela ne servirait à rien dans les réalisations désirées et on serait en proie à l’opinion dénonçant les pratiques de copinage, la catastrophe ne serait pas loin…
Le Roi ne tient pas son pouvoir “d’en bas “, mais du principe héréditaire et il peut admettre des provinces fédérées, des administrations plus libres sans craindre de perdre les rênes du pouvoir.
Le roi n’est pas tenu par le scrutin ou les fluctuations de l’opinion, il ne suit pas, il guide et seul un pouvoir fort peut ainsi décentraliser. C’est pourquoi l’histoire de la monarchie française est l’histoire d’une longue et efficace fédération.
La France royale était constituée d’une mosaïque de Pays, dont les langues, mesures, droits et privilèges s’entrecroisaient dans leurs différences. Pour la république, parler de décentralisation, c’est revenir en monarchie et cela lui est insupportable. Les régions désirent l’autonomie administrative afin de gérer leur identité et culture locale. La principale menace reste la république jacobine qui, non seulement détruit les particularismes régionaux mais livre la France au mondialisme anglo-saxon, plus destructeur encore par son déracinement. Sans aller jusqu’au séparatisme, une réelle autonomie garantirait un maximum de libertés.
Avant 1789, la France comportait deux types de province, les pays d’Etat (Bretagne, Bourgogne, Languedoc…) qui avec ses trois ordres (Noblesse, Clergé, Tiers Etat) votaient l’impôt direct et les pays d’Election dont l’administration centrale fixait celui-ci.
Une multitude d’organisations et territoires s’autogéraient en vivant des libertés multiples qui foisonnaient, pays de droits oraux ou écrits, sénéchaussées, corps de villes et de métiers, parlements et juridictions diverses (seigneuriales, communales ou ecclésiastiques), paroisses et confréries…
Sous nos rois, il n’y eu pas de centralisation mais plutôt unification sans gêner les droits, coutumes et privilèges de tous. La république cherchera, au nom de l’égalité, à détruire toutes les différences, donc à supprimer tout particularisme local, en tentant de fabriquer des êtres semblables du nord au midi. Dans ce principe, plus de corps de métiers, ni communautés s’autogérant comme avant mais une poussière d’individus, que l’on pourra diriger et contrôler au nom de la liberté individuelle. Là on touche le noeud du problème mondialiste, dont la philosophie est au coeur des racines révolutionnaires de la république.
La révolution a détruit les communautés vivaces. Au lieu de créer une cohésion, elle a attisé les divisions (classes, générations, sexe et différences…). Elle a découpé le territoire en puzzle départemental et comme toutes les idéologies totalitaires, jamais de remise en question ne viendra sur ce caractère antisocial, antifamilial, antirégional, antiécologique, antinational, bref finalement antihumaniste. L’idéologie à ceci de terrible, c’est qu’elle sort de cerveaux tourmentés, pour s’appliquer de force et antinaturellement sur une nation. Ecoutons Jean Dumont :
”En Espagne un bel historien, notamment de la Franche-Comté, Francisco Elias de Tejada, s’était étonné de l’étroitesse de vues des révolutionnaires français, inventeurs du haché-menu des grandes provinces en départements-rogatons. Ces messieurs, ce faisant, écrivait-il, ont dû croire qu’il était possible de “substituer la géographie à l’histoire”. Mot profond qui souligne l’incroyable prétention révolutionnaire et post-révolutionnaire de faire tout commencer en 1789. Aujourd’hui c’est l’avant 1789 qui revient sur nous au galop, en superbe modernité…”
Tiocfaidh àr là, Notre jour viendra
Libération Nationale
Frédéric WINKLER