La forêt amazonienne brûle un peu plus chaque année, comme les forêts d’Afrique ou d’Asie, mais aussi les forêts françaises, cet été touchées par des incendies qui, trop souvent, n’ont rien de bien naturel. C’est une tragédie mille fois répétée qui ne peut nous laisser indifférent car l’indifférence serait, là, de l’insouciance et une insulte au bien commun que les royalistes français prétendent défendre et pratiquer. Car un incendie de forêt est toujours une perte de biodiversité importante et la transformation d’un paysage vivant en un triste horizon noirci, au moins pour quelques temps. Bien sûr, il ne s’agit pas de méconnaître aussi que, dans sa grande complexité, la nature joue parfois du feu comme d’un moyen de se renouveler, comme le signale nombre de scientifiques spécialistes des milieux forestiers, ou d’ouvrir à d’autres plantes et animaux ces zones consumées. Mais, dans nos temps contemporains, les forêts du Brésil ou d’Afrique brûlent trop souvent pour des raisons qui n’ont rien d’écologique et souvent tout d’économique ou politique, au-delà des cas psychologiques de quelques pyromanes qui semblent plutôt se concentrer dans nos propres pays d’ancienne déforestation.
Comme le signale Alain Pavé dans un entretien publié par Ouest-France samedi 24 août, ce sont les activités agricoles et minières qui sont les « moteurs de cette déforestation » qui ravage l’Amazonie sans beaucoup d’égards pour la flore et la faune, et qui chasse de leurs territoires les tribus « vivant » de la forêt telle qu’elle est, et c’est bien l’actuel président brésilien, homme-lige des grands propriétaires, qui, par son attitude et ses propos, favorise et amplifie un phénomène à terme dangereux pour son propre pays et, au-delà, pour les équilibres environnementaux de la planète, cela même s’il n’est ni le seul responsable, ni le seul coupable de cette situation écologique malheureuse. Les incendies en Amazonie « ne sont probablement pas d’origine naturelle. Ils se déclenchent en périphérie de la forêt, là où se trouvent les grands propriétaires terriens, qui souhaitent agrandir leurs terrains pour l’agriculture et l’élevage. (…)
« (…) La situation est préoccupante. Le phénomène risque de continuer si on n’arrête pas les politiques de déforestation du président Bolsonaro. Avec lui, les propriétaires terriens ne sont plus inquiétés. » L’argument du président (démocratiquement élu, preuve supplémentaire que le système électoral démocratique n’est pas forcément le meilleur moyen d’éviter le pire…), c’est le « Développement », ici celui du Brésil, processus qui n’est rien d’autre, et cela depuis que les Etats-uniens Rostow et Truman (ce dernier en tant que président des Etats-Unis en 1945-53) l’ont défini et valorisé, que le moyen d’accéder à la société de consommation, qu’il serait bien possible, en définitive, de qualifier de « société de consumation » et, présentement, de façon quasi-littérale ! Mais c’est ce même Développement qui entraîne la destruction (et pas seulement par le feu mais aussi par des coupes massives de bois) des forêts d’Afrique et d’Asie, dans une sorte d’indifférence générale fort décourageante pour tous les amoureux de la Terre et de ses richesses, de ses beautés aujourd’hui en passe d’être massivement dévastées. La même indifférence n’a-t-elle, d’ailleurs, pas cours aussi dans notre pays quand l’on constate que se construisent encore tant de zones industrielles ou commerciales et de lotissements au détriment de zones dites « naturelles » ? Si les 1.600 hectares de bocage de Notre-Dame-des-Landes ont pu être sauvées (au moins pour un temps), que dire de ces 80.000 hectares de terres artificialisés chaque année en métropole française ?
Or, les forêts, et l’Amazonie en particulier et de par son immense superficie, sont nécessaires à la vie et à sa qualité sur terre, comme le rappelle Alain Pavé : « La diversité de la forêt est aussi essentielle pour la vie de nombreuses espèces. Le cacao, par exemple, est très cultivé en Côte d’Ivoire. Mais si on utilise les mêmes populations de cacaoyers pour les régénérer sur place, au bout d’un temps, la diversité génétique se perd. La production diminue et la sensibilité aux parasites augmente. Il faut régénérer le patrimoine génétique en allant chercher des souches sauvages dans l’Amazonie. ». D’autre part, la forêt amazonienne, sans être le poumon de la planète (c’est bien plutôt la mer, elle aussi fortement affectée par les activités humaines contemporaines et la démesure de la société de consommation et de croissance), joue un rôle important dans le maintien de certains mécanismes environnementaux nécessaires au cycle de l’eau et à sa pérennité sur notre planète, à l’heure où le stress hydrique menace de plus en plus, jusqu’à notre propre pays atteint par des périodes de plus en plus longues et préoccupantes de sécheresse. Le risque de la déforestation amazonienne, c’est aussi une forme de savanisation de la forêt, au risque d’entraîner une diminution trop forte des précipitations pourtant utiles et même vitales pour les activités humaines dans la région concernée.
Alors, que faire et, surtout, que peut faire la France face à cette situation amazonienne préoccupante, et qui ne concerne pas, d’ailleurs, que le seul Brésil, la Bolivie étant elle-même en proie à de gigantesques feux ? Les propos rudes du président Emmanuel Macron, au-delà de leur caractère incomplet et d’une photo d’incendies antidatée, ont au moins eu le mérite de faire bouger les choses, en particulier la menace d’une non-ratification du traité de libre-échange avec le Mercosur qui a incité les grandes entreprises brésiliennes du secteur agro-industriel à faire pression sur M. Bolsonaro pour qu’il soit plus « volontaire » dans la lutte contre les incendies dévastateurs. La France a raison de souligner qu’elle aussi est une « puissance amazonienne », grâce à la Guyane, mais encore faudrait-il qu’elle ne favorise pas dans le même temps la déforestation « minière » en accordant des autorisations d’exploitation à des compagnies aurifères pas toujours très scrupuleuses en matière d’environnement. Le meilleur moyen d’être efficace dans sa lutte contre la déforestation, c’est encore de relocaliser une partie importante de sa production d’aliments pour le bétail et de ne plus dépendre du soja (souvent OGM) produit au Brésil. Là encore, cet objectif ne peut être atteint que par la mise en place d’une véritable stratégie agricole de la France, y compris hors des mécanismes de la PAC et de ceux de la mondialisation, stratégie visant à rendre aussi à notre pays sa propre capacité d’autosuffisance alimentaire et de « redéploiement rural » (et paysan, dans ce cas précis) pour activer des circuits à la fois plus courts et plus « propres ». Cela ne se fera pas en un jour, mais c’est maintenant qu’il faut donner l’impulsion la plus forte, et seul l’Etat, s’il s’engage véritablement dans une stratégie de long terme (et pérenne), peut le faire : encore faut-il qu’il le veuille et qu’il prenne les moyens de le pouvoir, et il n’est pas du tout certain que la République actuelle, prise dans les rets de la mondialisation, en soit capable…
D’autres moyens d’agir, plus individualisés, existent, ne serait-ce qu’en contrôlant mieux l’activité de certaines multinationales (y compris françaises) qui « s’enrichissent en important du soja, du bœuf, du sucre ou du bois, auprès des défricheurs illégaux », comme le souligne Christelle Guibert, toujours dans Ouest-France : « Ainsi les actionnaires, les clients de la banque française BNP Paribas, pourraient demander des comptes à la direction sur ses relations avec les quatre géants qui importent le soja dans l’Union européenne : ADM, Louis-Dreyfus, Bunge et Cargill. (…) Les adhérents des grandes coopératives françaises présentes via des filiales au Brésil pourraient s’enquérir de la façon dont les maisons-mères engrangent des bénéfices dans un pays où les pesticides sont utilisés de façon affolante. » Le rôle de l’Etat pourrait consister, ici, à soutenir, voire promouvoir officiellement ses attitudes de responsabilisation des acteurs privés de l’économie, de l’agriculture comme du commerce. Cette stratégie de responsabilisation ne devrait pas hésiter à s’adresser aussi aux consommateurs que nous sommes, mais aussi à imposer ces quelques règles simples aux acteurs de la Distribution, souvent plus préoccupés de bénéfices immédiats que de santé publique ou de respect environnemental. Ainsi, « les amateurs de produits Nestlé, premier producteur mondial de l’alimentaire, pourraient freiner leur consommation s’ils jugent que les 250 millions de dollars d’investissement supplémentaires – annoncés par un discret communiqué mercredi, au plus fort des feux ! – contribuent encore à augmenter le réchauffement de la planète. » Là encore, l’Etat peut jouer un rôle moteur dans cette prise de conscience, éminemment politique et jouant sur le levier économique, qui, si elle se fait assez « convaincante », pourrait permettre à la forêt amazonienne de mieux « respirer » et survivre aux appétits des grands propriétaires et du secteur agro-industriel mondial…
En tout cas, la tragédie amazonienne nous oblige à repenser la France en tant que puissance médiatrice, capable de se faire entendre et, surtout, de proposer un modèle alternatif à la société de consommation et de croissance portée par la mondialisation libérale. Pour cela, la République semble bien moins assurée et rassurante que ne le serait une Monarchie royale enracinée, de par ses institutions et la continuité dynastique, dans le temps long nécessaire à toute écologie véritable et intégrale…
Jean-Philippe Chauvin